mai 2017

Le comparatisme à l’épreuve des référents culturels

Texte de présentation

Le comparatisme comme un humanisme

du référent culturel à l’universalité

À chaque fois que je me suis cherché
Je n’ai trouvé que les autres
Et à chaque fois que je les ai cherchés
Je n’ai trouvé en eux que mon « moi » étranger
Suis-je l’individu-foules alors que je suis l’étranger?
—Mahmoud Darwich, Al-Jidarya, traduit de l’arabe par mes soins

Choisir le comparatisme, à l’ère de la multiplication et du renforcement des frontières, auxquels s’ajoute l’apologie d’un communautarisme de l’exclusion, équivaut à s’inscrire dans un long procès de négociation de soi et de l’altérité, soi-même comme un autre et les autres comme une part de soi-même, suivant le mouvement d’une nécessaire ré-humanisation. Le comparatiste se déplace, apprend sur son univers, son humanisme se construit ses propres vocations. Entre les langues et les cultures, de distinction en projection, au sens psychanalytique, il interroge la multitude pour apprendre sur lui-même, et inversement, sa quête de l’altérité passe par un questionnement de soi : en les cherchant, il se trouve, en se cherchant, il les trouve. Être comparatiste consiste à s’adonner à une pratique débouchant sur une théorisation qui, en même temps, rassemble et revendique les diversités, en mobilisant des référents spécifiques à une culture en particulier, au service de la compréhension de phénomènes universels.

Ce à quoi renvoie un tel signifiant dans « ma » culture signifie une territorialisation restrictive d’un savoir hésitant qui, quand il ne sait plus où il va, se rabat très vite sur là d’où il vient. En devenant comparatiste, « ma » culture devient la multitude, elle est « la nôtre », dans le sens d’une reterritorialisation, non pas un déracinement, bien au contraire, plutôt une démultiplication des espaces habitables pour celui qui élit pour demeure l’univers. Le comparatisme est le contraire de l’oubli. Le savoir comme mémoire vient enrichir la compréhension d’un monde qu’il est impossible de considérer comme un ensemble de cultures juxtaposées, et qui, envisagé par les chercheurs de toutes disciplines, revêt une dimension planétaire.

Le comparatiste est cet « individu-foules », il est aussi « l’étranger », pour reprendre les vers de Darwich, étranger à la culture qu’il étudie et à sa culture d’origine tous azimuts : étranger à la culture qu’il étudie, parce qu’il ne se dit pas d’une seule et exclusive culture, et étranger à sa culture d’origine par le chemin qu’il a parcouru et qui est fait d’une série de dépaysements volontaires.

L’idée de ce numéro, que j’ai eu l’honneur et le plaisir de diriger, est justement née de mes propres dépaysements volontaires, en France, puis au Québec, ainsi que de ma passion et de mon intérêt grandissant pour la diversité culturelle et pour ce qu’elle implique en matière de migration des idées. Je me suis toujours posé la question de savoir ce que les particularités de chaque culture peuvent apporter à des créations littéraires et artistiques géolocalisables, je me suis aussi demandé quel était l’apport des approches comparatistes pour la mise en dialogue des référents qui relèvent d’une culture en particulier. Diriger ce numéro m’a donné l’occasion d’approfondir une réflexion entamée il y a quelques années sur les transferts culturels qui participent à la formation d’une constellation dynamique de créations littéraires et artistiques offrant au comparatiste ses objets d’étude diversifiés.

Des chercheurs issus des milieux universitaires québécois, français, burkinais, koweïtiens et tunisiens, tous préoccupés de penser les différents rapports du comparatisme aux référents culturels, ont répondu à l’appel pour nous donner à lire des textes riches et variés. Je les remercie de la qualité exceptionnelle de leurs textes et de l’agréable surprise qu’a été le décalage entre l’idée que j’avais du numéro au moment de la rédaction de l’appel à contribution, et ce qu’il en est du résultat final auquel a abouti le processus. Ces auteurs aiment la diversité, en font un monde pluriel et y introduisent ensemble tout lecteur désireux d’en apprendre davantage sur des univers qui pourraient lui être étrangers, mais le deviendront un peu moins, au fil de la lecture.

Éditeur·rice(s)
  • L’équipe de Post-Scriptum
Révision
  • L’équipe de Post-Scriptum
Mise en ligne
Laurence Sylvain