L’autophagie des formes littéraires et le cas de Génie Divin de Guillaume Dustan

Dès ses origines mythologiques, l’autophagie entretient un rapport au manque et au désir, tout en recelant une dynamique qui conjugue autodestruction et subsistance. Pensons notamment au roi Érysichthon des Métamorphoses, dont l’hybris est puni par Cérès, déesse de la fertilité, qui « livre son corps aux tourments ravageurs de la faim » (Ovide 1992, 283). Incapable de trouver quelconque aliment qui puisse satisfaire son désir abyssal, il « se mit à déchirer lui-même ses propres membres à coups de dents; l’infortuné nourrit son corps en le diminuant » (Ibid., 283). Quelle chimère ce roi entrevoyait-il au bout de son désir, de cet hybris qui l’a mené à abattre l’arbre sacré consacré à Cérès et à recevoir son châtiment? Il s’agit du rêve d’ériger, sur la terre d’où cet arbre poussait, son propre royaume. Ainsi, au sein de ce mythe, l’(auto)destruction est symboliquement liée au désir et à l’engendrement, voire à une pensée utopique. Par ailleurs, la métaphore de l’autophagie, où autodestruction et subsistance sont les deux faces d’un même mouvement, existe également dans le savoir médical pour y désigner un mécanisme ambivalent, à la fois de survie et de mort cellulaires. L’autophagie d’un organisme survient « en situation de stress (carence nutritionnelle, accumulation d’agrégats protéiques) » (Codogno 2005, 233) et constitue « un mécanisme de survie cellulaire par le recyclage des nutriments […] qui permet le maintien du métabolisme cellulaire et l’élimination des macromolécules et des structures cellulaires altérées » (Id.). Au travers des ères et des domaines, le motif de l’autophagie semble être marqué de cette dynamique paradoxale, où l’autodestruction coïncide avec l’horizon de l’engendrement, voire de la création. On retrouve ce motif de façon fragmentaire dans le domaine des études littéraires, particulièrement celles portant sur la littérature moderne. D’une part, notre travail consistera à critiquement retracer ses manifestations, notamment dans les travaux de Julie Tremblay, Jean-Marie Schaeffer, Ioana Vultur, et Simon Harel, mais également à proposer nous-mêmes une pensée de l’autophagie comme poétique, articulée à partir de notions linguistiques, philosophiques et psychanalytiques. D’autre part, pour donner suite à cet exposé, nous développerons une lecture du roman contemporain Génie Divin de Guillaume Dustan, où la poétique autophage entre en résonance intime avec des notions appartenant aux théories queer et avec une pensée paradoxale de l’utopie.

Approches de l’autophagie

Commençons par un survol des manifestations d’une pensée de l’autophagie en études littéraires. Le mémoire de maîtrise de Julie Tremblay, Le texte autophage dans l’œuvre de Normand Chaurette, nous intéresse particulièrement par le traitement de l’autophagie comme déploiement formel du texte, ainsi que le rapport que cette dernière entretient avec le désir. Pour Tremblay, les pièces de Chaurette relèvent d’une autoréférentialité. Nous sommes devant une œuvre « pleine et avide de sa propre réalité événementielle, une œuvre qui se nourrit de sa propre chair pour mieux y renaître indéfiniment » (Tremblay 2007, 4). Jusqu’ici, nous retrouvons cette conjonction de l’autodestruction et de l’engendrement par laquelle s’est dégagé pour nous le mouvement autophage du texte. Tremblay précise l’actualisation formelle de ce dernier par « les multiples mises en abîme, les inlassables répétitions, la fragmentation et la déconstruction du discours théâtral » qui passe par « l’emploi d’énonciateurs multiples pour un même rôle, une même phrase ou un même mot », actualisant une « désincarnation de la parole » et un « vide a-temporel » (Ibid.). Ainsi, c’est la déconstruction des rouages du texte théâtral qui constitue le moteur de l’œuvre de Chaurette, se faisant en se défaisant par la répétition et la fragmentation. Tremblay écrit que ce texte autophage abrite le fantasme d’engendrer un corps-texte, sorte de transsubstantiation que le discours des personnages met en scène : « l’autophagie est liée à la résurrection du corps dans le corps-texte », corps pur « débarrassé de toute signification préexistante » (Ibid., 65), motif que nous découvrirons comme étant central à la poétique autophage de Guillaume Dustan. Ce fantasme d’engendrement du corps-texte serait habité par un « désir de se fondre dans l’Infini de la Matière, rentrer en elle et s’y défaire librement » (Ibid., 69), faisant coïncider l’autodestruction et l’engendrement dans une pulsion de mort, répétition renvoyant à un désir de retourner à l’inorganique, tel que l’écrivait Freud1. Nous retiendrons ces aspects dans notre propre travail, notamment dans l’analyse du texte de Dustan où la jouissance consume le corps et les formes littéraires/linguistiques. À partir de Tremblay, il serait possible de penser l’autophagie non seulement comme une mise à mal de caractéristiques génériques (pièce de théâtre, personnages, temporalités), tel qu’elle le fait, mais aussi comme une poétique structurant la forme même de l’expression langagière (lexique, syntaxe, etc.). 

Le travail de Jean-Marie Schaeffer et de Ioana Vultur fait écho à celui de Tremblay, mais il s’intéresse plutôt à ce qu’on a appelé « le cycle indien » dans l’œuvre de Marguerite Duras. Les chercheurs font usage du motif de l’autophagie pour caractériser ce cycle d’œuvres transfictionnelles qui « déstabilise fortement la notion même d’identité opérale » (Schaeffer & Vultur 2006, 3). Non seulement ces œuvres se dédoublent en multiples variations2, mais le cycle n’actualise pas une expansion de l’univers transfictionnel, mais plutôt un « mouvement […] qui est celui d’un délitement progressif » selon une « série ouverte, fondée sur la répétition et l’écart » (Ibid., 4-5). Ainsi, d’œuvre en œuvre, « ordre de parution et ordre diégétique ne se correspondent plus ». Reprenant sans cesse le motif du bal de S. Thala, le cycle relance tout en modifiant « l’univers fictionnel dans un geste répétitif compulsionnel », faisant en sorte que les relations diégétiques « sont en permanence concurrencées, voire déconstruites, par des relations paradigmatiques qui sont de l’ordre de la récurrence, de la variation, de l’écho, de l’affaiblissement progressif, etc., d’un même noyau thématico-narratif » (Ibid., 7-8). C’est dans ce ressassement inter-opéral que se manifeste « une perte d’identité généralisée » qui touche non seulement les œuvres elles-mêmes (qui se disséminent en plusieurs media et variantes) mais également les personnages (dont Lol et Richardson qui finissent par ne plus se reconnaître ni entre eux ni eux-mêmes), puis enfin le style lui-même « qui [par un jeu de blancs, de suspense, de silence] se mue en un style de la négation, de l’appauvrissement, de la perte » (Ibid., 11). Ainsi, du style jusqu’aux relations entre œuvres, en passant par les subjectivités dépersonnalisées qu’elles mettent en scène et par « un éclatement et une désidentification des voix » (Ibid., 16) narratives, ce cycle autophage procède par répétitions destructrices d’œuvre en œuvre et en ayant pour noyau négatif le bal de S. Thala. En somme, la poétique de Duras est marquée par la complémentarité polymorphe de la destruction et de la création, dynamique autophage s’il en est. 

Il en va de même chez Artaud, notamment dans la lecture que fait Simon Harel de son œuvre. Or un potentiel de jouissance, voire d’émancipation, s’ajoute chez Artaud au couple destruction-création inhérent à l’écriture autophage que relève l’analyse de Schaeffer et Vultur. Tout au long de Pour en finir avec le jugement de dieu, le sujet poétique revendique une autophagie dont Harel écrit qu’elle est à la fois cruelle3 et émancipatrice, exprimant « que l’autophagie mène à la libération » (Harel 2021, 135). La dévoration de soi par soi, « terrifiante en termes symboliques et jouissante dans [sa] profération poétique » (Harel 2021, 132), s’insurge principalement contre le corps sexué et contre la reproduction physique dont il est synonyme, qu’Harel associe chez Artaud à une reproduction symbolique (celle des significations univoques, arrêtées) : « Le sexe est en effet le point de départ d’une incarnation à valeur reproductive, ayant comme principale fonction d’instaurer un registre d’expression pouvant copuler grammaticalement et subjectivement avec la nécessité d’un autre-que-soi. » En effet, pour Artaud, le sexe fait écho à la reproduction d’un langage figé, normatif, comme il fait écho à « la famille, l’État, l’armée » (Ibid., 133). Son texte revendique de refaire un corps (sans organes) à l’être humain, un corps asexué et à la fois engendré et consumé par l’écriture poétique, de la même manière que cette dernière s’engendre en consumant les rouages du langage par la pulsion4 : utopie paradoxale. Harel défend que l’autophagie d’Artaud s’incarne dans un corps meurtri indissociable d’une langue poétique meurtrie, qui par leur autodestruction créatrice mettent en cause « l’identité-sujet » et sa reproduction indéfinie par le langage comme par le corps, et revendique « une défaite d’où jaillit la nouveauté » (Ibid., 134). Ainsi, chez Artaud comme chez Harel, nous retrouvons les intimes implications du désir et de la pulsion de mort dans l’écriture autophage, en tant que celle-là fait coïncider l’engendrement et l’autodestruction qui fondent celle-ci, maintenant à l’horizon ce corps utopique de pure différence, libéré dans son langage comme dans son sexe de toute répétition/reproduction. 

Ces trois études d’autophagies littéraires nous fournissent un point de départ non négligeable. Nous y retrouvons des bribes de conceptualisation de l’autophagie comme poétique littéraire faisant coïncider l’(auto)destruction et l’engendrement. Or, ces reprises de l’autophagie comme concept d’études littéraires demeurent disparates, isolées dans leurs divers champs disciplinaires (la psychanalyse chez Harel, l’esthétique chez Schaeffer et Vultur, la philosophie chez Tremblay). Afin de faire sens des pistes que ces pensées nous proposent, nous réinvestirons les éléments que nous avons noté plus haut dans une conceptualisation opératoire plus globale de l’autophagie du texte littéraire, investissant à la fois la psychanalyse, la philosophie et l’esthétique. Puis, nous mettrons le texte de Dustan à l’épreuve de cette pensée d’une poétique autophage, comme cette dernière sera mise à l’épreuve du texte de Dustan.

L’autophagie : concept opératoire

Au premier chef, nous désirons faire la part belle à la jouissance que nous croyons inscrite à même l’écriture (et le sujet) autophage tel que nous l’entendons, et qui n’a été abordé que de biais par Tremblay et sommairement par Harel. Chez Barthes, la jouissance du texte naît d’une tension entre « la langue dans son état canonique, tel qu’il a été fixé par l’école, le bon usage, la littérature, la culture » et sa mise à mal, « là où s’entrevoit la mort du langage. » La jouissance nécessite ces deux termes et leur tension : « La culture ni sa destruction ne sont érotiques; c’est la faille de l’une et de l’autre qui le devient » (Barthes 1973, 14-15). Le texte de jouissance, par sa déconstruction du langage institué, « met en état de perte […], fait vaciller les assises historiques, culturelles, psychologiques, du lecteur […], met en crise son rapport au langage. » (Ibid., 25-26) La jouissance est ainsi intimement liée à l’autophagie. Cette dernière en constitue le véhicule formel, se manifestant dans des textes qui s’engendrent en détruisant « jusqu’au bout, jusqu’à la contradiction, [leur] propre catégorie discursive, [leur] référence sociolinguistique » (Ibid., 51) et œuvrant à constituer un corps érotique du texte5. Le texte de jouissance, allant en se défaisant, implique l’engendrement « [d’]un sujet clivé, qui jouit à la fois, à travers le texte, de la consistance de son moi et de sa chute » (Ibid., 36). Or, Barthes n’approfondit pas les implications psychiques de cette jouissance, synonyme de consistance et de chute du sujet, tel que le fait notamment Julia Kristeva un an plus tard dans La révolution du langage poétique

Notre lecture de Kristeva complexifie notre conceptualisation d’une autophagie jouissive du texte littéraire; nous situons cette dernière au centre de ce que la philosophe nomme la dialectique de la signifiance, processus d’écriture qui lie la vie pulsionnelle d’un sujet (ce qui relève du sémiotique) en tant qu’elle investit et détraque les rouages de l’ordre symbolique du langage6, le texte littéraire désignant dès lors une « pratique de structuration et de déstructuration » (Kristeva 1974, 15) à la fois du texte et du sujet. Les pulsions, précédant le rapport symbolique du sujet, en tant qu’elles désignent des tensions désirantes vers un état antérieur (ultimement la mort) tel que l’entendait Freud, désignent chez Kristeva « des charges contre des stases » (Ibid., 27) du langage. Dans l’écriture littéraire, particulièrement celle de la modernité, ces charges, ancrées à ce que Kristeva nomme la chora sémiotique, surgissent pour désorganiser les formes discursives statiques (forme, syntaxe, lexique) comme l’écriture littéraire de Barthes jouit en mettant à mal le langage institué et canonique. C’est par ce processus que s’engendre le sujet de l’écriture : « Lieu d’engendrement du sujet, la chora sémiotique est pour lui le lieu de sa négation, où son unité cède devant le procès de charges et de stases la produisant » (Idem). Donc pour Kristeva, le sujet comme l’écriture, investis tous deux de désir sous la forme de la pulsion, font coïncider autodestruction et engendrement par le biais de l’expérience du texte littéraire. Ainsi, les significations univoques, transcendantes et sociales du signe (ce qu’elle nomme la « censure d’ordre social qu’est la censure signifiant/signifié ») sont déréglées par l’écriture littéraire qui « pluralise la doxa », puis « témoigne entre autres, sinon avant tout, d’un afflux de la pulsion de mort » dans la forme du langage et dont le mouvement dialectique forme le sujet autophage du texte (Ibid., 47; 61). En somme, l’écriture littéraire, sur le plan de son matériau, se fait et se défait comme son sujet, le tout d’un même souffle. Le travail formel, esthétique, implique cette dynamique ambivalente, autophage, d’(auto)destruction et de création : déplacement, re-signification, jouissance qui meurtrit et réinvestit le commun (l’ordre symbolique chez Kristeva, la langue ou la culture chez Barthes).

Cette idée n’est pas étrangère à la linguistique et à la poétique. Henri Meschonnic, par exemple, pense le discours (particulièrement poétique) comme produisant des sens, des valeurs singulières, via un processus de réorganisation (le rythme) des structures communes du langage institué qu’elle met à mal et transforme :

Je définis le rythme dans le langage comme l’organisation des marques par lesquelles les signifiants, linguistiques et extralinguistiques […] produisent une sémantique spécifique, distincte du sens lexical, et que j’appelle la signifiance : c’est-à-dire les valeurs, propres à un discours et à un seul.
(Meschonnic 1982, 217)

Ainsi, le rythme déplace la signifiance, agite ce qui paraît statique dans le langage7. La poésie montre bien que le sens commun (indissociable de l’ordre social, ce que les psychanalystes ont rassemblé sous l’égide de l’ordre symbolique) est plus mouvant, plus plastique qu’on ne le croit. Les discours, dont la poésie constitue une forme extrême, différencient les sens communs et les structures du langage en les réinvestissant de manière singulière. C’est l’alliage entre ces éléments qui produit le sens, et que Meschonnic nomme donc le rythme. Au sein de ce processus, l’unité du signe et celle du sujet se trouvent remises en cause, excentrées l’un par l’autre8 dans leur usage réciproque : « Si le sujet de l’écriture est sujet par l’écriture, c’est le rythme qui produit, transforme le sujet, autant que le sujet émet un rythme. » (Ibid., 83) Sujet, rythme s’imbriquent l’un dans l’autre par le discours, s’y constituant et s’y défaisant sans cesse.

Récapitulons. Notre concept opératoire d’une poétique autophage se cristallise en un composé de ces théories d’où l’on retient la tension paradoxale entre la création et l’(auto)destruction. Nous avons cherché à penser cette tension et sommes arrivé au point suivant : dans l’acte de création littéraire le réarrangement rythmique des formes instituées du discours (lexique, syntaxe), producteur de sens et de sujet (Meschonnic, Oury), est agi par une pulsion de mort qui investit et détraque les rouages de l’ordre symbolique (Kristeva). C’est ce qui fait de la pratique du texte une source de jouissance, donc à la fois de constitution et de faillite (Barthes) du sujet et de son discours. La création implique ainsi une négation, un déraillement, une réappropriation et une re-signification – mouvement de la pulsion qui s’arroge le matériau (ici, le langage, l’ordre symbolique) et le transforme jouissivement. Elle nie son état présent, le met à mal pour en faire jaillir autre chose, des sens nouveaux. Cet engendrement par la négation prendra chez Dustan non seulement la forme d’une œuvre littéraire, mais s’y actualisera également par une pensée paradoxale, voire impossible, de l’utopie. C’est au cœur de cette dynamique, ainsi qu’au point d’effondrement de l’humanisme, du structuralisme et du phallogocentrisme, que s’écrit Génie Divin.

Le cas GD

(hiver 01) (avertissement)

Attention. Je ne suis pas Renaud Camus. Je suis pire. Le politically correct, je suis pour. Bien sûr. Que je suis content qu’en France ça soit chic d’avoir un nom bizarre maintenant. Et que ça soit la mode d’être pédé. Et que tout le monde soit devenu juif. Et qu’on ne puisse plus faire de blagues racistes comme encore à la fin des années 1980. Que la bourgeoisie française ne fasse plus la moue devant Libération (avant ça s’appelait Libé, mais bon), mais bave pour y envoyer ses enfants. Qu’au Figaro, ils soient de gauche comme toute la classe dominante maintenant. […] Je dis merci pour le compact-disc, le magnétoscope, le porno ménager, les salles de gym, le DV, tout. Je remercie le Seigneur qu’on nous bassine avec Proust, Barthes et Foucault, et plus avec Blondin, Drieu et Barrès (sans oublier Bloy, Péguy et Bernanos). Vive les années 1990, O.K. Je dis juste que now elles sont over. Je lance un cri pour l’à venir. Aaaaaaaaaaaaaah! Capisci?
(Dustan 2021, 397)

Ainsi débute un roman hors de ses gonds. En 2001, au seuil du millénaire, Dustan publie Génie Divin et l’avertissement qui chapeaute le texte donne le ton (post-ironie sauvage) et le programme (une lecture de l’époque, de l’histoire littéraire et de la sienne propre, en authentique moraliste9, couplée à une revendication politique de « l’à venir »). Cette dernière n’est pas thétique, définie, systématique; elle est de l’ordre du cri : donc, d’une part, de l’ordre du corporel et du pulsionnel et d’autre part, de l’ordre de l’a-signifiant. L’entièreté de GD tient dans l’avertissement. Sa forme est celle du fragment daté, à la manière d’un journal : « (hiver 01) ». Son contenu est celui d’une parrhésia10, sans cesse jouant d’une ironie si appuyée qu’elle n’en est même plus (« Je ne suis pas Renaud Camus. Je suis pire. Le politically correct, je suis pour. »), qui décrit et critique l’époque en faveur d’un progressisme absolu, associé au corps et au désir via ce « cri pour l’à venir ». Par le biais de cette parole en roue libre, Dustan s’attaque sans entrave à un ensemble de sujets qui marquent la fin des années 1990 en France, entre autres : le sida (dont il est atteint depuis 10 ans, et qui a causé selon lui une nouvelle répression sexuelle), les racines judéo-chrétiennes de l’Occident, le milieu littéraire français, la société hétéro-patriarcale, l’arrivée des mass media et des biotechnologies, le crépuscule de l’humanisme, de l’État, de la famille, mais surtout la fin du logocentrisme et l’épanouissement des possibilités de jouissance du corps. On retrouve également plusieurs réflexions sur sa propre subjectivité, sur la manière dont elle est faite et défaite par le geste d’écriture, par le désir, par les drogues, la danse, la technologie, la maladie, etc. 

Nous pouvons associer Génie Divin à une poétique de l’autophagie en ce que son écriture, tant dans son propos que dans sa forme, use de cette double dynamique d’(auto)consommation et d’engendrement comme d’une logique interne. Sur tous ses plans rythmiques (structure globale, structure des fragments, structure de la phrase), elle s’engendre en se détruisant, voire en se dépensant. Elle détraque « sa propre catégorie discursive » (Barthes 1973, 51). Cette dépense du langage met en abyme une posture politique. En destituant le signifiant et la syntaxe du langage commun, en cassant la possibilité des significations univoques, l’autophagie de l’écriture dustanienne revendique un processus de destruction du commun et de libération du singulier; du désir et du devenir. C’est notamment sa posture quant aux identités sexuelles (proche de celle de Monique Wittig qu’il cite abondamment). Le texte de Dustan appelle à la décodification du désir, à son détachement de tous carcans de genre, de binarité, d’hétérosexualité, au profit du corps matériel et de sa dépense érotique. Rappelant les œuvres d’Artaud et de Chaurette, Génie Divin fait implicitement de ce corps dé-signifié, libéré du poids de l’ordre symbolique, le porteur en germe à la fois de l’apocalypse et d’une puissance de création infinie. Apocalypse/genèse d’un corps malade et jouissif, portant une langue née en se consumant. À l’horizon, cette utopie paradoxale, inatteignable et impensable de l’à-venir : silence ou vacarme inintelligible.

Forme(s) autophage(s) et utopie paradoxale

Commençons par nous pencher sur le travail formel qui anime le texte. La poétique autophage spécifique de Génie Divin est tributaire d’une double dynamique qui unit la performance à la dépense. L’écriture y performe ses éléments formels jusqu’à l’usure, performance toujours marquée par l’ironie, voire la post-ironie11 (qu’il s’agisse d’éléments plus englobants tels que la forme du journal, ou d’éléments isolés incluant entre autres, comme nous le verrons, le courriel, l’entretien, le collage, etc.). Nous étudierons cette performance/dépense des formes suivant une structure d’entonnoir, débutant par les éléments formels les plus englobants pour parvenir à quelques-uns des éléments plus spécifiques. 

Tout d’abord, Dustan attaque la forme même du livre. Génie Divin s’ouvre sur une page des œuvres « du même auteur », où nous retrouvons tout d’abord sa première trilogie, l’« Autopornobiographie », composée de romans publiés chez P.O.L. de 1996 à 1998. Puis s’ouvre sa seconde, « Bordelmonstrepartout », qui inclut Nicolas Pages (Balland, 1999) et Génie Divin (Balland, 2001), ainsi qu’Et Rose (Balland, plus tard). Ce dernier roman n’est pas écrit; il est promis entre parenthèses. Le reste de la page inclut cinq autres sections d’œuvres, littéraires et cinématographiques, dont la très grande majorité n’existe pas. S’arrogeant le paratexte, Dustan le fait éclater pour y faire proliférer une dépense linguistique : titres de catégories et d’œuvres tous plus déjantés les uns que les autres, dont les trois quarts sont de pures fabulations. On retrouve dès cette première page la poétique de Génie Divin : reprise performative des formes typiques de littérature (ici, la page des œuvres de l’auteur) que l’écriture évide et dépense à l’excès :

Vraisromans
Spacer, Stock (promis)
Jasmin (j’aime bien les fleurs blanches, et qui sentent bon)
Pivoine, peyotl, pavot (si vous êtes sages)
Renoncule (no comment)

Cachésfilms
Enjoy, film, 2000
Nous, film, 2000
Back, film, 2000

Dansésfilms
Songs in the key of moi, film, 2001
Le pavillon des lacs de Chine, film (peut-être)
(Ibid., 392)

Cette page, au même titre que tous les autres fragments, est datée : « (hiver 01) ». Dustan brouille les pistes; nous ne sommes plus dans le paratexte neutre et hors-création. Nous entrons de plain-pied dans une œuvre qui performe son propre statut de livre pour mieux le mettre à mal. Nous retrouvons le même geste dans les épigraphes (datés également), au sein desquels Dustan cite son propre ouvrage : « J’ai décrit la névrose de l’Occident. » / Guillaume Dustan / Génie Divin » (Ibid., 395). Or, cette phrase auto-citée ne se retrouve que dans les épigraphes! Dustan met en ouverture de son « roman » une citation du roman en question, qui ne se retrouve nulle part ailleurs. Il cite sa propre épigraphe, rendant ainsi indistincts l’épigraphe et le texte littéraire comme tel. S’y côtoient également des citations de Nietzsche, Bret Easton Ellis, le dj new-yorkais Danny Tenaglia, un article de Tim Parks dans Libération, Boy George, et Kevin Saad. Ce mélange hétérogène des médias, des registres, des époques, des référents, couplé à une mégalomanie à la fois résolue et comique (l’autocitation qui ne se retrouve qu’en exergue) est caractéristique de l’écriture de Dustan post-trilogie autopornobiographique. Nous sommes ainsi devant une écriture qui dévore ses formes, ici paratextuelles, en les performant à l’extrême, les investissant d’une inventivité sans scrupules. Comme l’écrivaient si bien Barthes et Kristeva, l’écriture littéraire crée via la mise à mal pulsionnelle, désirante, des formes communes, des rouages d’un ordre symbolique. Nous sommes devant cette dynamique en action, face aux ravages de la pulsion sur la forme, et au logos en mouvement qu’implique l’acte de création. 

L’écriture défait le livre, tout comme elle défait la forme globale du journal. En datant le paratexte, tout comme l’envoi, l’avertissement, le genre du journal est arraché à lui-même. Y contribue d’autant plus le fait que les fragments datés sont souvent en désordre chronologique, et que certains sont datés de l’année 2100, moment que Dustan associe à l’utopie : « J’avais imaginé qu’en 2100, le monde serait libre. Et : heureux » (Ibid., 449). Outre cela, le contenu des fragments datés n’a presque rien à voir avec celui d’un journal. On saute d’articles à une biographie, en passant par des transcriptions d’entretiens, des conférences données en anglais, des listes, un programme de politique municipale, des scénarios de film, des citations de chansons, un index plus ou moins ironique de concepts-clés, ainsi qu’un projet de quatrième de couverture pour Génie Divin, entre autres choses. Livre monstrueux et bordélique s’il en est, le texte détourne constamment les attentes de son lecteur, réinvestit des formes qui traditionnellement n’ont pas leur place dans les livres, encore moins dans ceux qu’on associe à la forme romanesque, orchestrant une sorte de déterritorialisation mutuelle à la fois du roman (ou du journal) et des multiples éléments formels qui y sont repris. 

Sur le plan rythmique de la phrase, de son lexique et de sa syntaxe, on retrouve la même dynamique autophage de performance et de dépense. On y passe de l’argot au verlan, aux références savantes ou populaires, au franglais, aux glossolalies, aux onomatopées, aux néologismes, à une syntaxe oralisée, etc. L’exemple le plus extrême est la fausse quatrième de couverture :

Guillaume Faustan, Guillaume Toustan, Pikachu Pi-ka-chu, Guillaume Duras. Quels nouveaux tours, quelles nouvelles fêtes ? Conforme à l’invocation angotienne (« le récit, on s’en fout », Les Inrocks, je ne sais plus quand), au bord du suicide pour se conformer à lui-même (« après 28 ans, on est mort » et « en dessous d’1,80 m, 72 kilos, 22 centimètres, on n’existe pas » Guillaume Dustan / Génie Divin), écrivant de plus en + mâle le franc c’est : Guillaume Dustan, tout en doré (on va voir s’il va se ramasser ou s’il s’est fait assez de nouveaux amis/ennemis depuis la dernière fois – septembre 1999, Nicolas Pages, Prix de Flore). Roman, puisqu’au « Rayon », mais essai surtout, transformé ? Non, explosé-dynamité-puzzlé-feu d’artificé (j’ai toujours beaucoup demandé à mes lecteurs – c’est pour qu’ils soient mieux) toujours lui-même, simplement « de plus en plus politique ». Tout y passe : la « soi-disant gauche », les sorcières, la drogue (encore), l’ordre hétéro-nazi, le starsystem (ça, c’est bien, d’après lui. Devinez pourquoi ?), les médias, Dieu, le diable, Madonna, le sexe […] De plus en plus modeste aussi : (la 4e) : « Je suis le Génie Divin, Macho Surfeur from Hell, PC 92, TZ 93, XS 4 All (…) » (et obsédé par les joies de la ponctuation)/////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////
(Ibid., 509-510)

Hyperbole stylistique poussée à bout, l’écriture de Dustan jouit d’une autodestruction comme le montrent bien les changements de registre, la parataxe incessante, la revendication de l’éclatement (« explosé-dynamité-puzzlé-feu d’artificé »), les détournements formels comme la citation d’une quatrième de couverture (« Je suis le Génie Divin, Macho Surfeur from Hell […] ») à l’intérieur d’un projet de quatrième de couverture. 

Cette dépense explosive d’éléments formels, performés jusqu’à rendre le texte surmené, préconisant l’artifice, l’exaltation du style et détrônant au passage la dichotomie entre le sérieux et l’ironique, et entre le bon et le mauvais goût, est caractéristique d’une esthétique camp telle que l’a pensée Sontag (1966, 275-292), et que Dustan pousse dans ses derniers retranchements. Texte en révolution permanente, Génie Divin est traversé par une constante thématique, qui fait écho tant à Barthes qu’à Kristeva : la revendication politique du corps et de la jouissance contre toute injonction symbolique et normative. C’est ce que cette poétique autophage sert à affirmer, notamment dans un passage qu’il nomme (post-)ironiquement « (la thèse) » :

Vivre = jouir du corps merveilleux + assainir l’esprit mag(nif)ique
Si bien que :
Cuisine historique : on se rebranche sur les énergies primitives des panthéismes non castrateurs. Et fuck la gauche réactionnaire judéo-chrétienne anticorps antidrogues anti-homosexualité antiboîtesdenuit antibackrooms antimagie-païenne qui a eu trop peur des démons de sa jeunesse (l’aventure est au coin du cul; le nouvel ordre amoureux) alors depuis c’est la dictature du blabla (les méfaits de la « pensée »). On ne les écoute : plus du tout. De toutes façons ils n’ont rien à dire que : système hétéro-patriarcal sexiste et raciste de classe et de caste soutenu par les curés (le sexe c’est mal, le corps c’est bête, le plaisir c’est sans importance). Concretely, donc, on se rebranche sur la révolution du corps des 60s. Travail-famille-patrie out, amitié-tribu background du road movie de nos vies (auto-héroïsme rock’n’roll) in. Et puis après, bon, tous les trucs du corps. Soi. Et les fleurs.
(Dustan 2021, 533)

Ainsi, le texte de Dustan, par cette forme autophage, est toujours bordé par une utopie de production de sens et de jouissance infinis, libérée de l’hégémonie des formes de langage instituées par un travail excessif du rythme. Toutefois, pousser cette logique autophage et créatrice à bout menace l’intelligibilité même du texte, qui se risque à frôler l’incompréhensible sous la forme informe de la liste : « d’accord :)) / cviolent / wheresmydreammari / jeteveuxjet’attends / monmecàmoi / cétoi ? / écriStpourmedynaminiquer » (Ibid., 622). Demeure, en filigrane, l’ombre d’une conscience de la destruction en cours (« cviolent ») de la part d’un sujet qui crée en se dynaminiquant, et qui traite tout au long de son texte d’une affirmation de vie et de jouissance du corps indissociable de l’approche de la mort qu’incarne le sida dans le corps du sujet de l’écriture. Ainsi, la seule utopie politique que porte ce texte est paradoxale, aussi près de la mort que de la vie, à savoir l’utopie impensable d’une société présymbolique, souvent associée à un fantasme préhistorique, tribal, marqué par un mouvement de retour à l’organique (« amitié-tribu background du road movie de nos vies », écrivait-il dans sa « thèse ») : « On aurait rêvé. Les êtres enfin humains, sans limites et sans liens. Seuls, ensemble, dans le désert, avec le vent, les arbres. » (Ibid., 450) Comme toute utopie, celle-ci passe par la négation du principe de réalité, imbriquée à même le geste créateur et intimement liée au désir12

Cette pensée de l’utopie par négation est également prégnante au sein des théories queer. Pensons notamment à l’ouvrage de Jose Esteban Muñoz Cruising Utopia, où ce dernier affirme, citant Virno :

I find some theories of the negative to be important resources for the thinking of a critical utopianism. For example, Paolo Virno elegantly describes the negation of the negation in Multitude : Between Innovation and Negation. Virno resists an oppositional logic that clouds certain deployments of negativity and instead speaks to what he calls a negation that functions as a ‘modality of the possible’, ‘a regression to the infinite’. Virno sees a potentiality in negative affects that can be reshaped by negation and made to work in the service of enacting a mode of critical possibility.
(Muñoz 2009, 12)

La négation agit ainsi en une régression vers l’infini, c’est-à-dire vers un plan d’immanence de possibilités créatrices et critiques, plan vers lequel tout le texte et la langue de Dustan tendent en niant à la fois les structures du champ sociopolitique et les rouages du langage. C’est ce travail créateur de la négation qui fait entrer le texte de Dustan en profonde résonance avec la pensée queer, telle que l’a notamment conceptualisée esthétiquement et psychanalytiquement Lee Edelman. Le queer, pour Edelman, incarne la manifestation d’une pulsion de mort au sein des mécanismes de la reproduction (physique, sociopolitique, symbolique) : « Far from perpetuating the fantasy of meaning’s eventual realization, the queer comes to figure the bar to every realization of futurity, the resistance, internal to the social, to every social structure or form. » (Edelman 2004, 4) Il ajoute : « Queerness is the side where narrative realization and derealization overlap, where the energies of vitalization ceaselessly turn against themselves. » (Ibid., 7) Ainsi, le queer est éminemment autophage : il incarne l’émergence de la pulsion de mort dans l’ordre symbolique – détraquant les rouages du sens et de sa reproduction. Concernant a priori la sexualité et son rapport à la représentation, le queer chez Dustan est élargi au rang d’une poétique autophage, une charge contre la domination de toute représentation. Génie Divin fait de la pulsion de mort et de la jouissance les moteurs de la création dans une écriture d’où l’on « entrevoit la mort du langage » (Barthes 1973, 15), comme celle du sujet et de la société. Il retourne effectivement ses propres forces contre lui-même, rend indistincts création et saccage, genèse d’une voix et apocalypse du langage. Peut-être s’agit-il là de l’exigence de tout acte de création, écartelé dans son aporie la plus fondatrice. En injectant la pulsion de mort dans l’écriture, en la sublimant dans la création, Dustan trouve une manière de conjurer l’effroi de la disparition et de la transformer en puissance : « Je ne veux pas crever au boulot, moi. Pas mes valeurs, ça. Mes valeurs à moi, c’est la vie. Le sexe les drogues aller bien danser chanter tomber amoureux. D’abord. Je remplis mon destin. Je suis séropo? Je me rends libre de la peur. » (2021, 611)

  1. 1« […] une pulsion serait une poussée inhérente à l’organisme vivant vers le rétablissement d’un état antérieur que cet être vivant a dû abandonner […] » (Freud 2010 [1920], 96).
  2. 2La Femme du Gange est à la fois livre et film; India Song est un livre, une pièce de théâtre et un film, dont la bande-son est reprise dans Son nom de Venise dans Calcutta désert.
  3. 3« On bascule dès lors dans l’auto-dévoration, en un mouvement cruel (émancipateur ?) d’autophagie. » (Harel 2021, 130)
  4. 4« […] cet extrait de la pièce radiophonique de 1947 draine les vieilles obsessions, fait preuve de ressassement, avoue l’épuisement de l’écriture, cette pulsion qui se manifeste à l’état pur comme nécessité de décharge. » (Ibid., 137).
  5. 5« Le texte a une forme humaine, c’est une figure, une anagramme du corps? Oui, mais de notre corps érotique. » (Ibid., p. 30).
  6. 6Dont Kristeva dit que « le symbolique, et par conséquent la syntaxe et toute la catégorialité linguistique est un produit social du rapport à l’autre » (Kristeva 1974, 27).
  7. 7Cette idée du rythme comme mouvement du sens dans l’écriture se retrouve également dans la pensée poïétique et clinique du psychanalyste français Jean Oury : « C’est dans ce sens-là que je dis que ce qui ‘se’ manifeste ne peut se faire que dans la kinesis (du) logos. […] Il n’y a pas de possibilité de logos sans kinésis, sans qu’il y ait une scansion, une sorte de coupure, qui est l’essence du mouvement. Et le rythme c’est justement là qu’on le trouve. » (Oury 1989, 40)
  8. 8« Le passage du poème, et le rapport du rythme au sens, figurent par excellence la non-unité du sujet. Pas plus d’unité du sujet que de hiérarchie du sens. » (Meschonnic 1982, 101)
  9. 9Dustan, mégalomane, se « prend pour Chamfort, Montaigne, La Rochefoucauld… » (2021, 595).
  10. 10Thomas Clerc écrit, dans sa belle préface à Génie Divin : « Dustan n’est pas un provocateur professionnel, mais un écrivain menant la Littérature à l’extrême de ses possibilités éthiques et esthétiques grâce au style de la parrhésia (« franchise » en grec), cette parole qui n’est pas faite pour rassurer mais pour inquiéter. » (Clerc cité dans Dustan 2021, 382)
  11. 11Nous nous référons au concept de post-ironie comme désignant l’usage d’un ton qui mélange jusqu’à l’indistinction la sincérité et l’ironie. Nous verrons, dans un premier exemple, l’usage post-ironique que fait Dustan du paratexte, tel que la page des œuvres « du même auteur » ou les citations en exergues. Dans ces exemples, impossible de déterminer si Dustan se moque entièrement de ces instances paratextuelles, ou si au contraire il défait leur « sérieux » pour en faire un usage à la fois comique et créatif. Son geste d’écriture est toujours à la lisière de cette duplicité.
  12. 12« C’est dans son refus d’accepter comme définitives les limitations imposées à la liberté et au bonheur par le principe de réalité, dans son refus d’oublier ce qui peut être que réside la fonction critique de l’imagination. […] Ce Grand Refus est la protestation contre la répression non-nécessaire, la lutte pour la forme ultime de la liberté, “vivre sans angoisses”. Mais cette idée ne pouvait être formulée sans sanction que dans le langage de l’art. Dans le contexte plus réaliste de la théorie politique et même de la philosophie, elle fut presque universellement dénoncée comme utopie. » (Marcuse 1963, 134-135)