Nue dans les noeuds
I
la journée est suppliante
l’objet est beau
puisqu’il est bleu
le noir par les fentes
je dis
allo
l’idée c’est de s’ensevelir
de tourner autour de photos
de vieillir
de mettre le savon sur la peau
de frotter
d’ensevelir
le passage de la lune sur mon ventre
du sang sur ma jambe
de l’enfance dans ma joie
par toutes les fenêtres
de toutes les villes
l’obscurité avance
bête cernée
ourse
épidurale
somatique
II
ô comme
la vie se prend
si j’avais à choisir
entre l’aube ou le soir
je dirais rien
j’aime cet état
de la lumière dégagée
par le côté sombre du lilas
ô mais quel délice
que mon enfance
plus j’y repense plus je vois
des îles de Pâques des masques
plus grands que des rochers
l’œil défait du cosmonaute
se trompant dans ses calculs
et l’oxydation et
le chiendent
sur les tuiles
de sa maison
III
peur
de l’épuisement dans la haine
donc
je dis
wow
c’est malade
le soir tombant sur mon épaule
comme une ennemie
et je dors
ô comme je dors
la tête surélevée
le pied en angle
le coude défait
dans le rêve
ce qui défile
le drapeau jaune le lac orange
n’a plus de place pour la haine
la violence ouvre autre chose1
il faut la nommer
mais la force qui me manque
retrousse sur ma lèvre
c’est la nuit
et l’amitié et sa beauté
mes demoiselles d’honneur
pour ce mariage avec la lune
mon ventre de lune retournée
mon âme qui se cherche un visage
la rougeur de ce visage
que j’ai longtemps piloté
je peux le laisser dans le sable
la poussière et l’étable
je suis du côté du pénible
de l’eau claire
et de l’ordre
IV
et je veux dire que
quand j’aime une fois
je suis incapable de synthèse
rentrer les sentiments dans l’enveloppe étroite des heures
je voudrais
treize matins dans mon matin
et je te voudrais quatorze fois de suite
en basculant la tête quand tu sors de l’odeur de l’eau
combien de fois on peut se quitter
par pensée et ne rien comprendre
aux bruits des papillons au bout du lit
et j’ai une peau un sexe un sens à démêler
un discours situé
je suis au cœur
du nœud j’ai peur
ô comme j’ai peur
ça s’assoie à côté de toi
dude en coat noir qui marche dans l’allée
de l’église au moment des vœux
en flingue lourd
en merle de trop dans le poème
en quelque chose qui veut percer voler
la lumière chère en mille plumes de lave
casser les pierres en travers des corps
à travailler dur à se méprendre
la cire des chandelles roses
ensevelit
l’amour
dans son habit trop tight
et quelque chose et quelqu’un pleure
dans la chambre fermée
V
j’ai tenu
la corde du nœud
j’ai collé le mot à l’image
écouté la même chanson
écrit
sur une table qui tombe
et sous la table
les veinures dans les feuilles
la terre est sombre
la sève amène le vert au cèdre
le chevreuil trébuche dans son jour
les couleurs l’ont laissé passer
il dit merci et l’histoire reprend son deuil
les corps vont trop vite dans les chars
la forêt monte et tombe dans son feuillage
et je sais que l’eau n’est pas bleue
que c’est une invention de l’âme
il me faut regarder
dans la douleur
c’est un jeu du monde
comme recrachée des forges
l’épée encercle la plaie
là où mon cou s’ouvre déchargé
à ta main tiède
il faut peser le long des veines
au bord des canaux troubles
ma bête cernée
d’ourse bleue
nue dans mes nœuds
- 1Nelly Sachs