Introduction

Couverture par Maxime Pigeon
Texte de présentation et édition du numéro par François-Xavier Garneau
Révision scientifique et linguistique par l’équipe de Post-Scriptum
Mise en ligne par Raphael Nunez

« Penser la littérature pour mieux écrire l’histoire : voies communes, tensions et rencontres dans les écritures historiennes et littéraires » : ce titre a pour but d’encapsuler la thématique de ce numéro, c’est-à-dire l’exploration des diverses relations qui lient la littérature et l’histoire. Deux questions en sous-tendent en ce sens l’angle d’approche, soit : comment des textes littéraires abordent et traitent d’événements historiques, et à l’inverse, de quelle(s) manière(s) des ouvrages issus de la discipline historienne empruntent-ils à la littérature des éléments formels ou narratifs?

De ces grandes questions découlent d’autres enjeux qui sont abordés dans les textes rassemblés ici, notamment : les rapports entre fiction et réel ainsi que les relations liant le social et le littéraire; les usages possibles des archives en littérature et en histoire; la réécriture décoloniale et contrefactuelle de certaines formes hégémoniques de l’histoire.

Que ces rencontres entre l’histoire et la littérature soient conflictuelles ou harmonieuses, elles nous amènent à reconsidérer les limites et les possibilités de chacun de ces domaines, à explorer à la fois leur complémentarité, leurs différences, voire leur incompatibilité; à interroger ce qu’ils peuvent faire – sur les plans formel, théorique, narratif, conceptuel – l’une pour l’autre, mais aussi à mieux cerner et comprendre les zones où les deux disciplines occupent des rôles bien distincts.

L’article « La crise de la tonnellerie algéroise dans “Les Muets” d’Albert Camus : ce que la fiction et l’histoire peuvent recevoir l’une de l’autre » de Christian Phéline vise justement à réfléchir en commun le texte de Camus et le contexte sociohistorique et politique qui en constitue la trame de fond et le rapport de l’écrivain algérois à ce contexte historique.

Cette dimension sociale, voire sociologique et son rapport au littéraire est également examinée dans l’article d’Amina Cheraiet, « Enquête romanesque : la figure du terroriste Moudjahid dans À quoi rêvent les loups de Yasmina Y. Khadra ». Cheraiet y analyse la représentation littéraire du personnage du terroriste dans le roman à la lumière d’une étude sociologique menée par Abderrahmane Moussaoui.

Avec le troisième texte, « Counterfact and Truth: Re-imagining History in a Postcolonial Subgenre », Craig Smith réfléchit à la manière dont les écrits contrefactuels détournent l’épistémologie conventionnelle de l’historiographie, en se penchant sur deux ouvrages issus des littératures postcoloniales.

Dans « De l’historiographie à l’affect : Anamorphose de l’histoire dans Les Onze de Pierre Michon », Étienne Lussier nous transporte dans l’histoire de la révolution française, plus précisément dans la période l’ayant suivie. Il y réfléchit à la manière dont Michon examine dans son roman la question de l’esthétique et de la conception du temps historique.

Anna Bradshaw, dans « Using Multimodal Texts to Reconcile History in W.G. Sebald’s Austerlitz », revisite ce roman bien connu de l’écrivain allemand. Elle se questionne à savoir comment l’histoire de la Shoah peut être analysée en ayant recours à des photographies et à un texte littéraire.

L’article « Récits historiques et discours romanesque dans Iḍ d Wass d’Amer Mezdad », de Salim Ayad, vise quant à lui à étudier comment la narration romanesque, dans l’ouvrage de cet écrivain d’expression kabyle, est partie prenante d’une relecture de l’histoire coloniale de la Kabylie.

Finalement, dans « Une lecture morale de l’histoire : la crise de l’exemplarité et le problème des exempla chez les premiers moralistes (1580-1647) », c’est la question de la crise de l’exemplarité qu’examine son auteur, Kevin Berger Soucie. Il y réfléchit à l’apparition d’une nouvelle modélisation de l’histoire chez les premiers moralistes qui entretiennent un rapport herméneutique avec la matière historique.

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Comme l’écrit l’historien Ivan Jablonka, « concilier sciences sociales et création littéraire, c’est tenter d’écrire de manière plus libre, plus juste, plus originale, plus réflexive, non pour relâcher la scientificité de la recherche, mais au contraire pour la renforcer. » (2017, 13) Or, plutôt que renforcer la discipline historique, cette conciliation peut-elle mettre en danger sa rigueur scientifique, comme le pensent les chercheurs Élie Haddad et Vincent Meyzie (2015, 133)? Les articles de ce numéro, en abordant de manière productive une variété d’éléments relevant à la fois du littéraire et des sciences sociales, pourront sans aucun doute apporter des nuances à ces deux prises de position.

 

Haddad, Elie et Vincent Meyzie. « La littérature est-elle l’avenir de l’histoire ? Histoire, méthode, écriture ». Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine 62‑4, no 4 (2015): 132-154. https://doi.org/10.3917/rhmc.624.0132.

Jablonka, Ivan. L’Histoire est une littérature contemporaine : Manifeste pour les sciences sociales. Paris : Éditions du Seuil, 2017.