Appel de textes
Dédoublements littéraires
Ce numéro propose d’interroger la figure du double telle qu’elle se retrouve dans la littérature, la théorie littéraire, la théorie philosophique et les cultural studies. « C’est à l’autre, à Borges, que les choses arrivent [1] », écrit Borges. Aussitôt couchés sur le papier, aussitôt affichés à l’écran, les mots qu’on croyait provenir de nous-mêmes nous apparaissent comme des mots étrangers. Se trouvant face aux traces laissées par son esprit dans la matière comme face à une altérité irréductible, qui se lit soi-même est conduit à renoncer à l’illusion d’une intériorité qui survivrait, intacte, à son extériorisation dans l’écriture. D’où l’extrême importance de la figure du double dans la littérature mondiale. Penser l’écriture comme un dédoublement, c’est la penser non plus comme extériorisation de l’esprit dans le monde, mais comme va et vient entre les deux, comme dépossession de l’esprit se laissant contaminer par l’inconnu auquel le renvoie sa propre matérialisation. Penser le double comme figure de la création littéraire, c’est ouvrir la théorie littéraire à la transcendance en vertu de laquelle les mots disent toujours plus que ce qu’ils veulent dire.
Cela n’a jamais été aussi visible qu’aujourd’hui, alors qu’on assiste à l’investissement du domaine de la littérature par les nouvelles technologies. Insérer une photographie ou un vidéo dans un texte, c’est montrer que l’intérieur est déjà contaminé, avant même son extériorisation dans l’écriture, par le dehors qui lui échappe en le redoublant à l’infini. Déjà dans les années trente Benjamin notait cette prédominance de l’extérieur sur l’intérieur à l’époque des nouveaux moyens de communication : « Une toute nouvelle pauvreté s’est abattue sur les hommes avec ce déploiement monstrueux de la technique. Et l’envers de cette pauvreté, c’est la richesse oppressante d’idées qui filtrent chez les gens — ou plutôt qui s’empare d’eux [2] ». Si la pauvreté de l’expérience intérieure à la modernité se conjugue à la richesse oppressante de l’extérieur, c’est que le double, qui a toujours été présent comme versant négatif du principe d’identité, tend maintenant à revendiquer un empire absolu sur l’esprit dont la prétention à être lui-même l’absolu a été mise à mal par le déploiement de la technique.
On pourrait aussi penser à des auteurs plus récents, tel Michel Foucault, qui, en montrant que l’intériorité du sujet moderne est un effet des pratiques disciplinaires s’inscrivant sur le corps, montre que l’intérieur est toujours contaminé par l’extérieur, qu’il en est le produit. Reprise et approfondie par Judith Butler, cette réflexion servira ensuite à démontrer que l’identité sexuelle, en tant que vérité intérieure du sujet, s’exprime d’abord à la surface du corps, à travers un ensemble de comportements visant à performer le genre, ce qui conduit à l’impossibilité de penser l’intériorité en dehors du processus par lequel elle est sans cesse redoublée, sans cesse reproduite en tant que signification de surface. Loin d’être confinée à la littérature au sens traditionnel du terme, la figure du double hante donc une grande partie de la pensée critique du siècle dernier.
Nous lançons un appel à des propositions d’articles qui aborderont, à partir d’œuvres littéraires ou de réflexions conceptuelles, la problématique du double telle qu’elle apparaît dans la littérature mondiale ainsi que dans la théorie critique entendue au sens large.
Liste (non exhaustive) de problématiques pouvant être abordées :
Le double et le principe d’identité, de l’étranger, du post-humain : Adéquation ou non adéquation de l’individu à son identité de genre, de race ou de classe.
Le double et la figure de l’auteur : Distinction entre l’auteur empirique et la « fonction auteur », entre la personne concrète qui écrit et l’auteur comme abstraction produite par l’institution.
Le littéraire comme redoublement de la réalité : Fonction représentationnelle de l’art vs production du réel par l’art.
Le double et la littérature comparée : Le comparatisme comme effort pour constamment redéfinir le littéraire à partir de ce qui n’est pas le littéraire mais qui y est lié tout en s’en distinguant.
La traduction comme générateur de doubles littéraires : le passage d’une langue à l’autre apporte un changement qui fait du texte traduit un double du texte original.
La réécriture comme fabrique de doubles des personnages de fiction dans les littératures du monde.
Les auteur-e-s doivent envoyer leur proposition de 300 mots (en français ou en anglais) au plus tard le 8 juillet 2015 à l’adresse suivante : redaction@post-scriptum.org . Les propositions doivent parvenir en deux documents : sur la première page doit apparaître votre nom, votre université d’attache et le titre de votre article ; sur la seconde page doit apparaître le titre de votre article et le texte de votre proposition. Les propositions feront l’objet d’une évaluation par le comité de lecture.
Calendrier :
8 juillet 2015 : Envoi des propositions par les auteur-e-s.
15 juillet 2015 : Décision du comité de lecture.
30 septembre 2015 : Soumission des articles complets par les auteur-e-s.
7 octobre 2015 : Décision du comité de lecture.
15 janvier 2016 : Remise de la version finale de l’article retravaillé en fonction des commentaires du comité de lecture.
- Éditeur·rice(s)
-
- Louis-Thomas Leguerrier
- Date limite
- Date de parution
- 1 janvier 2016