Présentation de Mathilde BRANTHOMME

Du deuil aujourd’hui, l’on dit qu’il est un travail, un deuil qui commence, et qui, à un moment donné, s’arrête. La littérature apporterait à ce travail du deuil un exutoire, elle poserait le lieu d’une possible réparation, elle permettrait la survivance ; l’être perdu obtiendrait par les lignes du texte une certaine consistance et le deuil, ainsi, pourrait atteindre sa fin. Pourtant, certaines œuvres exposent l’impossibilité de cette fin, qui n’est plus travail, mais état, état indéfini et infini dans lequel s’ancre le sujet littéraire.

Philippe Forest, dans son dernier recueil d’essais, Le roman infanticide : Dostoïevski, Faulkner, Camus, pose « sept propositions pour une poétique du deuil ». Il souligne comment le deuil condamne à ne pas pouvoir dire, tout en trouvant un lieu dans l’écriture. Comment penser les espaces du deuil en littérature, sans pour autant en faire des espaces consolants ? L’écriture du deuil peut-elle ouvrir sur un savoir littéraire ? Les figures du deuil qui habitent la littérature contemporaine peuvent-elles témoigner d’un changement dans notre rapport au passé et à la mort, d’un bouleversement dans l’imaginaire de la mort ? Dans une société qui définit avec précision les lieux de la mort et les lieux du deuil, quelle place prend la littérature en écrivant la perte ?

À travers une nouvelle de Tassia Trifiatis, Ratio., et deux volets d’articles critiques, ce numéro explore les formes contemporaines d’écriture du deuil en pensant la place de la littérature dans l’écriture de la perte.

Les articles du premier volet questionnent plus particulièrement la difficulté voire l’impossibilité du travail de deuil, en interrogeant la validité de cette notion. Isabelle Bernard-Rabadi analyse la présence de la disparition et du deuil infini dans les écrits de Thomas B. Reverdy. À travers les textes de Marie Darrieussecq, Carine Fréville interroge les notions de survivance et de spectralité. Daoud Najm pense la relance du deuil chez Camille Laurens et la place de l’écriture dans l’exposition contemporaine de la douleur. Laetitia Reibaud étudie l’expérience de la perte de mesure liée au deuil chez trois poètes contemporains, Claude Esteban, Jacques Roubaud et Michel Deguy. Enfin, trois articles s’intéressent plus particulièrement à la présence du deuil et à son importance dans les écrits d’Hélène Cixous : Maxime Decout explore les jeux de la présence et de l’absence au cœur même de la lettre qui écrit le deuil, à travers les figures fantomatiques rencontrées dans les écrits d’Hélène Cixous, Eftihia Mihelakis étudie les liens entre la mémoire, la parole et le deuil et Martine Motard-Noar pense, dans les récents écrits d’Hélène Cixous, la place de l’écriture en regard du deuil et de la mort.

Les articles du deuxième volet abordent la question du deuil en pensant la présence et le rôle de la mort et de la perte dans les écrits contemporains, en passant notamment par la psychanalyse, la politique, le récit autobiographique et la performance. En examinant les utilisations de la mort dans des romans policiers contemporains, Marion François analyse le rôle du cadavre et de sa présentation dans l’évolution du genre. À travers une analyse de la relation homme-terre, Emira Gherib travaille sur l’écriture de Mario Rigoni Stern, mise en relation avec les concepts de corps médial et géographicité. À partir de Biographie de la faim d’Amélie Nothomb, Marie-Christine Lambert-Perreault étudie, avec un regard psychanalytique, les liens entre l’écriture autobiographique, le deuil et la mélancolie. Catherine Lemieux analyse les manifestations de la mélancolie amoureuse, le rôle de la représentation et de la restitution en lien avec le deuil qui s’accomplit dans Douleur exquise de Sophie Calle. Dora Leontaridou aborde le deuil sous un angle politique en étudiant des réécritures théâtrales contemporaines des mythes d’Iphigénie et de Médée. À partir des écrits d’Antonio Callado, Lygia Fagundes Telles et Ibrahima Ly, Anne-Sophie Morel s’intéresse à des récits présentant un lien entre le deuil et la violence, et pense la place de l’écriture de l’après face à la violence de l’Histoire. À partir du roman The Body Artist de Don DeLillo, Mathilde Savard-Corbeil interroge le rôle du texte, qui narre le deuil et se pose comme archive d’une performance artistique, dans le passage de la sphère privée à la sphère publique. Enfin, Marie-Caroline Meur étudie l’impossibilité du deuil dans L’Éclipse, récit autobiographique de Serge Rezvani.