Orientations
Ebru – la matière se tord et reprend ses cours
À Üsküdar la bassine est sortie et les explications se déploient se font d’elles-mêmes s’imposent aphones entre les ondulations de l’eau-résidus et les soupirs rares du maître. La pratique consiste à laisser les pigments se déposer sur la solution aqueuse – gras végétal et eau composites ici.
Goutte à goutte les particules de couleurs extraites se démènent s’intervertissent se soudent se toisent. Les insolubles se déposent sur le liquide qui oriente la direction finale des couleurs et des formes.
La main du maître est tout de même là participe de la fusion et se soumet à la forme qui lui échappe.
Le professeur demande s’il peut obtenir un أ qui se tient droit et qui soutient le monde et sa pratique spirituelle nouvelle acquisition transmise par son nouveau sheikh. Moqueur, H. répond qu’on verra si l’eau y consent aujourd’hui sinon tous les objets dans mon atelier sont en vente, il suffit de regarder par là-bas et par ici aussi.
Est-ce que vous savez lire la calligraphie/ moi je oui/ non/ je reconnais les lettres/ les embrouilles et les agglutinations entorsées m’échappent toujours/ oui je sais lire/ je ne sais pas lire/ mon chemin est sa pratique/ dépossédé de mon corps pas de ses vertèbres mais de la pensée, si/ c’est très bien comme ça.
Le maître continue à suivre la main et les liquides. Il faut orienter la lumière et les flux la forme du fractal s’annonce dans ses plis particuliers. Contingences pures aléas-pigmentum agités par H.
Le professeur demande s’il peut obtenir un biscuit et une cigarette le أ sera acheté et exposé dans l’appartement parisien une autre fois.
Dompter l’objet n’est pas toujours possible dompter n’est pas toujours projet puissance potentialité et la perte n’est pas toujours monstrueuse.
Ma panique fuit l’inutile dit le professeur, le bonheur d’une possession m’est devenu l’huile brûlée et amère celle qui me fourbe les flancs et les genoux.
Le vent vorace gifle les mains trop pleines et la minuscule brosse de H. continue son chemin entre les sillons du jaune et du bleu.
tu loges un monde
sur un autre
coagules l’espérance
trouble
l’eau se défend
elle ne t’a rien
promis
___
pousse ton visage vers le haut
calcine la vaisselle
l’alcalin te dissout
et la peau ne se recolle pas
« Be pink about it »
lorsque la flèche se suspend
l’écho a échoué
ne retentit pas
vers ma fin
je ne suis prête à rien
la finalité accourcie
l’attente floutée
le panneau demande une satisfaction
contentement de voitures plages
compounds codes QR
l’horizon possible d’une peau
contre la mienne
quelle marche à suivre
quelles instructions pour arrêter
l’exigence
quelque chose d’autre qu’une chute
« make your dream a daydream »
je gronderai ici
mon seul rendement
inutile
Crête
je m’assois plein ventre de tes habitudes
entre ton sein-thorax et gorge
je demande
de m’éduquer
je ne sais rien prononcer
l’inconfort mon seul
possible
transgression algique
de l’inflexible héréditaire
nos vétustes voûtes
Appartement
Les muettes confrontations entre soi et soi dans le temps disloqué de l’écriture, la nullité de mes expressions et de mes silences me frondent dans l’appartement où seule je vis seule je gratte seule je respire seule je pleure.
Deborah Levy raconte que c’est dans son importunité matérielle, le cabanon gelé dans l’hirsute jardin londonien, à travers les guêpes et l’humidité que le corps et ses langages se sont nourris, que la douceur s’est discrètement aménagée. Je guette, distant regard sur le vestibule, que le froid et l’inconfort se tissent et deviennent mes nécessités. Rejeter l’image de l’image pour m’assoir dans ma pleine intimité, écouter mes morceaux jouer au je, symboles liminaires de mes infructueuses tentatives de me remplir.
Il manque toujours un objet, un phonème entre mes strophes et mes désirs, mes amitiés et mes chuchotements, je veux que mes creux apparaissent dans mes caresses et cet œil toujours fuyant.
J’étais le ponton-lumineux à l’est du Sahel qu’il dit, le corps tendu, les yeux doux fiers et pleins.
J’arrive ici, tu es minuscule et accroupie sur des graines cuisantes et en terre que je ne vois même pas.
Mais c’est que j’ai voulu être le ponton/ la masse/ l’entre-deux/ mon père/ debout /aimer encore/ vivre à l’heure.
J’ai cherché à faire de mes mutismes et de leurs attaques mes substances visqueuses, mes traces, mes lésions-uniques qui justifient la peur de ce qui m’abandonne. Mon larmé-balcon, ma chair dissoute en liquides et en vagues sont devenus refuges, mes velours cramoisis que je palpe sans dégoût.
Je veux m’habiter ailleurs que dans mes itérations, mes aveugles rengaines, mes ulcères prévisibles. Je commence en ouvrant le tiroir du four, je désarticule mes moules, la saleté que je présumais fatale, je dessine mon nouvel appétit, les voies que j’emprunterais peut-être.
Mes mues logent l’autre plancher et le nouveau reflète mes aspérités sans qu’elles ne tombent de mes morceaux. Pour la première fois, c’est mon odeur que je sens lorsque j’ouvre la porte, je me sais capable de me perdre.
Je désoriente mes poussières, mes paumes appuyées au mur, il me faut replanter le lierre, sortir les mouches mortes du congélateur.
On verra par où je voudrai me re-connaître.