Des clivages au dépassement des frontières dans la littérature autochtone nord-américaine et australienne aborigène contemporaine
Enjeux territoriaux et culturels dans Ceremony de Leslie Marmon Silko, Reservation Blues de Sherman Alexie, The Round House de Louise Erdrich et Carpentaria d’Alexis Wright
Cet article a été revu et corrigé par l’auteure en 2024 afin de respecter les changements terminologiques concernant la désignation des peuples autochtones. L’auteure remercie vivement l’équipe de la revue Post-Scriptum pour l’attention portée à l’actualisation scientifique de ses publications.
Mon peuple est rare. Il ressemble aux arbres épars d’une plaine balayée par la tempête… Il fut un temps où notre peuple couvrait cette terre comme les vagues d’une mer agitée couvrant le sol pavé de coquillages.
Mais ce temps est bien passé et la grandeur des tribus n’est plus qu’un souvenir funèbre…
Parce que leur histoire est profondément marquée par une conquête territoriale d’une extrême violence, les littératures autochtone et australienne aborigène contemporaines lient inextricablement les enjeux culturels aux questions de territoire, qu’il s’agisse de déterritorialisation ou de reterritorialisation. Investis d’un héritage historique colonial encore très présent et, de ce fait, dotés d’une grande résonnance symbolique et idéologique, les territoires fonctionnent comme des référents culturels particulièrement signifiants dans les romans autochtones. En mettant en scène soit des espaces de liberté perdus, fantasmés ou réinvestis, soit des espaces presque carcéraux (réserves ou espaces aux marges des villes), des auteurs comme Leslie Marmon Silko, Louise Erdrich, Sherman Alexie et Alexis Wright interrogent le pouvoir identitaire de ces référents culturels ancrés dans la violence de l’Histoire, jusqu’à en dénoncer les limites. Chez ces auteurs, l’appartenance à la culture autochtone ou aborigène se fait au carrefour de nombreux paradoxes, depuis le besoin de se réapproprier un territoire et une langue spoliés, jusqu’à la réflexion, parfois ironique, sur l’existence d’une identité autochtone ou aborigène aujourd’hui1. Au-delà de la lutte idéologique ou identitaire à laquelle ils sont souvent réduits, ces auteurs souvent plurilingues font coexister la culture institutionnelle et la culture maternelle marginalisée et réfléchissent à leur identité auctoriale autochtone2. Ce faisant, ils parviennent depuis quelques décennies à toucher massivement un lectorat non-autochtone. Le succès international de ces auteurs contemporains invite alors à interroger la réception de leurs œuvres par un très large public, bien au-delà d’une niche éditoriale ethnique.
Nous avons choisi d’aborder cette question du comparatisme à l’épreuve des référents culturels en nous intéressant à l’œuvre de quatre romanciers contemporains : Leslie Marmon Silko de culture Laguna Pueblo, Louise Erdrich d’origine Ojibwa, Sherman Alexie d’origine Cœur d’Alène et Spokane et Alexis Wright d’origine waanyi. Les trois premiers appartiennent à cette vague de renouveau de la littérature autochtone que le critique américain Kenneth Lincoln situe dans les années 1960-1970. Entre la publication en 1969 de House Made of Dawn de Navarre Scott Momaday, et celle de Ceremony de Leslie Marmon Silko en 1977, la vie littéraire américaine voit le développement de ce que Kenneth Lincoln désigne en 1983 sous le nom de « Native American Renaissance ». Si « [c]ette terminologie est […] sujette à controverse car elle impliquerait, selon certains, une sous-estimation de la tradition orale ancestrale et supposerait l’absence d’écrits amérindiens dignes d’intérêt avant cette date » (Bouzonviller, 2014 : 11), elle possède néanmoins le mérite de qualifier cette abondante production littéraire qui offre à l’Amérique une littérature d’inspiration autochtone et surtout, de souligner le point essentiel qui rend cette production remarquable, à savoir l’accès de la littérature autochtone à une audience internationale.
De façon assez similaire en Australie, les années 1970 sont marquées par la découverte des auteurs aborigènes par un lectorat non-aborigène : jusqu’alors, ces artistes forment une voix marginalisée et longtemps, la littérature aborigène n’a d’autre intérêt qu’anthropologique dans les travaux qui lui sont consacrés (Wheeler, 2013 : 1). La reconnaissance critique nationale et internationale survient plus tardivement, puisque c’est la publication de My Place de Sally Morgan en 1987 qui marque le tournant décisif vers l’ouverture à un lectorat non-aborigène et international. Témoin de cette légitimation institutionnelle d’une littérature jusqu’alors souvent considérée pour son intérêt ethnologique, le Miles Franklin Literary Award, prix littéraire le plus prestigieux d’Australie, est décerné en 2000 à Kim Scott pour son roman Benang, l’auteur devenant le premier écrivain aborigène à recevoir cette récompense avant Alexis Wright, primée en 2007 pour son roman magistral Carpentaria. Militante d’origine waanyi, peuple aborigène des hautes terres au sud du golfe de Carpentarie, Alexis Wright est souvent présentée dans les médias comme un symbole de la défense des peuples autochtones contre l’État australien. Neuf ans après son premier roman, Plains of Promise, Carpentaria paraît en 2006 chez un éditeur indépendant après avoir été refusé dans toutes les grandes maisons d’édition australiennes. Son troisième roman, The Swan Book, est paru en 2013 et vient d’être publié en traduction française aux éditions Actes Sud.
Dans des contextes de contrainte politique et idéologique inhérents à la situation coloniale, les référents culturels que sont les territoires nous paraissent constituer des axes particulièrement stimulants pour analyser l’imaginaire convoqué dans la production littéraire contemporaine des écrivains autochtones et australiens d’origine aborigène, souvent rattachés malgré eux aux stéréotypes de ce qu’on appelle les « minorités ethniques ». À la lumière de Ceremony (1977) de Leslie Marmon Silko, Reservation Blues (1995) de Sherman Alexie, Carpentaria (2006) d’Alexis Wright et The Round House (2012) de Louise Erdrich, nous souhaitons montrer combien les enjeux territoriaux mis en scène dans les romans dépassent la nécessaire revendication politique pour offrir un espace romanesque où est interrogé le sentiment étrange et tragique d’être exilé sur sa propre terre, étranger à soi-même. Ainsi est-ce en créant des « ego expérimenta[ux] » (Kundera, 1986 : 45) particulièrement forts au sein de scénographies politiquement signifiantes que les romans évitent l’enfermement ethnique et permettent la traduisibilité des référents culturels, c’est-à-dire leur possibilité d’être investis par tout lecteur et partant, leur appropriation par un lectorat international.
Les territoires, symboles des clivages culturels et idéologiques
En préambule, un rapide examen des titres originaux suffit à attirer notre attention sur l’importance des espaces dans notre corpus3. Le golfe de Carpentaria est une grande mer peu profonde située au nord de l’île principale de l’Australie ; dans le roman d’Alexis Wright, cet espace géographique est divisé en deux : d’un côté, les espaces colonisés, incarnés par la ville de Desperance avec son port asséché et la mine, symbole de l’exploitation industrielle des terres aborigènes ; de l’autre, les espaces naturels, la mer, le désert et le bush, cet environnement hostile à la végétation éparse dans lequel se trouve Pricklebush, espace situé aux marges urbaines où sont relégués les Aborigènes. Lieu du viol et de la tentative de meurtre d’une femme, « the round house » est le nœud de l’intrigue du roman d’Erdrich : c’est en effet parce que la juridiction du tribunal tribal de la réserve ojibwé ne s’étend pas suffisamment pour pouvoir poursuivre en justice l’agresseur blanc de sa mère que le jeune Joe, tout juste adolescent, prendra la décision terrible de faire justice lui-même. La réserve est également au cœur de Reservation Blues de Sherman Alexie, roman tragi-comique dont l’enjeu essentiel se noue dans la possibilité qu’ont les personnages autochtones de sortir des limites géographiques et sociales de la réserve. À la faveur d’un épisode fantastique durant lequel ils récupèrent la guitare du célèbre bluesman assassiné en 1938, Robert Johnson, venu dans cette réserve des Spokanes pour rencontrer Big Mom, une medicine woman, afin qu’elle le délivre d’un enchantement diabolique, un groupe de jeunes autochtones à l’existence misérable va connaître un dangereux succès les menant jusqu’aux portes de l’industrie artistique new yorkaise. Enfin, si le titre du roman de Leslie Marmon Silko n’est pas explicitement topographique, il se colore après lecture d’une dimension territoriale évidente. En effet, la cérémonie des sorciers est indissociable du lieu sur lequel celle-ci fut accomplie, la mine désertée, espace emblématique à la fois de la destruction de l’humanité et de la révélation du héros Tayo, comme nous le verrons. En choisissant ainsi des titres topographiques, les romanciers soulignent la dimension symbolique des espaces et leur influence primordiale sur le déroulement du récit.
Souvent fondée sur la dichotomie, la scénographie des territoires est le support explicite d’une dénonciation de la spoliation territoriale subie par les peuples natifs. Le clivage le plus explicite concerne la mainmise territoriale des Blancs ancrée dans l’Histoire de la colonisation, dans la violence et la non-reconnaissance des droits des peuples natifs. En Australie, proclamée « terra nullius » en 1770 par le capitaine Cook, les bases d’une appropriation territoriale menant à l’exploitation puis à l’exclusion socio-politique des Aborigènes sont posées. C’est seulement en 1992, avec l’affaire dite Mabo, qu’une étape est franchie dans la reconnaissance juridique des Aborigènes :
Après 10 ans de procès, en 1992, la Haute Cour a finalement reconnu l’occupation des terres par les indigènes avant l’arrivée des colons. En effet, la loi avait fait de l’Australie une « terra nullius », c’est-à-dire qu’elle était considérée comme inoccupée avant la colonisation européenne. Après l’affaire Mabo, la reconnaissance du droit au « Titre Autochtone » [le Native Title] fondée sur les traditions et lois indigènes pouvait se faire dans les cas où les indigènes avaient gardé un lien avec la terre qu’ils revendiquaient, si ce droit n’avait pas été éteint par la Couronne. La décision de la Haute Cour a été confirmée par la loi sur le Titre Autochtone, en 1993, qui elle-même a été amendée par l’affaire Wik en 1996 (les baux pastoraux peuvent annuler les droits au Titre Autochtone) et le plan en 10 points du gouvernement Howard en 1998. (Castejon, 2005 : 22)
À la fin des années 1990, de nombreux rapports accablants des Nations-Unies sur la situation des Aborigènes se multiplient, notamment en ce qui concerne les Stolen Generations. De la même manière, les Premières Nations subissent de plein fouet la « politique du déracinement des nations de l’Est et la transplantation des tribus dans le “Territoire indien”, réserve dessinée entre le Mississippi et les Rocheuses, à l’exemple du sentier des larmes qui conduit les Cherokees jusqu’à leur réserve en 1834 » (Royot, 2007 : 20). « [A]ssimilée à une tentative d’ethnocide » (Royot, 2007 : 11), en raison des « déportations dans des réserves, [d]es regroupements hétérogènes, [de] la déculturation et [de] la prédominance de la langue anglaise » (Royot, 2007 : 21), la colonisation américaine oblige les peuples natifs à une migration vers l’Ouest et aboutit à une perte irréversible de leur patrimoine foncier ancestral.
C’est pour mieux dénoncer la permanence de cette spoliation que se multiplient les clivages dans les romans, indices du vol et de l’exploitation des terres par les colons européens dont souffrent aujourd’hui encore les générations volées. C’est ainsi qu’aux espaces ouverts anciennement investis par les peuples natifs (désert, bush, mer) s’opposent les espaces fermés qui à présent les accueillent (réserves, décharges, prisons) ; aux centres urbains et industriels s’opposent les marges, espaces socialement et idéologiquement réservés aux populations indigènes considérées comme les rebuts de la société4. Centre et marges sont alors investis d’un pouvoir hautement symbolique, d’autant plus lorsque dans Ceremony et Carpentaria, les périphéries urbaines accueillent Autochtones ou Aborigènes à proximité directe des décharges et deviennent le symbole au carré de l’exclusion dégradante et déshumanisante (Brochard, 2016). C’est dans le roman d’Alexis Wright que les espaces se muent le plus clairement en territoires, chaque lieu occupé devenant l’objet d’une guerre à plus ou moins grande échelle : guerre entre la ville de Desperance établie par les colons et l’exploitation minière d’un côté, et de l’autre, Pricklebush, cet espace de la misère aborigène abritant également la décharge municipale, à la lisière de la ville ; guerre entre les communautés aborigènes vivant à l’ouest et celles vivant à l’est de la décharge, espace du déchet devenant l’objet d’une richesse convoitée au sein de cet univers de pauvreté extrême ; guerre entre Normal Phantom et sa femme Angel Day, le premier, homme du fleuve, privilégiant une vie nomade dans le bush, la seconde, imitant le modèle occidental de la propriété sédentaire, se fixant à tout prix sous un arbre autour duquel elle construit sa cabane avec des déchets directement issus de la décharge. Ainsi, de la grande Histoire à l’histoire familiale, les territoires de Carpentaria sont-ils les symboles d’enjeux de domination aussi bien socio-politiques que domestiques propices à suggérer un véritable sentiment tragique, nul personnage ne pouvant finalement échapper au destin auquel son ancrage spatial l’enchaîne irrémédiablement.
Les territoires, révélateurs de la tragédie des personnages
Dans nos quatre romans, les territoires possèdent cette fonction tragique de déterminer le destin des personnages. À cet égard, le sémantisme de The Round House nous semble particulièrement révélateur de l’emprisonnement psychologique et social vécu par Geraldine, la mère du jeune Joe et, partant, par son mari ainsi que par Joe lui-même. Cette maison ronde figure le cercle vicieux dont les victimes ne peuvent légalement sortir, soumises aux multiples lois américaines sur les terres colonisées et impuissantes à voir la justice rétablir leurs droits les plus élémentaires. En effet, Louise Erdrich choisit de construire son roman sur cette aberration judiciaire entraînant la perdition des personnages du roman. L’action se situe dans une réserve ojibwé du Dakota du Nord, à la fin des années 1980. Tout débute par l’agression terrible de la mère du narrateur, Joe, jeune adolescent de treize ans. Violée et battue à mort, Geraldine parvient à s’échapper au moment où son agresseur Lark, un Blanc raciste, tentait de l’immoler vivante par le feu. Saine et sauve, mais traumatisée et surtout consciente de l’incapacité de la justice à réparer ce crime sexuel et raciste, Geraldine s’enferme alors dans un mutisme intolérable pour le jeune adolescent. Révolté par la lenteur de l’enquête et par ce qu’il pense être la passivité de son père, juge au tribunal tribal, Joe décide de venger lui-même ce crime impuni. La découverte insoutenable de la violence de l’agression arrive progressivement dans le roman, à mesure que Joe assemble les pièces d’un puzzle dont les adultes veulent à tout prix le tenir éloigné. Or l’ensemble de l’intrigue, sa raison d’être et sa fin, est contenue dans l’espace de la maison ronde, symbole de l’enchevêtrement des lois territoriales américaines privant les Autochtones du droit à poursuivre en justice des non-Autochtones qui commettent des délits sur leurs terres, ce que Joe comprend à la faveur d’une explication avec son père :
That’s Indian Law. […]
It’s 1823. The United States is forty-seven years old and the entire country is based on grabbing Indian land as quickly as possible in as many ways as can be humanly devised. […]Speculators are acquiring rights on treaty-held Indian land and on land still owned and occupied by Indians – white people are literally betting on smallpox. […] Justice Marshall [a Chief Justice at the time] went out of his way to strip away all Indian title to all lands viewed – i. e., “discovered” – by Europeans. (Erdrich, 2012 : 228-229)
Joe comprend alors qu’en tant que juge tribal attaché à œuvrer pour l’avenir du droit, son père est condamné à l’avancée fastidieuse et peut-être stérile de la justice américaine, conscient qu’un seul pas de côté pourrait nuire à l’édifice juridique tout entier :
We are trying to build a solid base here for our sovereignty. We try to press against the boundaries of what we are allowed, walk a step past the edge. Our records will be scrutinized by Congress one day and decisions on whether to enlarge our jurisdiction will be made. Some day. We want the right to prosecute criminal of all races on all lands within our original boundaries. (Erdrich, 2012 : 229-230)
C’est donc pour faire ce que ne peut faire son père, et réparer cette injustice, répétition tragique de la spoliation territoriale coloniale, que le jeune Joe décide de tuer lui-même l’agresseur. Ainsi la maison ronde emblématise-t-elle la persistance des inégalités américaines, du racisme à l’égard des Autochtones et surtout, du danger encouru par les femmes, ainsi que le rappelle la postface :
This book is set in 1988, but the tangle of laws that hinder prosecution of rape cases on many reservations still exists. “Maze of Injustice”, a 2009 report by Amnesty International, included the following statistics: 1 in 3 Native women will be raped in her lifetime (and that figure is certainly higher as Native women often do not report rape); 86 percent of rapes and sexual assaults upon Native women are perpetrated by non-Native men; few are prosecuted. In 2010, then North Dakota senator Byron Dorgan sponsored the Tribal Law and Order Act. In signing the act into law, President Barack Obama called the situation “an assault on our national conscience”. (Erdrich, 2012 : 319)
Le viol raciste est également présent dans Carpentaria à travers l’odieux personnage du maire de Desperance, Bruiser, « [who] bragged about how he had chased every Aboriginal woman in town at various times, until he ran them into the ground then raped them. He had branded them all, like a bunch of cattle, he gloated » (Wright, 2006 : 39-40). Sans aller jusqu’à constituer le nœud narratif du roman comme dans The Round House, le crime envers les femmes aborigènes est là aussi le support d’une dénonciation du racisme de certains Blancs et des inégalités subies par les Aborigènes. La comparaison des femmes violées au bétail est à cet égard signifiante et rappelle l’épisode de la chasse dans Ceremony, au cours duquel le jeune héros Tayo est traqué comme une bête dans le désert par ses anciens amis de la réserve, rendus fous par la violence de la guerre, la misère, le racisme et l’alcool. D’ailleurs dans Ceremony, le thème omniprésent du bétail est lourd de sens et ce, à de multiples niveaux. Il symbolise tout d’abord le rêve de Josiah, l’oncle de Tayo, de vivre décemment sur sa terre en élevant un troupeau de vaches mexicaines. Malheureusement, le troupeau s’échappe dans le désert et Josiah ne peut le retrouver ; c’est Tayo qui se chargera de cette tâche pour rendre justice à son oncle mort. Mais le bétail dispersé dans le désert tend dans le roman à être mis en parallèle avec les hommes que les Blancs méprisent : en témoigne
[the] high fence of heavy-gauge steel mesh with three strands of barbed wire across the top. It was a fence that could hold the spotted cattle. The white man, Floyd Lee, called it a wolf-proof fence; but he had poisoned and shot all the wolves in the hills, and the people knew what the fence was for: a thousand dollars a mile to keep Indians and Mexicans out; a thousand dollar a mile to lock the mountain in steel wire, to make the land his. (Marmon Silko, 1977 : 187-188)
Le motif de la clôture emblématise parfaitement les enjeux territoriaux et humains de la colonisation et leur tragique permanence dans les mentalités contemporaines. La volonté de posséder la terre et d’enfermer la montagne signale l’hybris des Blancs et leur désir d’omnipotence, transcendés par la communion mystique de Tayo avec la nature :
The snow-covered mountain remained, without regards to titles of ownership or the white ranchers who thought they possessed it. They logged the trees, they killed the deer, bear, and mountain lions, they built their fences high; but the mountain was far greater than any or all of these things. The mountain outdistanced their destruction, just as love had outdistanced death. The mountain could not be lost to them, because it was in their bones […]. (Marmon Silko, 1977 : 219)
Tout se passe alors comme si les lieux déterminaient le destin des personnages, parfois même incarnés dans des espaces qui les caractérisent : dans Carpentaria, Desperance et la mine symbolisent les Blancs, colonisateurs souvent violents et racistes ; la décharge de Pricklebush est l’espace d’Angel Day, grande figure féminine du roman, femme aborigène à la fois fascinante et à demi folle, tandis que le fleuve, la mer, le désert symbolisent respectivement Normal Phantom, Elias Smith et Mozzie Fishman, personnages charismatiques du roman. Signe de cette accointance entre espace et personnage, le fleuve Wangala est rebaptisé le Normal par le conseil municipal de Desperance, opération de communication destinée à promouvoir la coexistence entre Aborigènes et Blancs. Mais au-delà du « media circus » (Wright, 2006 : 9), ce baptême onomastique est révélateur de l’harmonie profonde entre Normal Phantom, « an old tribal man, who lived all of his life in the dense Pricklebush scrub on the edge of town » (Wright, 2006 : 4) et le fleuve :
The Pricklebush mob say that Normal Phantom could grab hold of the river in his mind and live with it as his father’s fathers did before him. His ancestors were the river people, who were living with the river from before time began. Normal was like ebbing water, he came and went on the flowing waters of the river right out to the sea. He stayed away on the water as long as he pleased. He knew fish, and was on friendly terms with gropers, the giant codfish of the Gulf sea, that swam in schools of fifty or more, on the move right up the river following his boat in for company. The old people say the groper lives for hundreds of years and maybe Normal would too. (Wright, 2006 : 6)
Les Anciens étaient sûrs que Normal connaissait le secret pour monter jusqu’aux étoiles en compagnie des mérous : la connaissance intime du fleuve ouvre le personnage à une dimension mythique et mystique sans que le roman ne vienne démentir ou accréditer cette communion sacrée entre l’homme aborigène et la nature.
Se déploie par ailleurs dans notre corpus tout un réseau d’images axé sur l’isotopie de l’enfermement spatial, métaphore de l’assujettissement subi par les peuples natifs américains et australiens colonisés : les clôtures de barbelés censées empêcher le bétail de se disperser dans Ceremony ou le bouclier invisible censé protéger Desperance des invasions dans Carpentaria fonctionnent comme des rappels de l’obsession coloniale des frontières réalisée dans la création des réserves, au cœur de Reservation Blues et de The Round House. Au cœur de ces espaces clos, les personnages étouffent, incapables de s’arracher à un destin d’échec et de perdition tracé par l’Histoire de la colonisation : c’est, nous l’avons vu, la tragique perte de l’innocence de Joe acculé à venger sa mère par le crime, mais c’est aussi l’histoire tragi-comique des Coyote Springs, ce groupe de rock fondé par les jeunes du roman de Sherman Alexie. Leur vie dans cette réserve des Spokanes emblématise en effet la déchéance sociale et existentielle, lourd héritage de la tentative d’ethnocide sur laquelle s’est construite la colonisation américaine. Véritable référent culturel et social, la réserve est majoritairement l’espace de l’alcoolisme, du chômage, de la pauvreté et de la dépression. Toutefois, si la trame presque picaresque de Reservation Blues montre l’échec du rêve américain à travers la brève ascension des Coyote Springs jusqu’à New York, la fin du roman s’ouvre à l’espoir d’une vie meilleure :
They all held their breath as they drove over the reservation border. Nothing happened. No locks clicked shut behind them. No voices spoke, although the wind moved through the pine trees. It was dark. There were shadows. Those shadows took shape, became horses running alongside the van. (Alexie, 1995 : 305)
Symbole de renaissance, le départ du couple formé par Thomas et Chess accompagnée de sa sœur Checkers, quittant la réserve pour la ville de Spokane, semble rompre le charme tragique d’un déterminisme spatial sans pour autant que soit nié l’héritage de l’histoire incarné par ces chevaux :
Those horses were following, leading Indians towards the city […]. [Big Mom] […] sang a protection song, so none of the Indians, not one, would forget who they are.
In a dream, Chess, Checkers, and Thomas sat at the drum with Big Mom during the powwow. […] Big Mom taught them a new song, the shadow horses’ song, the slaughtered horses’ song, the screaming horses’ song, a song of mourning that would become a song of celebration: we have survived, we have survived. […] Then she’d keep playing, nine hundred, nine thousand, nine million, one note for each of the dead Indians. (Alexie, 1995 : 306)
C’est, nous semble-t-il, dans l’espoir d’une issue heureuse dessinée malgré tout que les romans parviennent à dépasser les dualismes et les oppositions stériles, afin de s’ouvrir à une réception internationale massive.
Dépasser les frontières : la traduisibilité des référents culturels territoriaux
Dans Ceremony, Leslie Marmon Silko insère un récit mythique particulièrement saisissant, celui de l’assemblée des sorciers. L’histoire se situe « [a l]ong time ago / in the beginning / [when] there were no white people in this world / [when] there was nothing European ». Mais un rassemblement de sorciers vient troubler la paix du monde. Tandis que les sorciers rivalisent de prouesses magiques, l’un d’eux se tient à l’écart : « The witch stood in the shadows beyond the fire / and no one ever knew where this witch came from / which tribe / or if it was a woman or a man. […] / This one just told them to listen: / “What I have is a story” ». La parole magique est performative et maléfique : le sorcier raconte l’arrivée des hommes blancs, la colonisation du continent américain et la mort du monde tel que les auditeurs le connaissent. Le récit montre ainsi le danger de la parole lorsqu’elle est malveillante : l’histoire « can’t be called back » (Marmon Silko, 1977 : 146-151), donnant ainsi naissance et forme à l’histoire de la colonisation. Ainsi, par le biais de ce récit mythique, le roman explique-t-il que la malveillance des Blancs est en réalité une manipulation des sorciers destructeurs dont les Blancs eux-mêmes sont victimes puisque « it was Indian witchery that made white people in the first place » (Marmon Silko, 1977 : 132). Sans évidemment justifier les actes racistes et l’ethnocide subi par les peuples autochtones, le roman propose donc une vision du monde dépassant les clivages :
the lines of cultures and worlds were drawn in flat dark lines on [the] fine light sand [of the mine], converging in the middle of witchery’s final ceremonial sand painting. From that time on, human beings were one clan again, united by the fate the destroyers planned for all of them, for all living things; united by a circle of death that devoured people in cities twelve thousand miles away, victims who had never known these mesas, who had never seen the delicate colors of the rocks which boiled up their slaughter (Marmon Silko, 1997 : 246).
Si les Blancs, jouets des puissances magiques, restent aveugles et sourds à cette manipulation maléfique que seuls semblent saisir les Autochtones, l’unité humaine face au mal est néanmoins prônée, dans un mouvement universel dépassant les frontières spatiales, culturelles et idéologiques. Tout se passe comme si le mythe réunissait les peuples que l’Histoire avait opposés : c’est ici que se déploient les possibilités universelles du mythe qui, grâce à sa dimension symbolique et allégorique, parle aux hommes de leurs aspirations fondamentales et métaphysiques. En s’inscrivant dans un temps immémorial, le mythe abolit les frontières temporelles et, conséquemment, territoriales et culturelles, comme si l’Histoire proche se trouvait momentanément gommée au profit d’une parenthèse atemporelle réunissant l’humanité.
Chez les peuples autochtones et aborigènes, le mythe passe également par une connaissance intime de la nature héritée des ancêtres et transmise dans les contes et récits oraux. Cette invitation mystique à saisir la nature et à en interpréter les signes est particulièrement développée dans Ceremony et Carpentaria. Dans le roman de Leslie Marmon Silko, l’union de l’homme à la terre est profonde, puisque « we came out of this land and we are hers » (Marmon Silko, 1997 : 255). Perçue comme une matrice, la terre-mère est sacrée et la recherche de la communion de l’homme avec la terre est au cœur de la spiritualité. Dans Carpentaria, la Loi Aborigène réunit mythe des temps immémoriaux et connaissance de la nature, ainsi que nous l’apprend l’ouverture du roman : « [t]he inside knowledge about this river and coastal region is the Aboriginal Law handed down through the ages since time began » (Wright, 2006 : 3). Tandis que le monde des eaux du golfe est dominé par Elias Smith et Normal Phantom, la connaissance intime de la terre est incarnée par le chef spirituel Mozzie Fishman, meneur d’un pèlerinage sacré, « rigorous Law, laid down piece by piece in a book of another kind covering thousands of kilometres » (Wright, 2006 : 119).
Dans Reservation Blues, l’appel à l’universalité passe par la réactivation du mythe européen de Faust et de la légende américaine de Robert Johnson, guitariste et chanteur de blues américain né en 1911, mort à l’âge de 27 ans dans des circonstances mystérieuses. Robert Johnson aurait raconté à ses amis qu’un soir très sombre, alors qu’il se trouvait à un carrefour dans le Mississippi, une apparition aurait touché les cordes de sa guitare, produisant des sons suprahumains. S’il s’agissait peut-être à l’origine de l’esprit de la destinée Legba, « Maître Carrefour » à une époque où le Vaudou était encore très vivace au sein des communautés noires du Mississippi, la rumeur eut tôt fait d’identifier cette apparition spectrale au diable de la religion chrétienne, venu proposer un pacte à Robert Johnson. De ce pacte avec le diable procèderait le génie musical du guitariste, lui qui quelques années auparavant aurait été accusé par Son House, célèbre bluesman, de ne pas savoir jouer de son instrument. Reservation Blues s’ouvre donc sur l’arrivée du personnage de Robert Johnson dans la réserve Spokane, en quête de Big Mom dans l’espoir qu’elle puisse racheter son âme. La légende de Robert Johnson constitue un véritable creuset culturel puisqu’elle mêle le mythe faustien européen, la religion Vaudou, la spiritualité et la légende américaine populaire. En fondant son roman sur cette pluralité d’inspirations, Sherman Alexie interroge le mythe du rêve américain, ce continent de tous les possibles, à travers l’industrie musicale contemporaine toujours plus attachée au gain. Le diable, ce Gentleman, prend ainsi le visage contemporain du producteur artistique avide de gagner quantité d’âmes, métaphore figurant l’appât pécuniaire5. La réactivation contemporaine de ces légendes populaires permet ainsi à Reservation Blues de dépasser les frontières de la réserve auxquelles le titre aurait pu borner le roman pour offrir au lecteur une méditation tragi-comique sur la manière dont l’industrie culturelle capitaliste aveugle les êtres jusqu’à leur faire oublier leur intégrité.
Enfin, la nature des sujets traités facilite évidemment la traduisibilité des référents culturels. Si les territoires sont historiquement chargés de sens, les sentiments et les émotions provoqués par les enjeux territoriaux sont aisément transposables : révolte face à l’injustice ou à l’impossibilité de l’amour, désir de vengeance, sentiment d’exil… Dans ces romans, les espaces sont symboliques et identitaires : espaces de la perte, qu’il s’agisse de la dépossession territoriale ou de la perte de soi dans l’alcoolisme ou la folie, ce sont aussi des espaces de la quête et de la reconquête de soi. En témoignent notamment les héros des romans de Leslie Marmon Silko et d’Alexis Wright, Tayo et Will Phantom, fils de Normal. Le premier, tout juste revenu de la Seconde Guerre mondiale, souffre d’un grave traumatisme psychologique et se croit invisible, tandis que le second, dont le nom de famille est signifiant, parvient à se fondre dans le bush et à devenir invisible aux yeux des Blancs qui le pourchassent pour avoir saboté les pipelines. Dès lors, retrouver leur visibilité revient à retrouver leur héritage sans s’ostraciser du monde. Véritables « tragedies of homelessness at home, separation, unreachability, of the self to the self, of the self to the other and reciprocally » (Coste), les histoires de ces deux jeunes hommes, tous deux frappés d’invisibilité (certes à des égards différents), témoignent de l’inextricable lien entre dépossession territoriale et quête identitaire.
Ainsi est-ce en dernière analyse à la notion d’identité que les romans nous invitent à réfléchir, à ses limites mais aussi à son existence même : que signifie être Aborigène, être Autochtone ? Loin de revenir dans le passé, de se réfugier dans l’indigénisme ou dans le manichéisme stérile, les romans interrogent la possibilité qu’ont des cultures et des peuples séculairement niés par les institutions politiques coloniales d’exister. C’est sans doute le roman de Sherman Alexie qui interroge avec le plus d’humour cette impossible appréhension identitaire, entre d’un côté la vision pittoresque de l’« Indien » véhiculée par des Blancs en quête d’un mysticisme naïf et de l’autre, la révolte des descendants de Wounded Knee. C’est le sens d’un dialogue particulièrement saisissant entre le jeune Spokane Thomas et Chess, sa petite amie Flathead et chrétienne :
“We were both at Wounded Knee when the Ghost Dancers were slaughtered. We were slaughtered at Wounded Knee. I know there were whole different tribes there, no Spokanes or Flatheads, but we were still somehow there. There was a part of every Indian bleeding in the snow. All those soldiers killed us in the name of God, enit? They shouted ‘Jesus Christ’ as they ran swords through our bellies. Can you feel the pain still, late at night, when you’re trying to sleep, when you’re praying to a God whose name was used to justify the slaughter? (Alexie, 1995 : 167)
Emblématique de la violence sanglante de la colonisation américaine, le souvenir du massacre de Wounded Knee entraîne la colère de Thomas, révolté par la présence du mal incarné par les colons blancs auto-légitimés par leur foi chrétienne. Le dialogue entre Thomas et Chess va ensuite basculer dans la réflexion identitaire a fortiori lorsque s’en mêle Betty, jeune femme blanche désireuse d’intégrer à tout prix une communauté autochtone :
“[…] Not every white person wants to kill Indians. You know most any white who joins up with Indians never wants to leave. It’s always been that way. Everybody wants to be an Indian.”
“That’s true,” a voice whispered from the back of the van [the white girl Betty]. […] White people want to be Indians. You all have things we don’t have. You live at peace with earth. You are so wise.”
“[…] You’ve never spent a few hours in the Powwow Tavern. I’ll show you wise and peaceful. […] Why do all these white people think they can be Indian all of a sudden?”
Thomas smiled.
“You know,” he said, “I’ve always had a theory that you ain’t really Indian unless, at some point in your life, you didn’t want to be Indian.” (Alexie, 1995 : 168-169)
Irréductible à toute définition, cette « identité » oscille dans cet extrait entre fantasme naïf, refus du stéréotype au profit d’une réalité sociale brute (l’alcoolisme dans les réserves), revendication ou au contraire rejet d’une singularité et d’une exception autochtones. Le roman de Sherman Alexie interroge ainsi l’existence de cette « autochtonie » et place ses personnages et, du même coup, ses lecteurs, face à l’aporie que constitue toute individualité lorsqu’elle tente d’être circonscrite. C’est précisément l’irréductibilité de tout être humain et partant, de toute communauté, qui se trouve affirmée à travers un dialogue dont la simplicité apparente recèle en réalité de profonds enjeux culturels et éthiques.
Ainsi les littératures autochtones nord-américaines et australiennes aborigènes contemporaines sont-elles particulièrement en accord avec l’esprit de la littérature comparée invitant au décentrement. Romanciers pluralistes (Message, 2013), Alexis Wright, Louise Erdrich, Leslie Marmon Silko et Sherman Alexie dénoncent la spoliation territoriale dont souffrent les stolen generations tout en décentralisant les enjeux communautaires hérités du besoin de reconnaissance réclamé par les descendants des peuples natifs. C’est en en faisant les creusets des tragédies de leurs personnages, enfermés dans des limites spatiales, contraints par des frontières idéologiques ou juridiques ancrées dans la territorialisation coloniale, perdus dans des espaces immenses en quête de sens, que les romans pensent les territoires comme des référents culturels et sociaux susceptibles de faire sentir au lecteur la tragédie des conséquences de la colonisation pour les générations volées. En inscrivant dans les territoires les stigmates de la colonisation, les romans dénoncent la tragédie de l’Histoire en même temps qu’ils entrevoient la possibilité d’une issue pour leurs personnages. C’est précisément grâce à cet espoir qu’ils nous paraissent s’élever au-dessus d’une lecture plus étroitement politique. Si la dénonciation des crimes coloniaux et la revendication des droits des peuples natifs sont évidemment au fondement de ces romans, leur succès international auprès d’un grand public non-autochtone, non-spécialiste, voire étranger à ces considérations idéologiques, nous invite à une lecture au-delà des frontières.
- 1Précisons combien la notion d’identité s’avère problématique, plus encore lorsqu’elle est appliquée à un peuple, une communauté ou une nation, puisqu’elle participe bien souvent d’un raccourci politique visant à figer les contours d’une personne ou d’un groupe. Faute de mieux, nous l’employons ici pour tenter de désigner cette conscience d’éléments plus ou moins persistants au sein d’un ou de plusieurs êtres, résultat d’un héritage familial, social, historique, des contingences du présent et d’une construction discursive. Dans cette perspective, il va de soi que l’identité est mouvante, instable, difficilement circonscrite et de fait, impossible à définir, mais néanmoins existante, comme ce qui vise à caractériser un être ou un groupe afin de mieux les comprendre sans pour autant les réduire. C’est précisément aux limites de cette notion que nous nous intéresserons, en particulier avec l’œuvre de Sherman Alexie.
- 2« Autochtone », « indigène », « issu des minorités ethniques », « Indigenous », « Native » : les usages varient au sein des travaux critiques actuels pour désigner les écrivains descendants des peuples présents sur les territoires américains et australiens avant la conquête et la colonisation, sans toujours pouvoir se départir de manière satisfaisante des significations idéologiques ou symboliques sous-jacentes.
- 3Pour les romans de Louise Erdrich et Sherman Alexie, la traduction française opacifie à cet égard l’importance liminaire des enjeux territoriaux, dans la mesure où les titres originaux The Round House et Reservation Blues sont traduits par Dans le silence du vent et Indian Blues, l’espace de la réserve devenant dans ce second exemple synonyme d’indianité par une métonymie assez réductrice sans doute destinée à rendre plus explicite l’ancrage autochtone aux lecteurs francophones.
- 4Nous retrouvons ici la pertinence des analyses de Michel Foucault dans son Histoire de la folie à l’âge classique : les marges de la ville sont l’espace des pestiférés puis des êtres jugés fous, socialement déshumanisés, destitués de leurs droits, incarcérés loin du centre.
- 5Dans Phantom of the Paradise sorti en 1974, Brian de Palma réactive pareillement le mythe faustien à travers la dénonciation de l’avidité des producteurs musicaux.