Le principe du secret, mobile de pensée dans le Seigneur des Anneaux de Tolkien
Il importe que tes fenêtres ouvrent vers l’intérieur et que les encadrements des vitres soient peints en noir, afin que nul ne puisse voir si une fenêtre est ouverte ou fermée.
Cardinal Mazarin, Bréviaire des politiciens
Le personnage principal du récit Le Seigneur des Anneaux de Tolkien, le hobbit Frodon Sacquet devient le possesseur et le porteur d’un anneau qui se dévoile comme l’Anneau maléfique. Cet Anneau notoire gouverne le monde et met le petit semi-homme à la lourde épreuve du secret, celle de garder par analogie « les fenêtres [de son âme] peintes en noir et ouvertes vers l’intérieur » (Mazarin 2007). Le dieu grec, Momus, reprochait au créateur de l’homme de ne pas avoir ouvert à la place du cœur une fenêtre qui aurait permis de voir ses sentiments, ses pensées et ses secrets (Bonello 1998 : 113)1. Ainsi, exempt du dévoilement indélibéré de ses secrets, l’homme est appelé à faire montre de maturité d’expérience. Placé à l’opposé d’un commencement, le secret se situe du côté de la maturité, non de l’innocence (Bonello 1998 : 13)2. C’est dans ce premier angle que nous essayerons de placer ce principe qui, au demeurant, sculpte finement l’espace du récit de Tolkien. En contrepartie à la figure du cachetage, Ovide a donné la possibilité au secret de s’« éparpiller » en se faisant mythe. Dans la fable du roi Midas des Métamorphoses3, le principe du secret, relié à la parole et à l’ouïe relève d’une dynamique particulière qui place toujours le secret à l’interstice du voilé/dévoilé. C’est un deuxième angle sous lequel nous examinerons le secret en l’engageant dans un mouvement circulaire dans ce récit, à travers un objet (l’Anneau) et une faculté, le regard (l’Œil Unique). Une précision s’impose : nous n’investissons pas notre analyse d’une quelconque « prétention » de révéler les contenus des secrets ou du Secret dans le Seigneur des Anneaux. Le discours platonicien prouve déjà que tout récit est moyen de faire voir uniquement qu’un secret existe, sans plus (Courcelles 2005 : 9). Dresser la liste des multiples secrets contenus dans le récit n’appartient pas non plus à notre propos. Notre objectif est de faire voir que le secret peut être une figure esthétique qui atteste l’efficace du littéraire, comme plan de consistance où la pensée se construit, se remodèle, mais aussi d’où elle s’exporte4. Notre but est de montrer que le lecteur du secret dans le récit de Tolkien devient penseur puisqu’il façonne une nouvelle Image de la pensée, associant la pensée au principe du secret. Le secret est une figure complexe qui pousse le lecteur à penser et à créer. Dans cette analyse, nous ferons voir qu’un nouveau plan se constitue et que les mêmes références changent dans ce plan. Appréhender ce changement, cette nouvelle dynamique relève d’un exercice qui ne se laisse pas aisément conduire. Une des voies possibles que nous proposons ici est d’envisager le secret sous la forme d’un système dans le récit de Tolkien. L’outil fonctionnel nécessaire à l’édification de ce système est le raisonnement associatif. Il s’éclaire grâce au concept de pensée complexe, tel que postulé par Edgar Morin, concept qui montre une voie possible du passage de la complication (associée à la pensée disjonctive) au complexe (associé à la pensée unifiante)5. Ce concept nous permettra de « traiter » autrement le secret, à travers une démarche apte à rendre compte de l’association simultanée de plusieurs éléments. Ce concept nous permettra « d’aspirer », à partir du récit de Tolkien, à une connaissance renouvelée, une connaissance multidimensionnelle du secret qui écarterait tout paradigme simplifiant. Néanmoins, l’espace accordé à cette analyse, bien délimité, nous oblige à l’assimiler à un point de départ. La réflexion peut et doit être conduite plus loin afin de saisir en profondeur sa contribution.
Dans un premier volet de notre étude, après avoir identifié la pensée issue de diverses études relatives au secret, nous montrerons le besoin de recourir à une pensée complexe, pensée dépositaire d’une connaissance complexe, mais pas complète, du secret. Dans un second volet, nous décrirons un système du secret préconisé comme un outil permettant d’envisager ce principe en rapport avec une pensée complexe. Partant des éléments qui le composent, L’Anneau et L’Œil uniques, de leurs interactions qui donnent à voir le lien avec le Mal, ce système valorisera dans ce récit le symbole du cercle associé au secret. Il nous permettra de faire l’exercice de l’économie d’une pensée circulaire au niveau de la communauté de l’anneau, véritable société secrète. Un troisième et dernier volet évaluera l’efficacité de cet apport sous l’angle mythique, et ce sera là le point nodal de notre réflexion. Notre exemple serait apte à introduire une possible ouverture dans la structure des mythes, ouverture saisie grâce au principe « circulaire » du secret qui relève de la répétition. Dans cette perspective, notre étude devrait confirmer le littéraire comme plan où la pensée se forme et se reforme sans cesse.
1. Le besoin d’une nouvelle pensée associée au secret
Nombreuses sont les disciplines qui ont tenté de cerner le concept du secret. L’histoire, la philosophie, la sociologie, l’ethnologie, la psychanalyse, le droit, le politique, ou la littérature ont servi de terrain d’exploration ou de catalyseurs à l’élaboration du processus du secret. De ces analyses découlent des points communs, comme la constatation du « flou théorique » qui entoure ce concept, faute d’un verbe associé au secret. Rien n’est plus vrai que le défi imposé par l’analyse d’un principe dont on ne peut nommer l’action.
Le secret ne possède pas de verbe pour désigner l’action qui le produit : le terme – en cela réside sans doute une partie de la complexité de la notion dont résulte le flou théorique qui l’entoure – définit donc à la fois le processus et son résultat. (Meyer 2003 : 31).
Dès lors, pour considérer l’action du secret, il faut l’associer à un ordre de pensée supérieur, une démarche qui s’est vu écartée jusqu’à présent au profit de l’examen de la nature, des composantes, du rôle ou du fonctionnement du secret, aspects qui ont constamment occupé le devant de la scène de l’analyse du secret.
1.1. La pensée issue de diverses études sur le secret
Métaphorisé comme « jardin intérieur », le secret a dévoilé l’aspect le plus examiné du secret, l’intime. En tant que lieu d’incommunicabilité, d’espace de rêverie, de coulisse, le secret oriente le regard vers l’inaccessible. De nombreux thèmes ont trouvé matrice dans le motif du « jardin secret ». Le secret des amants ou le secret comme politesse de cœur (héritier, entre autres, de la philosophie de l’amour courtois) s’y sont moulés, par exemple, pour mettre au grand jour une « herméneutique voluptueuse » (Morin 1991). Étudié sous l’angle ontologique, l’être du secret a été défini à travers la séparation, le vêtement (ou le masque), le retrait et la révélation (Boutang 1973). Envisagé depuis le littéraire comme « personnage théorique » (Rabaté et Vadé 2001), comme figure narrative, le secret a été déchiffré à l’aide d’un « code herméneutique » (Barthes 1970) ou d’un « imaginaire de l’évanescent » (Brunel 1998). Il a été certes aussi envisagé comme modalité textuelle qui vise le lecteur, donc le destinataire ou dépositaire du secret (Rabaté et Vadé 2001).
Sous l’aspect fonctionnel, le secret a confirmé sa place dans une constellation de principes connexes desquels il ne peut pas se départir entièrement : le mystère, le mensonge, la confusion, l’énigme, le non-dit, le non-vu, la curiosité, pour me nommer que ceux-là. Une dynamique intersubjective s’est vue donc inéluctablement rattachée au secret (Zempléni 1976 : 313-324). Mais, dans toute cette « table de jugements du secret », pour utiliser l’expression de Boutang, la pensée engendrée par le secret ne se trouve pas explicitement indiquée, comme caractère à part entière.
Les études accomplies jusqu’à présent sur le secret incitent à une juxtaposition d’éléments qui le déterminent. Du point de vue de la pensée, ces démarches relèvent d’une « pensée disjonctive », dont le résultat est toujours celui d’isoler, de séparer. Les multiples catégories mentionnées ci-dessus, catégories bien délimitées sous lesquelles on a rangé le secret pour l’examiner, en témoignent6. Pour chercher et élaborer la voie vers une vision unifiante du secret dans le récit de Tolkien, nous confirmons la nécessité d’associer au concept de secret celui de « pensée complexe ».
1.2. De la complication vers la complexification, du disjonctif vers le conjonctif dans le secret
Une mise au point éclairante du concept de pensée complexe profite, en premier lieu, de la distinction existante entre la notion de complexe et celle de complexité. Le complexe inclut la complexité ou les différentes complexités qui peuvent apparaître. La pensée complexe se démarque de la pensée disjonctive qui sépare en catégories, en les isolant. La pensée complexe incite à réunir, unifier, interagir. Nous pensons que la pensée disjonctive associée au secret ne convient plus, ne suffit plus pour admettre et pour prouver les opérations très complexes impliquées par le secret. Néanmoins, nous devons préciser que la tentative de dépasser la complication (opération d’addition disparate des éléments qui épaississent la connaissance relative au secret) pour se diriger vers le complexe ne présuppose aucunement la complétude associée au secret7.
Par quels moyens peut-on développer une réflexion sur la pensée complexe à partir du principe du secret étudié dans le récit de Tolkien ? Comment peut-on dépasser le stade du secret comme « idée clé » qui prétend ouvrir des portes, mais dont le défaut principal demeure l’impossibilité de réunir les éléments disjoints qu’elle laisse entrevoir à travers le battement des portes ?
2. Le système du secret espace de l’analogique
Le terme « complexe » évolue du latin complexus qui signifie tissu, réseau. Un premier écueil de cette définition désigne l’ensemble des phénomènes qui interagissent dans un réseau. Découle de là la nécessité d’examiner le secret dans le récit de Tolkien sous la forme d’un système. Les mérites du système sont multiples. Premièrement, celui-ci permet de placer « sous la loupe » une unité complexe à la place de l’une élémentaire. Ensuite, il permet de faire voir d’une manière plus évidente que l’analyse se situe à un niveau transdisciplinaire, car elle appelle à une organisation, association, coadaptation des phénomènes issus des domaines différents. Le complexe se réfléchit sous l’angle quantitatif, certes (est complexe ce qui comporte un grand nombre d’interactions), mais nous nous enhardissons jusqu’à dire que le complexe se réfléchit aussi sous l’angle du « goût ». Nous comprenons la notion de goût comme « faculté de co-adaptation », comme règle qui doit gouverner la combinatoire de plusieurs instances différentes8. Dans le souci d’écarter donc tout danger de faire preuve de « mauvais goût », c’est-à-dire de procéder à un simple assemblage de constituantes, nous admettons d’emblée que celles-ci s’agrègent, se transforment, prêtent leurs formes, se développent, se réunissent « sous l’impulsion d’une volonté active et d’un contrôle réfléchi » (Bonello 1998 : 29)9. La compréhension du système du secret dans le récit de Tolkien passe par la découverte d’une forme unifiante dans le principe du secret, forme qui assure la complexité de son système et qui est en mesure de faire voir à la fois plusieurs aspects.
2.1. Du triangle au cercle, conversion du figuratif du secret
Un premier élément qui laisse entrevoir la forme de ce système est l’Anneau, l’objet du récit10. Par sa forme circulaire, il est inextricablement lié à l’Œil Unique, la forme sous laquelle le seigneur des anneaux, Sauron s’incarne et se manifeste comme l’essence du Mal sur la terre11. Celui-ci cherche à tout prix à retrouver l’Anneau perdu afin de pouvoir gouverner le monde (raison pour laquelle l’Œil exerce une attraction sans limites sur tout possesseur occasionnel de cet objet). Une véritable force magnétique s’exerce, le cercle (Œil) cherche à retrouver le cercle (Anneau), il cherche à réintégrer son pouvoir.
La scène où Frodon, son serviteur Sam et leurs compagnons arrivaient à la cité de Galadhrim, cité des Elfes (être supérieurs avec des pouvoirs transcendants) marque cet aspect d’attraction. La Dame de cette cité, Galadriel de Lórien qui était en possession d’un des anneaux magiques qui la protégeait du Mal et de l’esprit de Sauron, avait le pouvoir de révéler l’avenir, tel un oracle. L’eau pure d’un ruisseau placée dans une vasque ronde servait de miroir pour refléter le destin12. Frodon, le porteur de l’anneau fut invité à regarder dans ce miroir.
Mais soudain le Miroir devint totalement noir aussi noir que si un trou s’était ouvert dans le néant. Dans l’abîme noir apparut l’Œil Unique qui grandit lentement jusqu’à occuper presque tout le miroir. Il était si terrible que Frodon resta cloué sur place, incapable de crier ou de détourner le regard. L’œil était entouré de feu, mais il était lui-même vitreux […] vigilant et fixe, et la fente noire de la pupille ouvrait sur un puits, fenêtre ne donnant sur rien.
Puis l’œil commença d’errer, cherchant de-ci de-là : et Frodon sut avec certitude et horreur qu’il était lui-même l’un des nombreux objets de cette recherche. […] L’Anneau suspendu à son cou au bout de la petite chaîne se faisait lourd, plus lourd qu’une grosse pierre, et la tête de Frodon était tirée vers le bas. Le Miroir parut devenir chaud, et de volutes de vapeur s’élevait de l’eau. Frodon glissa en avant. (Tolkien 2002 : 621-622). C’est nous qui soulignons.
Cet exemple révèle le modèle du cercle lié au secret. Au moment où Frodon fait l’expérience du miroir et de l’abîme, il ne connaît pas l’Œil Unique. Le lien entre l’Anneau et cet Œil se fait, pour Frodon, dans le plus grand secret. Cet aspect nous autorise à prolonger l’analyse : le cercle est lié au secret, mais aussi au mal (Simmel 1996 : 41)13. Une véritable « énergétique du secret » s’amorce (Nora 1976 : 281). L’évolution ultérieure du secret dans l’esprit de Frodon traduit un rapport direct entre les forces du secret qui domineront le hobbit et les forces que ce dernier réussira à opposer au secret qu’il découvre : l’attraction entre Œil et Anneau14.
Le magnétisme identifié atteste sans doute du caractère « dangereux comme inspirateur d’action » (Tolkien 2002 : 619) du miroir. Néanmoins, le miroir ne fait qu’ouvrir une porte qui laisse entrevoir l’existence d’un possible secret, sans plus. Alors, comment prouver que nous sommes bien devant un secret dans ce système ? Comme indice du secret, Arnaud Lévy suggère la séparation, la mise à l’abri du secret, notion attestée par l’étymologie même du terme (Lévy 1976 : 117-131 et Zabus 1999 : 6). En même temps, le secret ne peut exister sans se signaler. Zempléni forge la notion de « sécrétion » pour expliquer l’ensemble des manifestations plus ou moins volontaires à travers lesquelles le secret se montre, sans se révéler (Zempléni 1976 : 318). Deleuze et Guattari identifient dans la sécrétion la manière dont le secret se répand en s’insérant, se plissant dans la conscience de celui qui doit le percevoir (Deleuze et Guattari 1980 : 351-352). Le système mis en place dans ce récit vérifie ces aspects, assurant le statut du secret.
Frodon extrait un savoir du miroir de Galadriel, un savoir qu’il garde pour lui et auquel il refuse l’accès aux autres15. Ainsi, c’est par un double aspect séparatif que nous vérifions la propriété du secret comme mise à l’abri et mise à l’écart face à l’autre. Le savoir celé du secret se confond, puis se substitue à un savoir exhibé (pour Frodon) grâce au magnétisme, force qui attire les deux cercles et dévoilent le secret au porteur de l’anneau. À partir de cette scène, le secret commence aussi à se « secréter », commence à se plier et se déplier sans cesse dans la conscience de Frodon jusqu’à la fin de son voyage. « La perception du secret se fait secrètement » (Deleuze et Guattari 1980 351-352), dans un espace circulaire où le paraître, « le parent pauvre de l’être » (Alladaye 2006 : 61), s’enrichit de la dimension de symbole. Nous restituons, dans ce contexte, au symbole son héritage étymologique qui nous permet de mettre ensemble les éléments constituants du Cercle16. Grâce au symbole nous sommes en mesure de configurer le système du secret. Grâce au symbole, nous sommes aussi en mesure de le décrypter.
Pour les Grecs, le cercle est le symbole d’union par excellence. Du point de vue géométrique, le cercle est composé de deux régions : son centre et sa circonférence. Le centre est assimilé au Principe, au point du départ et de toute arrivée (souhaitée), alors que sa circonférence est le terrain du changement, le territoire où le mouvement s’établit, la marge où tous les possibles peuvent œuvrer. Ainsi, le cercle évoque la liaison entre un principe interne et son monde manifeste, entre le fixe et le mobile, entre être et paraître. Dans ce récit, l’Anneau appartient à Sauron, au Mal. Il incarne, à la fois, le point de départ de toutes les émotions du Mal et le territoire où ce Mal se manifeste. Le moment où Frodon glisse l’anneau au doigt, il franchit sa limite extérieure, il devient invisible pour ses semblables, il quitte une réalité pour pénétrer dans une autre. Cela signifie admettre l’ouverture de toutes les frontières qui déclenchent une expansion territoriale, dimensionnelle, logique qui permettrait de décrypter le secret.
Chaque fois que Frodon glisse l’Anneau au doigt, il devient invisible pour ses pairs, mais visible pour Sauron. De plus, dans le cercle de l’Anneau, on est toujours vu par l’Œil que l’on ne voit jamais. Le paradoxe s’installe : lorsqu’on est le plus invisible, on est le plus visible à l’œil (Foucault 1975)17. La perspective se situe uniquement du côté de l’Œil qui domine ce dispositif. La vision appartient à celui qui surveille, qui connaît tous les secrets. L’Œil, puisqu’il est, dans ce récit, en lien avec l’Anneau et le secret, au lieu de générer la perspective, l’assombrit, ferme l’horizon et concentre tout au centre de son cercle, le lieu du principe du mal18. Voilà une des facettes du secret que Frodon découvrira, chaque fois qu’il glisse l’Anneau au doigt au fur et à mesure qu’il se rapproche du territoire de l’Œil, sur la Montagne du Destin, dans le pays de Mordor. Ainsi le cercle en attire un autre pour reconstituer l’unité du pouvoir.
Ces divers aspects appliqués au récit de Tolkien corroborent sur plusieurs points l’analyse du secret et valident le rapport qui existe entre le secret et le cercle. Il importe de rappeler que, depuis Pascal, l’association la plus fréquente s’établit entre le secret est le triangle19. Légitime dans son principe, cette forme cesse d’être à nos yeux lorsque l’Anneau et l’Œil renvoient au cercle qui vérifie le caractère unitaire postulé ci-dessus. Outre cela, il vérifie aussi le caractère perpétuel du secret ; dans le cas du cercle nous demeurons constamment confrontés à la confusion du début et de la fin. En effet, où se trouve le début ou la fin sur la circonférence d’un cercle ? À cela s’ajoute le fait qu’un cercle figure un système clos. Or, une des autres particularités attestées du secret est son territoire à frontières bien délimitées. Le problème intervient par conséquent lorsqu’il faut démontrer l’existence d’une fente par laquelle le secret s’échappe, car il ne peut se contenter de rester confiné dans un espace parfaitement clos. Le secret, totalement isolé, se meurt, ne répond plus aux conditions de son existence. Le secret est toujours « tourné vers l’avenir, il aspire de toutes ses forces à la divulgation » (Grenier 1982 : 101). Son contenu est « trop grand pour sa forme » (Deleuze et Guattari 1980 : 351-352). Dans notre cas, l’intervalle, l’espace le plus près où le secret s’échappe est la communauté de l’anneau, formée pour protéger le porteur de l’anneau, Frodon, au long du voyage entrepris pour détruire l’anneau maléfique20.
2.2. Une pensée circulaire dans l’espace social du système du secret
La communauté de l’anneau est un élément supplémentaire qui complique, puis complexifie la pensée générée par le principe du secret dans ce récit. La communauté de l’anneau sanctionne les principes de toute société secrète et place le secret dans un rapport individu – collectivité. Elle est en mesure de confirmer que la « stase du secret » (Bertrandias 1999 : 5-8) est évitée et que celui-ci se dirige vers une sorte « d’agencement collectif », tout en demeurant secret (Deleuze et Guattari 1980 : 351-352).
Il est intéressant de remarquer qu’une fois débordé, déplacé dans la communauté de l’anneau, le secret s’y inscrit dans une même dynamique circulaire. Des forces magnétiques concentriques agissent à ce niveau également pour faire voir que l’objet du secret se place au centre de cette communauté. Si l’essence du secret se trouve dans l’affirmation de Simmel selon laquelle « toutes les relations entre les hommes reposent, cela va de soi, sur le fait qu’ils savent des choses les uns sur les autres », ici, le secret répond à une autre évidence. Dans la communauté de l’anneau, tout le monde sait des choses sur un anneau qui devient l’Anneau, et qui est l’objet placé au centre de l’attention21. Une « économie du crédit » s’atteste, car chacun investit l’autre de confiance (une donnée essentielle dans la logique du secret), mais cette confiance se trouve en rapport avec un savoir qui centre l’Anneau et le secret que celui-ci renferme (son lien avec l’Œil et le Mal)22. Cela prouve qu’il y a une interaction réciproque entre la relation que chaque membre entretient avec l’Anneau et que cette relation est tout à fait différente de toute autre relation que chaque membre pourrait entretenir avec un anneau quelconque. Le passage de l’indéfini un au défini le amplifie le secret. Un mouvement circulaire se décrit, l’Anneau donne naissance à la communauté de l’anneau qui implique l’Anneau. Nous sommes conviés à une pensée circulaire qui atteste qu’ « un élément implique un deuxième lequel implique le premier » (Simmel 1996 : 10). Cette pensée circulaire relève de la complexité.
2.3. Exercice de logique inversée dans le système du secret
Parvenus à ce point de notre réflexion, il faut ré-éclairer le statut de l’objet central du secret qui n’est pas autre chose qu’un joyau, en fin de compte. Pourquoi Tolkien (ou Wagner dans une autre perspective) avait-il opéré le choix de l’anneau ? Dans le contexte de notre étude, l’aspect précieux ne saurait se soutenir que sous l’acceptation de toute parure comme une synthèse entre « l’avoir et l’être des sujets » (Simmel 1996 : 53). Reste à assumer la tâche immédiate de cette constatation. L’Anneau incarne bel et bien une synthèse entre l’avoir (Frodon est possesseur et héritier de l’Anneau) et l’être (l’Anneau exerce son emprise sur l’esprit et le corps de Frodon). Mais en même temps, l’Anneau du Pouvoir dans le Seigneur des Anneaux de Tolkien impose au raisonnement de prendre en compte le fait qu’étrangement, à l’encontre de toute attente, personne n’aspire ou n’envie ce joyau (avec une nuance près, le cas de Boromir, qui cède à la tentation de l’Anneau et le paie de sa vie). Après avoir décelé une pensée circulaire, nous sommes en mesure de complexifier notre démarche réflexive dans une logique inversée de la parure. Un seul exemple suffit. Le mage Gandalf, qui possède un savoir et un pouvoir supérieurs, repousse sévèrement la possession de l’Anneau proposée par Frodon :
– […] Vous êtes sage et puissant. Ne voulez-vous par prendre l’Anneau ?
– Non ! s’écria Gandalf, se dressant d’un bond […] Ne me tentez pas ! Car je ne souhaite pas devenir semblable au Seigneur Ténébreux lui-même. […] Ne me tentez pas ! Je n’ose le prendre, pas même pour le garder en sureté, inemployé. […] De grands périls m’attendent. (Tolkien 2002 : 114)
Analyser ainsi l’anneau signifie comprendre qu’il « traduit une qualité visible de l’être » (Simmel 1996 : 54), ici l’être de Frodon qui n’en est pas l’un de richesse ou de faste, mais bien un de courage. En effet, Frodon n’est qu’un petit semi-homme qui se chargera de l’immense tâche de porter et de détruire l’Anneau. Outre cela, le cheminement d’analyse que nous proposons renforce le double caractère du secret : extérieur (il distancie celui qui possède un objet/secret de celui qui n’en possède pas) et intérieur (il définit la communauté de l’anneau comme groupe qui force celui-ci à agir dans un seul sens).
Sur le plan intérieur, le secret s’affirme dans la domination, car bon nombre de conditions nécessaires pour l’abriter dans la communauté de l’anneau sont remplies. Nous en signalerons deux. On ne saurait nier, en premier, l’importance de la confiance, comme investissement de l’autre. Faire confiance à la communauté de l’anneau relève d’un renouvellement subjectif continuel, à travers un acte de foi sans cesse renouvelé. Mais, encore une fois, nous nous retrouvons devant un sens différé concernant la notion de foi (car il ne s’agit pas de la foi au divin). Il s’agit de faire constamment preuve de foi en l’autre. Une solidité morale encercle ce groupe, la confiance n’étant jamais réclamée, mais toujours accordée. Le deuxième élément important est le silence. Celui qui garde un secret n’apprend pas juste à taire une chose spécifique, mais aussi à se maîtriser. C’est la raison pour laquelle le secret ne tient plus de l’innocence, du commencement, mais de la maturité, de l’initiation, comme nous l’avons postulé ci-dessus23.
3. Évaluation du système du secret, apport
En raison de notre décision d’engager notre démonstration dans une méditation hétérogène au sujet du principe du secret, nous avons écarté de notre entreprise l’évaluation de son apport sur le plan narratif pour réserver toute la place à la seule perspective mythique.
L’Anneau, objet central et centré dans cette démarche de pensée complexe du secret investit l’analyse d’une expérience mythique dont nous ne saurons faire l’économie. Le système édifié autour de l’Anneau du Seigneur des Anneaux restitue le mythe comme processus d’une esthétique de répétition24. Cette expansion dans l’espace mythique traduit l’existence d’un paradigme caché de complexité.
Nous avons précédemment montré que le système du secret prend, au-delà son caractère unitaire, un caractère d’éternité, le cercle se confrontant à un mouvement répétitif. Cette dynamique est perceptible dans une perspective mythique aussi. Le mythe de l’anneau (ou celui de l’œil unique) vérifie la caractéristique des mythes. Le tableau du mythe de l’anneau (ou celui de l’Œil Unique) est très riche en représentations. L’espace accordé à cette étude n’admet pas sa reconfiguration25. Pour terminer, nous voudrions montrer comment la répétition est un concept qui se laisse penser à partir du secret. Notre thèse confirme non pas qu’un mythe se répète mais, bien au contraire, qu’il ne se répète pas (ou qu’il se répète dans la différence). Bien que récurrente en apparence, la précision est d’importance et nous voulons en dégager quelques prolongements qui l’inscrivent dans notre compréhension de la répétition dans le mythe. En dépit de ses éléments et de sa dynamique circulaire, le système du secret dans le Seigneur des Anneaux ne dévoile pas une répétition circulaire au niveau du mythe, mais bien au contraire, il laisse entrevoir l’éclosion dans le futur, dans l’à-venir. C’est l’apport essentiel de ce système, qui grâce au mythe, ne renferme, mais ouvre l’analyse du secret vers l’infini. Un éternel retour de l’Anneau du Pouvoir est relégué, car inapplicable26. Notre système du secret prouve que malgré sa forme circulaire, il ouvre vers le futur et préserve l’infini. Le temps du secret compris depuis le Seigneur des Anneaux n’est pas le présent, mais le futur. La fin de notre analyse n’est qu’un autre commencement aussi. La perspective s’ouvre sur le plan de la consistance où se rangent et se rangeront toujours différemment nos percepts et nos affects quant à l’Anneau et à son secret. Le mythe du secret est encore à venir. Le mythe de l’Anneau n’est pas quête de sens du secret, mais une expérience du sens de secret (Campbell 1998 : 28).
Conclusion
Nous avons fait, dans le récit de Tolkien, une expérience qui a exigé de considérer à la fois (à travers une forme et une dynamique communes) plusieurs éléments. Une première étape de notre étude à rendu compte du lien que nous avons mis sur le compte des forces magnétiques existantes entre l’Anneau et l’Œil uniques, deux formes circulaires qui forment avec le mal et le secret un symbole, le symbole du cercle. Nous avons aussi été invités à y reconnaître une pensée circulaire et à trouver le chemin vers une logique autre. Une deuxième étape de notre étude a envisagé cette pensée sous l’angle de la communauté de l’anneau, avec sa logique de la parure, de la confiance et de la foi. Dans la dernière étape, nous avons fait l’expérience d’un mythe qui est encore à venir en confirmant l’impossibilité d’une répétition absolue.
Il en résulte que le secret dans le Seigneur des Anneaux dévoile, en vertu de sa « logique circulaire qui fait dérailler [le code mythique] tout en imposant ses propres règles » (Rabaté et Vadé 2001 : 154), son fondement assis sur le mythe de l’Anneau et non pas sur son propre mythe, le mythe du secret qui existe bel et bien27. Le mythe du secret, perdu dès l’origine se redécouvre sans cesse à l’avenir.
Le récit de Tolkien offre au secret « une chance de tout dire sans toucher au [mythe du] secret [même] » (Derrida 1993 : 67-68). Il offre l’occasion au secret d’investir un autre mythe de ses attributs à lui, et de tenir ainsi « notre passion en haleine » (Derrida 1993 : 67-68). Ce déplacement, saisi au niveau de la structure du mythe, ouvre la voie à une recherche innovatrice qui donne à voir qu’une mutation des attributs mythiques est concevable à partir de la figure du secret dans le littéraire (nous n’avons pu qu’amorcer la voie de cette étude, un approfondissement reste à faire). Il va sans dire que cette constatation renvoie également au renouvellement des perspectives épistémologiques de celui qui interprète le mythe à l’aide du système du secret. Or, cela atteste une nouvelle Image de la pensée liée à ce principe dans l’espace du littéraire. Finalement, « la logique du secret est celle de ses effets » (Marin 1993 : 257). Les effets d’une pensée qui dépasse la complication pour devenir complexe.
- 1Cet épisode mythique est raconté dans la Fable 518 d’AESOP dans Theoi Greek Mythology. Exploring mythology in classical literature and art. [En ligne] http://www.theoi.com, Page consultée le 10 septembre 2008.
- 2« […] le secret est bien à l’opposé du commencement. Le commencement est toujours dans la sincérité tandis que le secret met en mouvement une opération de tromperie qui est faite exprès ». Nous n’allons pas attribuer une charge immédiatement négative au terme « tromperie », qui est en quelque sorte propre à l’homme, voire nécessaire. Nous renvoyons à la remarque de Pascal qui montre, au sujet des chimères, que la transparence humaine est impossible. PASCAL, Blaise, Pensées. Paris, Gallimard, 1977, 499-502.
- 3Il s’agit de la punition du roi Midas aux oreilles d’âne. Son serviteur voulant cacher le secret qu’il apprend à son insu, creuse dans la terre un trou. Mais à cette même place, une forêt de roseaux pousse. Le secret remonte des profondeurs de la terre et se voit répandre partout par le Zéphyr qui agite doucement les roseaux. Le secret du roi Midas sera connu de tous. Voir OVIDE, Métamorphoses, livre XI, v 165 – 201 [En ligne] http://www.mediterranees.net/mythes/midas, Page consultée le 12 mai 2006. Le mythe de Midas ou le mythe du secret se trouve aussi repris dans les Histoires d’Hérodote et dans les fables de Hygin.
- 4Selon Deleuze, il faut faire une distinction entre le plan de référence (propre à la science) qui est composé des actuels et qui n’envisage pas l’infini, tout étant bien délimité ; le plan de consistance (propre à l’art, à la littérature implicitement) qui est composé des affects et percepts et qui a le mérite de créer un fini qui ouvre toujours vers l’infini ; et le plan d’immanence (propre à la philosophie) qui est composé des concepts et qui sauve l’infini. Ces plans peuvent interférer, produire une bifurcation, condition essentielle pour tout renouvellement. Pour plus de détails sur les plans et leurs connexions, se rapporter à DELEUZE, Gilles et Guattari, Félix, Qu’est-ce que la philosophie, Paris, Éditions du minuit, 2003 et à Différence et répétition, Paris, P.U.F., 1972.
- 5Voir MORIN, Edgar, Introduction à la pensée complexe, Paris, Éditions du Seuil (Essais) 2005 et du même auteur La méthode, Paris, Éditions du Seuil, 1981, 3 tomes.
- 6Pour plus de détails sur la pensée simplifiante, dite disjonctive, voir la logique du complexe dans MORIN, Edgar, Introduction à la pensée complexe, Paris, Éditions du Seuil (Essais), 2005, ainsi que l’article signé par le même auteur « Au-delà de la complication, la complexité », dans Science avec conscience, Paris, Fayard, 1982.
- 7Sur le plan conceptuel, Morin assume le degré d’incertitude dans la pensée complexe. Son rôle se limiterait à faire avancer le raisonnement sans prétendre aucunement à une glose totale. Une tension s’associe au concept de pensée complexe qui aspire à un savoir transversal tout en reconnaissant l’inachèvement des connaissances.
- 8Bien que définis dans le contexte du concept qui agit sur le terrain de la philosophie, nous croyions que la coadaptation, le goût peuvent porter des nuances importantes dans le cas de la figure, sur le terrain de la littérature aussi. Pour l’explicitation de ces notions, voir DELEUZE, Gilles (2003). « Le personnage conceptuel », dans Qu’est-ce que la philosophie, Paris, Éditions du minuit, p. 74-75.
- 9Bien qu’en lien direct avec l’esthétique, les notions de goût et mauvais goût ne renvoient pas ici à un jugement lié au beau.
- 10Le poème mis en exergue des trois tomes du récit Le Seigneur des Anneaux montre qu’il est question de plusieurs anneaux dans ce récit : « Trois Anneaux pour les Rois elfes sous le ciel,/Sept pour les Seigneurs nains dans leurs demeures de pierre,/Neuf pour les Hommes mortels, destinés au trépas,/Un pour le Seigneur Ténébreux, sur son sombre trône/Dans le Pays de Mordor où s’étend les ombres, /Un Anneau pour les gouverner tous, Un Anneau pour les trouver, /Un Anneau pour les amener tous et dans les ténèbres les lier/Au Pays de Mordor où s’étend les ombres. Cet Anneau qui a la propriété de rendre invisible celui qui le met au doigt, exerce un pouvoir total sur son possesseur. Voir TOLKIEN, J.R.R. (2002 [1995]). Le Seigneur des Anneaux, éd. complète avec Appendices et Index, traduit de l’anglais par Francis Ledoux, Paris : Christian Bourgois, 1280 p.
- 11Après avoir détruit l’harmonie primordiale des dieux, l’esprit maléfique de Sauron gouverne à plusieurs reprises sur la Terre. Il avait fait forger l’Anneau Unique qui lui conférait des forces terrifiantes et un pouvoir absolu, il pouvait contrôler ses sujets ainsi que corrompre celui qui arriverait à posséder par hasard cet objet. Précisons que Tolkien avait situé l’origine de l’histoire de l’Anneau unique dans des récits antérieurs à celui-ci. Voir Bilbo le Hobbit ou le Silmarillion.
- 12Nous reconnaissons ici la technique de la mise en abyme qui vérifie une perspective rétrospective, prospective et retro-prospective à la fois. Voir DÄLLENBACH, Lucien, Le récit spéculaire, essai sur la mise en abîme, Paris, Seuil 1977 et GIDE, André, Journal. Paris, Gallimard (Pléiade), 1948.
- 13Nous vérifierons directement l’affirmation de Simmel « si le secret n’est pas lié directement au mal, le mal est lié directement au secret ».
- 14Cette piste d’analyse est fort incitante dans le récit de Tolkien, nombreux exemples en témoignent directement de cette lutte intérieure qui, à notre connaissance, n’a pas été explorée à l’aide du concept de secret.
- 15Frodon ne partage pas la vision de l’Œil ou l’effet que celle-ci a sur lui. La Dame Galadriel, en tant qu’elfe et détentrice d’un autre anneau de pouvoir, est apte à sentir et comprendre cet effet. « Je sais ce que vous avez vu en dernier, dit-elle, car c’est également dans mon esprit. N’ayez pas de crainte ! ». TOLKIEN, J.R.R., Op.cit., p. 622.
- 16Le terme symbole dérive du grec sumbolon qui signifie mettre ensemble. Dans la Grèce Antique, il désigne deux morceaux de poterie qu’on devait remettre ensemble pour reconnaître la validité d’un contrat entre deux personnes. Ce sens premier accorde un sens figuré au symbole qui devient le moyen de relier « deux représentations de la même signification ». L’unité dans le symbole ne se fait pas par fusion, mais par ajustement de sorte que l’un de ces éléments ne se comprenne pas sans l’autre. Découle de là son caractère d’objet façonné, fabriqué. Voir ALLEAU, René, De la nature des symboles, Paris, Pont-Royal, réédition Payot, 1964 [2006], p. 20 et suivantes.
- 17Nous renvoyons le lecteur au modèle du Panopticon imaginé par John Bentham en 1751 et repris dans ses analyses par Foucault. Tel le Panopticon, l’Anneau dissocie le couple « voir-être vu ».
- 18On pourrait aller jusqu’à dire qu’il est comme une sphère de l’apparence, telle qu’expliquée par Baudrillard : « il n’y a rien à voir, ce sont les choses qui vous voient ». Voir BAUDRILLARD, Jean, De la séduction. Paris, Denoël, 1979, p. 91.
- 19À ce sujet, Louis Marin qualifiait Pascal comme étant l’auteur « qui, mieux que personne s’y connaissait en rhétorique, logique et théologie du secret ». Il emprunte à Pascal la forme triangulaire du secret et explicite la nature, le fonctionnement et la logique du secret à l’aide de celle-ci. Pour qu’un secret existe, il faut trois partenaires A, B, et C. A sait quelque chose sur B que B ignore. Pour que le secret prenne forme, pour que l’effet du secret puisse opérer A partage le secret du B avec C. Le moment où B découvre et déchiffre les signes de son secret, « l’apocalypse du secret sera à son comble ». Le secret, une fois découvert, dévoilé, n’est plus secret. L’auteur se sert du mythe d’Œdipe pour illustrer le modèle triangulaire du secret. Voir MARIN, Louis. Op. cit., pp.251-254. Voir aussi à ce sujet DUFOUR, Robert-Dany, Les mystères de la trinité, Paris, Gallimard, 1990, page 154 et suivantes.
- 20La communauté de l’Anneau représente, comme toute société secrète, un double de la société en général (le procédé de la mise en abyme pourrait aussi porter contribution dans ce cas). Dans ce récit, cette réduplication par réduction est mieux suggérée par le fait que toutes les races qui coexistent sur la terre dans le Troisième Âge selon le calendrier de la mythologie tolkienienne ont un représentant. La communauté de l’anneau est constituée des hobbit Frodon Sacquet, le personnage principal, son serviteur, Samsagace Gamegie, « Sam », leurs amis Meriadoc Brandebouc « Merry », Peregrin Touque, « Pippin », le roi héritier Aragorn, le représentant des hommes, le noble chevalier Boromir, le nain Gimli, l’elfe Legolas et le mage Gandalf. Cette communauté a nombreux alliés et plusieurs ennemis, tous au service du seigneur des anneaux, Sauron, l’Œil Unique.
- 21Le secret dans les sociétés secrètes n’occupe pas toujours la place centrale. On retrouve bien d’autres schémas où se logent des savoirs sur une partie de la communauté, sur un nombre de ses membres, des savoirs partagés avec d’autres membres différents du groupe. Ces cas de figure ne nous intéressent pas. Pour plus de détails sur la structure complexe des sociétés secrètes voir PETITAT, André, Secret et formes sociales. Paris, PUF, 1998.
- 22Nous précisons que l’objet d’anneau est présent dans les écrits antérieurs de Tolkien qui ont nourri le récit du Seigneur des Anneaux. Mais il faut préciser qu’il devient l’Anneau, prend une majuscule et atteste son statut mythique uniquement dans le Seigneur des Anneaux.
- 23Voir p. 1 de notre étude. Pour plus de détails sur la confiance et le silence voir aussi SIMMEL, Georg « La Société secrète », dans Nouvelle revue de psychanalyse : Du secret, tome 14. Paris, Gallimard, 1976, p. 281-307.
- 24À cet égard, nous rejoignons l’opinion de Marie Francoeur qui montre que pour concevoir un Processus il faut disposer d’un système, qui, selon elle, « est sa raison » et « l’explique ». Voir FRANCOEUR, Marie « Pour une poétique du cycle », dans Protée : Répétitions esthétiques, vol. 23, automne, 1995, p. 48.
- 25Le mythe de l’anneau du pouvoir qui rend invisible remonte à Platon. Gygès trouve un anneau dans les antres de la terre qui a le pouvoir de le rendre invisible et de prendre le pouvoir. Dans la tradition juive, Salomon reçoit de l’archange Michael un anneau magique pour emprisonner les âmes de mauvais génies. Dans la mythologie nordique, il existe un anneau du pouvoir, Draupnir qui sera volé au nain Andvari par le dieu Odin. La tradition celte est, à son tour, parsemée des anneaux, l’anneau en or de Guenièvre, le grand anneau de Camelot. D’un autre côté, toute une tradition mythique visant l’Œil est identifiable. Tous ces cas vérifient la propriété et la potentialité du mythe à ré-infiltrer constamment l’espace de la pensée au long de l’histoire. Il le fait, certes, en tenant compte du « décor » où il apparaît, mais aussi du « goût » de chaque auteur. Pour toutes ces références voir PLATON, République, Paris, Garnier Flammarion, 1966, livre II. DURAND, Gilbert, Introduction à la mythodologie. Mythes et sociétés, Paris, Albin Michel (La pensée et le sacré), 1996. BRASSARD Denise et Fabienne Claire CALAND, dir., Horizons du mythe. Montréal, UQAM (Cahier du CELAT), 2007.
- 26Il faut d’ailleurs reconnaître que cette notion d’éternel retour qui persiste comme notion de la cosmogonie grecque est reconnue dès le Lycée comme un grand paradoxe. Voir ARISTOTE, De la génération et la corruption, livre II, Paris, Vrin. [En ligne]. http://books.google.ca/books?id=TTcWbiU6K9EC&dq=Aristote+De+generatione+et+corruptione&printsec=frontcover&source=bl&ots=3LGVDK4LpL&sig=yxOrnu23zTg_HHUYll-dSbZ6anM&hl=fr&sa=X&oi=book_result&resnum=3&ct=result#PPP1,M1. Page consultée le 1 septembre 2008.
- 27En dépit de l’héritage notable de ce mythe, nous ne le retrouvons pas ici comme mythe d’origine.