Étonne-moi
Pialat, Rivette et Rozier dans l’école de l’aléa
Si l’hésitation et l’incertitude pendant le tournage sont souvent perçues comme des obstacles à la réalisation des films, les cinéastes improvisateurs évoqués dans cet article les accueillent favorablement, allant même jusqu’à les provoquer délibérément. C’est que l’hésitation n’apparaît comme un problème que lorsque l’on tente de connaître les inconnues au lieu de les reconnaître (Cavell 2008, 483). Maurice Pialat, Jacques Rivette et Jacques Rozier sont ceux qui fondent leurs méthodes sur la reconnaissance des réactions imprévisibles des corps des acteurs plutôt que sur leurs propres connaissances préalables. C’est ce que Pialat exprime ainsi : « Il y a peut-être des choses intéressantes, mais il vaut mieux les découvrir sur le terrain, plutôt que d’y penser dans sa chambre. » (Magny 1992, 27) Dans le cadre de cet article, nous allons explorer comment les trois cinéastes, que nous rassemblons ici sous le terme « l’école de l’aléa », parviennent à « découvrir des choses intéressantes sur le terrain. »
Dans son texte L’aléa, le contrepoint et les météorites, qui offre un aperçu de la situation du cinéma français dans les années 1970 et 1980, le cinéaste et critique français Luc Moullet emploie l’expression « école de l’aléa » pour décrire une tendance cinématographique particulière axée sur l’improvisation et la capture de l’imprévu. Selon lui, Pialat, Rivette et Rozier, dont les films se construisent au fur et à mesure du tournage, en fonction de ce qui se passe sur le plateau, sont les cinéastes les plus représentatifs de cette école. Le film Le Rayon vert d’Éric Rohmer, réalisé en grande partie en faisant place à l’improvisation, fait également partie de cette tendance. Moullet y inscrit aussi Jean-Luc Godard (2009, 176). Même s’il est vrai que celui-ci écrivait le scénario au jour le jour et modifiait régulièrement les dialogues même lorsque les acteurs les performaient, il reste que, comme l’a souligné Alain Bergala, sa méthode n’est pas une improvisation collective : il est le seul à avoir le droit d’improviser, sans impliquer d’autres membres de l’équipe ou les acteurs (2006, 35-39). Godard improvise en effet comme un artiste individuel, à la manière d’un peintre ou d’un écrivain, plutôt que dans le cadre d’une pratique cinématographique collective. Donc, dans cet article, seuls trois cinéastes seront retenus comme les cinéastes de l’école de l’aléa : Pialat, Rivette (après La Religieuse, réalisé en 1966) et Rozier, dont les œuvres reposent largement sur l’improvisation collective, en particulier celle des acteurs, et plus précisément celle de leurs corps.
« Donnez-moi un corps »
Les films de Pialat, Rivette et Rozier sont souvent reconnus pour leur vitalité et leur fraîcheur. Cela n’est pas sans rappeler la façon dont on décrit le jazz, également qualifié de musique fraîche et vitale en raison de son caractère improvisé (Mouëllic 2011). Mais où se trouve la source de rafraîchissement en cinéma? D’où proviennent cette vitalité et cette fraîcheur? Comme nous le verrons plus loin, elles ne découlent pas du récit, ni du texte, ni de l’ordre, mais plutôt de la vie, de l’imprévu et du corps. En effet, avec l’école de l’aléa, le rapport entre le corps et le scénario au cinéma subit une sorte de renversement. Alors que normalement, les corps des acteurs suivent et incarnent les personnages écrits dans le scénario, ici, c’est le corps, dont l’état varie en fonction de ce qui se passe pendant le tournage, qui infléchit l’intrigue et guide l’écriture du scénario et des personnages. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas de texte dans le processus de réalisation. C’est une idée largement reçue, mais relativement erronée sur les cinéastes improvisateurs : le texte existe bel et bien, mais il se trouve en grande partie subordonné aux réactions et gestes instantanés du corps, et mis à son service.
Il est important de souligner que le terme « corps » est ici utilisé dans le sens spinoziste-deleuzien. Il est ce qui a l’aptitude d’affecter et d’être affecté et qui peut donc faire ce que nous ne croyons même pas pouvoir faire. Le corps a le pouvoir d’étonner. Il n’étonne pas seulement les autres, mais aussi et surtout celui qui l’incarne; « le corps peut, par les seules lois de sa nature, beaucoup de choses qui causent à son âme de l’étonnement. » (Spinoza 1965, 221) Ensemble de mouvements et de périodes de repos qui échappe au savoir, le corps, grâce aux compositions qu’il forme constamment en relation avec d’autres corps, agit comme une véritable ouverture sur le monde. Le corps est étonnant, car il a l’avantage de dévoiler des actions que l’âme ne peut prévoir à l’avance. Dans cette perspective, l’école de l’aléa, dont le but est de saisir l’étonnant et l’imprévu, privilégie les corps des acteurs et tout ce que ceux-ci peuvent, grâce à leurs actions et réactions inattendues, apporter au film. Les autres éléments du film, tels que le texte et le scénario, doivent s’adapter constamment aux parcours imprévisibles que le corps emprunte.
À l’origine du cinéma de ces trois cinéastes, il y a toujours, aussi léger soit-il, un texte qui sert de point de départ, même un simple tableau des points de rencontre des personnages, comme c’est le cas dans Out 1 (1971) de Rivette. On part de ce texte initial en espérant que les corps des acteurs révèlent quelque chose de nouveau pendant le tournage. Ainsi, chaque séquence se réécrit au vu de ce qui s’est passé au cours de la séquence précédemment tournée. En d’autres termes, grâce à l’improvisation, le corps surgit de manière imprévisible, imposant à chaque fois de nouveaux tournants au récit. À cet égard, Bernard Ménez décrit la méthode de Rozier ainsi : « Y avait-il un scénario? Il y avait un synopsis développé, mais les scènes nous arrivaient au fur et à mesure, et il modifiait son scénario au vu des scènes tournées. » (2014). Suzanne Schiffman, scénariste participant à six films avec Rivette, explique la démarche du cinéaste de la manière suivante : « Au fur et à mesure qu’on tournait, et que le film se construisait, les acteurs avaient des idées, ils savaient un peu mieux ce qui s’était passé » (citée dans Frappat 2001, 143). Et enfin, Evelyne Ker, qui interprète le personnage de la mère dans À nos amours, raconte ainsi le tournage du film de Pialat :
Nous répétions très peu et sans dire de texte (pour conserver la fraîcheur). Mais au moteur, alors là, quelle panique! Il fallait parer à tous les coups, être toujours prête à répondre même si ce que vous entendiez n’avait aucun rapport avec le texte écrit : transporter à sa manière, avec ses propres mots.
En l’absence d’une intrigue initiale ou si celle-ci ne sert qu’à amorcer le récit, le film prend forme au cours du tournage, et même pendant la phase de montage. Cependant, lorsque le cinéaste souhaite ou est contraint de maintenir la structure de base du récit, comme c’est le cas dans les films autobiographiques de Pialat, il rédige une scène compensatoire. Un exemple notable est la scène de bagarre au couteau dans Loulou (1980), ajoutée après une scène précédente improvisée, afin de réaligner le film avec la trame générale du récit. Dans tous les cas, le texte n’est qu’une réaction au jaillissement du corps. En parlant de Pialat, Rémi Fontanel met en avant cette relation entre corps et récit : « Chez Pialat, c’est un corps surgissant dans le champ qui donne une nouvelle impulsion au récit et a son déroulement » (2004, 134).
Si le corps est la source génératrice de l’imprévu et le moteur de l’improvisation, c’est que lui seul est capable d’apporter quelque chose d’imprévisible au film, d’étonner. Dans un esprit purement spinoziste, Walser, l’un des personnages de Secret Défense (1998) de Rivette, évoque cette capacité particulière du corps : « On ne sait pas ce que peut le corps » (2 : 15 : 14). Il est à noter que, dans l’école de l’aléa, tout comme dans la philosophie de Spinoza, le corps n’est jamais un objet isolé : il y a toujours des relations entre les corps, des mouvements et des repos. Comme le résume Deleuze dans la préface de la traduction française du livre de Negri L’anomalie sauvage. Puissance et pouvoir chez Spinoza, la thèse de Spinoza sur les interactions entre les corps se synthétise ainsi :
Il y a donc des processus de composition et de décomposition des corps, suivant que leurs rapports caractéristiques conviennent ou disconviennent. Deux ou plusieurs corps formeront un tout, c’est-à-dire un troisième corps, s’ils composent leurs rapports respectifs dans des circonstances concrètes.
Comme Emmanuel Siety l’a bien expliqué, la composition et la décomposition chez Rivette se traduisent respectivement sous les formes de « rencontre » et de « l’interdit de la rencontre » ou du « duel » (2009, 14). Quant à Rozier, il donne à ces notions une dimension musicale en cherchant inlassablement sur le tournage un rythme idéal entre les corps : « Lorsque ça ne vient pas, c’est que le tempo n’est pas bon. Les acteurs ont besoin d’un battement, d’un rythme » (cité dans Marc et Hervé 1980, 26). Chez Pialat, ce processus chimique entre les corps et les forces fonctionne bien plus douloureusement et brutalement : il met en tension des corps essentiellement incompossibles qui, de manière violente, s’efforcent de se composer.
Le corps, surgissant de manière inattendue, a le pouvoir d’insuffler une vitalité ou même du chaos dans le film, altérant le récit en y introduisant des éléments imprévus et aléatoires. Néanmoins, il ne faut pas oublier un principe essentiel dans le cinéma des créateurs de l’école de l’aléa : l’imprévu ne peut pas apparaître de manière aléatoire. Il exige des efforts, des stratégies et des techniques. D’ailleurs, un grand nombre d’artistes modernes ayant eu recours au hasard, comme les trois cinéastes en question, n’aimaient pas beaucoup que l’on perçoive leurs œuvres comme de simples résultats du hasard. Ils préféraient d’autres appellations pour désigner leurs méthodes artistiques. Par exemple, Francis Bacon utilisait l’expression « hasard manipulé » (cité dans Sylvester 2013, 89), Pierre Boulez parlait de « hasard domestiqué » ou « dirigé » (1966, 41-56), et d’autres se servent des termes tels que « hasard canalisé », « hasard contrôlé », « hasard méthodique » et bien d’autres (Troche 2015, 21-39). Il en va de même pour les cinéastes de l’école de l’aléa. Au lieu de s’en remettre au hasard, Pialat, Rivette et Rozier mobilisent des stratégies variées pour pousser les corps des acteurs à révéler quelque chose d’imprévu. Examinons d’abord les procédés communs entre les trois.
« Le génie comme une longue patience »
À l’inverse des cinéastes improvisateurs américains des années 1970, notamment Cassavetes, l’école de l’aléa français préfère les plans larges aux gros plans. Filmer les acteurs de loin permet de les cadrer en entier et de les mettre en relation avec d’autres personnages. Lorsque l’on tourne en plan éloigné, on peut d’un côté capter tous les mouvements physiques, et de l’autre surveiller tout ce qui apparaît pendant le tournage sans risquer de perdre l’imprévu éventuel. La plupart des actions décisives dans le cinéma de Rozier sont tournées en plans éloignés, d’autant plus que le réalisateur est très soucieux d’intégrer les effets météorologiques dans ses films. Rivette privilégie lui aussi les plans larges, car ils offrent la possibilité de mieux saisir les mouvements et les réactions imprévus des corps des acteurs pendant le tournage. Il est intéressant de rappeler que le peintre Édouard Frenhofer, personnage principal de La Belle Noiseuse (1991), partage le même point de vue que Rivette sur ce sujet, cherchant lui aussi à peindre « le corps tout entier, pas des morceaux de corps » (2 : 04 : 52). Pialat, quant à lui, est à peu près du même avis : « les gros plans sont parfois intéressants, passionnants même, chez Bergman par exemple. Mais il est dans certains cas inutile de souligner le texte à l’encre rouge. Lumière, lui, filmait l’ensemble, c’est-à-dire la vie […]. » (1979, 123)
Une autre caractéristique de l’école de l’aléa est liée à la longue durée de production des films. Pialat et Rivette tournent généralement une quantité énorme de prises, ce qui non seulement augmente la durée du tournage mais prolonge également la phase de montage. D’un autre côté, Rozier choisit généralement des lieux de tournage éloignés, inconfortables, voire parfois dangereux, repoussant constamment l’achèvement du film. Par ailleurs, les trois cinéastes n’aiment guère couper et interrompre le tournage : ils sont angoissés à l’idée que quelque chose de nouveau et d’imprévisible se produise lorsque la caméra est éteinte. Il faut attendre l’imprévu aussi longtemps que possible. C’est ce que André Labarthe rapporte en évoquant le tournage de L’Amour fou :
Lorsque j’intervenais, dans L’Amour fou avec une petite caméra 16, je me souviens que Rivette, qui tournait, lui, avec une caméra 35, ne disait jamais « coupez ». Quand la caméra arrivait au bout du magazine, il était obligé de couper. Il n’y a aucune raison de dire « on arrête »; Dieu seul peut dire « coupez ». C’est comme de dire « on va arrêter la vie » : on n’arrête pas la vie pour la continuer cinq minutes après »
Dans la même veine, Rozier ne permet à personne d’arrêter le tournage sous quelque prétexte que ce soit : « Je n’aime pas que quelqu’un d’autre que moi fasse la clape » (1986, 36 : 18). Pialat est celui qui pousse cette technique à ses limites, allant jusqu’à filmer les acteurs hors du tournage et sans qu’ils s’en rendent compte. Chez lui, il n’y a pas de clap de début ou de fin. Une angoisse totale pour les acteurs et l’équipe qui ont l’impression d’être toujours filmés et qui doivent donc être toujours prêts à improviser. Comme le souligne Sandrine Bonnaire : « Maurice ne coupait pas. C’est-à-dire qu’après le “Coupez!”, ça tournait toujours encore. C’est son talent. Il utilise les chutes et les bouts de scènes qui sont censés ne pas être dans le film » (citée dans Buchman 2008, 127).
Un autre aspect partagé par les trois cinéastes de l’école de l’aléa est l’indifférence à l’égard de la cohérence psychologique des personnages, et donc de la causalité entre les événements de l’histoire. Cependant, cela n’est pas propre uniquement aux cinéastes évoqués dans cet article. C’est le point commun de la majorité des cinéastes improvisateurs, tels que Godard, car l’improvisation implique inévitablement un débordement spontané affectif et physique de la part des acteurs qui échappe à toute justification psychologique et narrative. Ainsi, lorsqu’on visionne leurs films, on ne connaît jamais la raison et la motivation d’une grande partie des actions et des paroles des personnages, ce qui n’est pas surprenant car eux-mêmes ne la connaissent pas. Rivette et Rozier cherchent, dans la mesure du possible, à reléguer les aspects psychologiques en arrière-plan, que ce soit dans l’interprétation des acteurs ou dans la dynamique narrative. Rivette affirme : « J’ai horreur du jeu naturel ou psychologique » (cité dans Frappat 2001, 187). Pialat, quant à lui, réagit de manière plus vive à la question de la psychologie, traitant Freud de « charlatan viennois » (cité dans Daly 2003). Chez les trois réalisateurs, les acteurs ne sont pas engagés dans les films pour incarner des personnages tridimensionnels, mais pour tenter d’offrir ce qui est inconnu, même pour eux-mêmes. Nous ne sommes ni dans le monde décryptable de Freud, où il y a toujours des explications aux faits et comportements, ni dans le monde de l’unité d’Aristote, qui exige une cohérence « convaincante » entre tous les éléments narratifs, mais plutôt dans un espace épicurien rempli d’atomes, en attendant le clinamen! De même que la déviation aléatoire et inexplicable des atomes, en brisant les lois de la fatalité, reconfigure de manière inattendue la structure atomique, les actions et réactions inattendues des corps des acteurs pendant le tournage remettent en question la fatalité narrative et réorganisent continuellement le monde filmique.
Caméléon, araignée et matador : politique de passivité
Pour maintenir la continuité des plans et éviter la perte de moments imprévisibles, Rozier tourne à deux caméras, à la manière des réalisateurs du début de l’ère du cinéma parlant : « Cela me permettait d’éviter les ruptures dans le tournage d’une séquence, de tourner en continuité et donc de laisser une grande liberté d’improvisation aux comédiens. » (cité dans Mouëllic 2006, 65-66) Il a acquis cette technique surtout grâce à ses années de travail à la télévision, ainsi qu’à son expérience en tant qu’assistant de Jean Renoir, pionnier de l’improvisation du cinéma français, qui avait d’ailleurs tourné ses premiers films à deux caméras dans les années 1930. Comme le note Mouëllic, le penchant de Rozier pour l’improvisation émane avant tout de son intérêt pour deux sources : la télévision et le cinéma de Renoir. En effet, le cinéaste rend hommage à ces deux sources d’inspiration dans la séquence d’ouverture d’Adieu Philippine, où le personnage principal du film, technicien du plateau, entre dans le champ pendant le tournage d’une émission en direct, ce qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler la scène célèbre d’ouverture des Règles du Jeu (Mouëllic 2011). Ainsi, en s’inspirant de la souplesse, de la liberté et de la légèreté offertes par la télévision et le cinéma de Renoir, Rozier a créé une méthode spécifique largement axée sur l’improvisation.
Autre chose qui caractérise, à son tour, la méthode de Rozier, c’est son ouverture à l’environnement atmosphérique du lieu de tournage. Le cinéaste emmène souvent son équipe dans des régions géographiques dont le climat est susceptible de résonner ou bien de dissoner plus facilement avec les corps et les nerfs des acteurs. Les longs voyages de l’équipe de tournage, en maintenant les acteurs ensemble pendant une période prolongée, augmentent d’une part la possibilité de créer de nouvelles compositions entre les corps, tout en sensibilisant d’autre part les acteurs à l’ambiance météorologique qui les entoure, ce qui les rend plus réactifs aux stimuli environnementaux. Les acteurs cherchent à tâtons une synchronisation entre eux, et en parallèle, le rythme des mouvements et des gestes se transforme constamment, comme un caméléon, en réponse aux changements météorologiques. Afin d’amplifier encore la résonance et la dissonance avec la nature, Rozier met parfois les acteurs dans des situations où ils ne peuvent pas agir selon leurs connaissances et expériences antérieures, mais doivent réagir sur le coup, en improvisant au lieu de jouer. Par exemple, dans Du côté d’Orouët, il met une grosse anguille dans les mains des acteurs, et dans Adieu Philippine, il oriente un essaim d’abeilles vers les acteurs dans le cadre. Dans les deux cas, le mouvement des acteurs, tout comme celui de l’anguille et des abeilles, est nécessairement improvisé et spontané.
Ancien critique de cinéma, cinéphile assidu même à l’époque de la réalisation et défenseur ardent de l’art atonal contemporain, Rivette est celui qui utilise une méthode extrêmement subtile, invisible et complexe. À première vue, il semble adopter l’absence de méthode comme la sienne propre, mais en réalité, sa démarche artistique découle d’une riche connaissance de l’histoire du cinéma et de l’art moderne. De fait, le cinéaste est convaincu que le charme de l’art en général, et du cinéma en particulier, réside avant tout dans le moment où il effleure le secret, le mystère et l’imprévu. Pour saisir ces moments miraculeux, l’artiste n’a rien à ajouter au monde, qui est déjà trop rempli pour faire entrer l’imprévu, mais il doit vider et soustraire ce qui préexiste, créant ainsi un espace suffisant pour l’avènement éventuel du secret et du mystère. Pour reprendre les termes de Deleuze, il « n’a pas à remplir une surface blanche, il aurait plutôt à vider, désencombrer, nettoyer » (1981, 57). Rivette va même jusqu’à vouloir tout effacer :
Dans les films, ce qui est important, c’est le moment où il n’y a plus d’auteur du film, plus de comédiens, même plus d’histoire, plus de sujet, plus rien que le film lui-même qui parle, et qui dit quelque chose qu’on ne peut pas traduire
Il s’agit d’une passivité active comme la stratégie d’une araignée. Le cinéaste se considère comme un chasseur patient et passif : « Et je crois qu’on ne peut y arriver qu’en essayant d’être le plus passif possible aux différents stades, en n’intervenant jamais pour son compte, mais au nom de cette autre chose qui n’a pas de nom » (Ibid.). Ce mystère innommable, c’est bien l’imprévu, qui échappera si on tente de le forcer à se dévoiler. Pour qu’il se dévoile, il faut plutôt patienter, et comme le souligne Rivette, « laisser les choses venir d’elles-mêmes, sans jamais les forcer, [simplement] être là comme témoin » (Ibid.). Tisser d’abord une toile et puis attendre l’imprévu avec patience. L’« innommable » peut arriver ou pas, le reste ne tient qu’au hasard. C’est ce que Jean Narboni énonce également : « Rivette est un peu l’araignée proustienne vue par Deleuze. Il est tapi au milieu de sa toile et puis il reçoit les ondes qui lui parviennent les mouches qui rôdent » (cité dans Frappat 2001, 186). Ainsi, Rivette n’intervient dans le processus de réalisation du film qu’au début et à la fin. Entre les deux, il ne fait qu’attendre : « En fait, il y a deux responsabilités dans un film, celle de dire : on le commence, et celle de dire : on le finit » (Rivette 1981, 19).
Une telle méthode d’improvisation nécessite néanmoins une immense confiance en l’équipe de tournage, en particulier envers les acteurs. De la part de Rivette, cette confiance est totale, comme en témoigne Géraldine Chaplin, actrice de Noroît (1979) et de L’Amour par terre (1984) : « Il fait extraordinairement confiance à ses acteurs. Il fait du cinéma pour rencontrer des acteurs, pour les voir, pour les faire vivre » (Ibid., 23). La confiance est tellement élevée qu’elle suscite parfois de l’incertitude et de l’angoisse chez les acteurs. Bulle Ogier raconte, par exemple, le tournage de Out 1 de la manière suivante : « Pour les actrices, c’était l’angoisse; quand on jouait, tout nous paraissait complètement abstrait : on ne savait pas comment faire, ni quoi dire, ni pourquoi. » (citée dans Frappat 2001, 140) De toute façon, Rivette accorde toujours une carte blanche à toute son équipe : il permet aux scénaristes d’orienter le récit étape par étape en fonction du déroulement des scènes tournées; il implique les acteurs dans le processus d’écriture des dialogues (surtout dans l’Amour fou et Out 1) et autorise les chefs opérateurs et les cadreurs à prendre des prises selon leur choix. La confiance est tout de même réciproque. L’équipe sait, à son tour, très bien ce que Rivette attend d’elle. En fait, il n’attend pas grand-chose : expérimenter, affirmer la contingence du tournage et s’ouvrir à l’inattendu et à l’imprévu. Toutes les exigences de Rivette peuvent, comme le dit Jean-Claude Lubtchansky, se résumer en deux mots : « Étonne-moi » (Ibid.).
De Pialat, Sandrine Bonnaire dit presque la même chose dans le documentaire L’œil humain (1999) que Xavier Giannoli a réalisé sur À nos amours : « Il attend d’une scène ce qu’il n’attendait pas et ce qui doit l’étonner. » (24 : 15) À propos du cinéaste, on sait beaucoup de choses, tantôt des mythes, tantôt des réalités, sur sa méthode brutale et cruelle. Pour la définir, Catherine Breillat parle de « relations anthropophages » (citée dans Fontanel 2004, 109), Bergala de « contagion » (1995, 12) et de « chaudron de la création » (Bergala, Narboni, Toubiana 1983, 10), Serge Dany de « cyclone » (1983) et Daniel Toscan du Plantier de « Vietnam » (cité dans De Baecque 2008)! Il existe encore de nombreuses autres dénominations qui, quoi qu’il en soit, évoquent toutes la nature corporelle et peut-être bestiale du cinéma de Pialat. Lui, comme les deux autres cinéastes, ne « dirige » pas, au sens conventionnel du terme, pendant le tournage, et souhaite que les acteurs apportent quelque chose de frais : « Un tournage est un moment que l’on essaie d’agripper. Au cours d’un tournage, il doit se passer quelque chose, sinon le film est un échec » (cité dans Mérigeau 2003, 49). À l’inverse de Rivette et de Rozier, il estime, avec méfiance, que les acteurs ne sont pas capables de donner de nouveauté, car ils, comme tout le monde, agissent en fonction des clichés et des normes ainsi que des habitudes personnelles et sociales qu’ils ont accumulées au fil des années. Passionné par la fraîcheur et la vivacité des films des frères Lumière, il souhaite que, dans une mission impossible, ses acteurs apparaissent devant la caméra comme les gens des premiers films de l’histoire, qui n’avaient aucune idée du cinéma. Pour retrouver la même fraîcheur, les acteurs de Pialat ne sont donc pas autorisés à jouer, mais plutôt à être « présents » en mettant de côté tout ce qu’ils connaissent du cinéma et du jeu d’acteur. Pascal Mérigeau explique à quel point la découverte des frères Lumière, vers la fin des années 1960, a marqué la méthode et le parcours de Pialat :
Pour la première fois, il a vu des gens filmés pour la première fois. Acteurs sans le savoir, pas acteurs en fait et acteurs pourtant. Premiers acteurs. Son obsession sera désormais de filmer comme pour la première fois, de filmer des premières fois. Il est le premier des cinéastes modernes dont les films se composent de premières fois. Il est aussi le dernier
Ainsi, tout jeu professionnel et toute tentative d’identification psychologique avec les personnages reçoivent une réponse violente de la part du réalisateur. Il faut agir devant la caméra comme si le cinéma n’avait jamais été inventé. C’est là que se révèle la véritable improvisation.
Mais comment peut-il rétablir la « première fois », alors que près de soixante-dix ans se sont écoulés depuis la naissance du cinéma et que tout le monde à notre époque, contrairement aux personnes filmées par les frères Lumière, possède déjà une compréhension du cinéma et des méthodes de jeu? Comment les acteurs peuvent-ils faire surgir l’imprévu avec autant de couches formées dans leur corps et leur esprit? La réponse de Pialat est très brute : il faut d’abord arracher les couches accumulées. Pour y arriver, une grande quantité de haine, de violence et de paranoïa est injectée dans le film, même entre les acteurs eux-mêmes, pour les pousser au seuil de la nervosité et de la tolérance : c’est seulement à ce stade que les acteurs peuvent réellement apparaître dans l’instant présent, se débarrassant de toutes les compétences comportementales, et improviser véritablement comme les gens des films des frères Lumière. Donc, la violence chez Pialat n’est pas simplement un thème ni un élément accessoire, mais la source génératrice de toute son œuvre.
Si Rivette fait appel à une passivité active pour réaliser ses films, la méthode de Pialat peut être perçue comme une activité passive. Il tourmente les acteurs, de manière brutale, pour leur offrir une liberté absolue : « les comédiens de métier acceptent difficilement ma façon de travailler, c’est-à-dire de les laisser entièrement libres. » (Pialat 1972, 99) Ni araignée ni caméléon, la stratégie de Pialat fonctionne comme celle d’un torero. Avec lui, le tournage ressemble un peu à une corrida brutale. Dans ce bain de sang, Pialat est le torero, celui qui veut attraper le taureau (l’imprévu) non pas en l’attaquant, mais en reculant. Il ne court pas vers la proie, mais pour la capturer, il la provoque, l’humilie et la met constamment en colère. Le matador, doué d’une agressivité passive, est celui qui, selon Michel Leiris, « tire du danger couru l’occasion d’être plus brillant que jamais et montre toute la qualité de son style à l’instant qu’il est le plus menacé » (1988, 12).
L’Angoisse de l’improvisateur au moment du tournage
Comme nous l’avons vu, la peur, l’anxiété et le sentiment de danger évidents dans les films de Pialat découlent de la méthode particulière du cinéaste. Cependant, il existe un autre sentiment d’angoisse, plus profond, qui est perceptible dans l’ensemble des œuvres de l’école de l’aléa. Ce sentiment, inévitablement lié à toute improvisation, en particulier à celle de nature collective, peut être défini comme une angoisse existentielle dans le contexte des films. Le recours prépondérant à l’improvisation nécessite que le cinéaste, les acteurs et l’équipe du film éprouvent une forte incertitude, qui résulte du manque de ligne narrative claire et donc de l’absurdité de leurs actions. Si la vie n’a ni histoire ni ligne claire, si son récit peut changer à chaque instant sous l’influence de n’importe quel incident, alors inévitablement, le monde apparaît dépourvu de sens, engendrant une angoisse existentielle, une sorte de vertige face à un monde vidé de sens. André Dussollier exprime bien ce vertige en évoquant la situation précaire des acteurs chez Rivette : « Les scènes étant écrites au jour le jour en fonction de ce qui peut se passer sur le tournage, on devient plus fragilisé que d’habitude. On a l’impression d’être sur un fil » (cité dans Chevrie 1984, 22).
Ce sentiment d’insécurité et d’incertitude est d’autant plus grave, car les acteurs ne savent pas exactement quoi présenter : ils doivent exposer quelque chose qu’ils ne savent même pas avoir en eux-mêmes. L’incertitude et l’angoisse atteignent leur paroxysme lorsqu’il est question de la manière d’achever le film. Puisqu’il n’y a pas de texte complet au préalable, le tournage ne prend évidemment pas fin au moment de l’achèvement ou de la réalisation finale du scénario, mais peut, en principe, durer infiniment. Rivette et Pialat tournent aussi longtemps qu’ils peuvent dans l’espoir d’arracher quelque chose de frais, sans se soucier de la manière dont le film se termine, ce qui, en raison des contraintes budgétaires et de l’approche de l’échéance prévue, rend l’ambiance du tournage de plus en plus angoissante et difficile. Comme le note André S. Labarthe, Rivette accordait peu d’importance à la fin du film, car celle-ci signifiait, pour lui, abandonner le processus de création plutôt que l’achever. Ainsi, un film « n’a pas de fin. La fin est un artifice […] Rivette ne savait jamais où allaient ses films, où ça finirait. » (Labarthe 2016, 15) L’indifférence et en même temps le souci de la fin trouvent également des échos dans l’œuvre de Pialat. En ramenant, ou plutôt en ressuscitant, le personnage du père, interprété par le cinéaste lui-même, dans la célèbre scène de repas d’À nos amours, alors qu’il devait mourir selon le scénario, Pialat prouve qu’il ne se soucie pas du destin narratif. Pour retrouver ce thème chez Rivette, pas besoin de chercher bien loin : La Belle Noiseuse est un film qui traite clairement du souci, ou plutôt de l’impossibilité, de l’achèvement dans le processus artistique. Adapté du roman Le Chef-d’œuvre inconnu de Balzac, le film raconte l’histoire d’un peintre qui n’arrive pas à achever son tableau.
Alors que la plupart des cinéastes cherchent à éviter les accidents dangereux et imprévus pendant le tournage, ceux de l’école de l’aléa embrassent toutes sortes de situations angoissantes et incertaines. Ce sont justement les événements désagréables qui constituent la spécificité et la force de leurs films, nourrissant ainsi leur démarche artistique. Aux yeux de ces trois cinéastes, lorsque tout va bien, et qu’ils n’hésitent pas, cela signifie que tout va mal, et vice versa. Voilà ce que Pialat disait à ce propos : « c’est quand les choses vont mal que je suis le mieux » (1992, 16). Rivette, quant à lui, recherche un tournage dangereux et pénible : « J’ai toujours envie que le film soit quelque chose qui a une vie dangereuse » (1981, 19). Selon Rozier, enfin, il n’est pas important que tout aille bien, ce qui compte se situe ailleurs : « Les choses ne marchent pas tout à fait comme on les avait prévues, mais la manière dont elles marchent est encore plus intéressante » (2009).
Non seulement ces cinéastes privilégient les situations complexes, ambiguës et dangereuses, mais ils cherchent également à en intensifier la difficulté, l’ambiguïté et la complexité. La démarche commune de l’école de l’aléa n’a jamais pour but d’ordonner et d’organiser le tournage, mais au contraire, elle tente de le rendre plus désordonné et chaotique pour augmenter la possibilité d’improvisation et ainsi faire surgir l’imprévu. Il y a même des moments où le cinéaste prolonge sciemment les incertitudes et les malentendus au sein de l’équipe. Paulo Branco, producteur de Main-Océan de Rozier, relate sa visite sur le tournage de la manière suivante : « Je ne suis allé qu’une seule journée sur le plateau, pendant laquelle il a tout fait pour ne rien tourner! » (2023, 106) Dominique Besnehard exprime des propos presque similaires à propos de Pialat: « Maurice n’a qu’une idée en tête : trouver tous les jours le moyen de ne pas tourner, repousser constamment le moment de s’y mettre. C’est son drame : reculer, reculer. » (cité dans Mérigeau 2003, 110) Pialat s’éclipse même parfois en cours de tournage, tout comme Rivette, qui, lui aussi, quitte le plateau sans prévenir et ne réapparaît que quelques jours plus tard. « Sur un tournage », confie Bulle Ogier, « il pouvait disparaître deux jours, les producteurs, comme Martine Marignac, le cherchaient partout, inquiets… Puis il revenait » (2016). Ainsi, l’hésitation et l’incertitude ne sont pas destinées à être résolues et surmontées ici, bien au contraire, elles se multiplient et persistent sous l’égide du cinéaste. En comparant la réalisation d’un film à une aventure dangereuse, Rivette explique de la manière la plus nette ce qu’il attend d’un film : « Le cap établi au départ fut, en cours de route, corrigé à maintes reprises, au gré des vents contraires, bonaces ou douces brises. Il ne reste qu’à espérer que le film achevé garde, en ses détours, quelque chose des périls de la traversée, de ses incertitudes. » (cité dans Frappat 2001, 306) La beauté d’un film réside avant tout dans les traces laissées par les incertitudes et les hésitations de ses créateurs.
Pour finir, il convient peut-être d’avancer l’idée que l’école de l’aléa pourrait être l’une des manifestations les plus parfaites de l’idée de la « créativité négative » au cinéma. Cette expression, utilisée une seule fois par John Keats dans une lettre qu’il a adressée à son frère, désigne le processus de création des artistes tels que Shakespeare, qui cherchent à créer une vision esthétique couvrant le plus de complexités possibles sans nécessairement les connaître, même si cette quête les plonge dans un état de confusion et d’incertitude. Il écrit :
I had not a dispute but a disquisition with Dilke, upon various subjects; several things dovetailed in my mind, and at once it struck me what quality went to form a Man of Achievement, especially in Literature, and which Shakespeare possessed so enormously—I mean Negative Capability, that is, when a man is capable of being in uncertainties, mysteries, doubts, without any irritable reaching after fact and reason—Coleridge, for instance, would let go by a fine isolated verisimilitude caught from the Penetralium of mystery, from being incapable of remaining content with half-knowledge
Pialat, Rivette et Rozier mériteraient d’être inscrits dans la catégorie d’artistes dont parle Keats. « Capables de se contenter d’une semi-connaissance », ils cherchent en effet à puiser des possibles dans l’état d’incertitude pour ressourcer leurs œuvres. Autrement dit, dans l’école de l’aléa, la pratique du cinéma consiste moins à connaître (le texte, les techniques cinématographiques, les méthodes professionnelles et tout autre chose déjà existante) qu’à reconnaître (des accidents, des embûches, des périls, l’inattendu et le corps). La semi-connaissance, suggérée par Keats, consiste ici à mobiliser un certain niveau de connaissance de manière négative, dans le seul but de restreindre la dominance de la connaissance elle-même, qui empêcherait le corps de révéler l’imprévu et le nouveau : la semi-connaissance se caractérise par la connaissance d’exclusion (ce qui est connu), plutôt que par la connaissance d’inclusion (ce qui est inconnu). Seul le corps est capable de réaliser cette dernière. Ainsi, les cinéastes en question ne connaissent que ce qu’ils ne veulent pas, et non ce qu’ils aspirent à atteindre. Par exemple, comme l’explique Mérigeau, « la méthode de Pialat, c’est de rarement dire ce qu’il veut, toujours ce qu’il ne veut pas. » (2003, 177) Les cinéastes de l’école de l’aléa ont bien retenu la leçon de Spinoza : on ne sait jamais ce que peut le corps. Au lieu de prétendre qu’ils connaissent les capacités et les fonctions des corps des acteurs et donc de leur attribuer des rôles préalables, ils reconnaissent ces corps dans leur inconnaissabilité, comme des possibilités chargées de nouveauté et d’imprévu : ils reconnaissent l’inconnaissabilité du corps. Comme Spinoza l’explique :
J’ai déjà montré qu’on ne sait pas ce que peut le corps ou ce qui se peut tirer de la seule considération de sa nature propre, et que, très souvent, l’expérience oblige à le reconnaître, les seules lois de la nature peuvent faire ce qu’on n’eût jamais cru possible sans la direction de l’Âme. Telles sont les actions des somnambules pendant le sommeil, qui les étonnent eux-mêmes quand ils sont éveillés.
L’état des somnambules n’est pas sans rappeler celui de semi-connaissant, où les trois cinéastes cherchent, chacun à leur manière, à pousser les acteurs pour faire émerger de leurs corps des actions inattendues et étonnantes. Si l’on se retrouve dans cette zone d’indétermination, qui est évidemment lourde d’incertitude et de difficultés, on est obligé de reconnaître tous les moments imprévus que le corps, à travers des compositions, des décompositions et des recompositions avec d’autres corps, nous offre. Ce n’est qu’ainsi qu’il reste une chance d’être encore étonnés par l’imprévu dans le monde, car c’est seulement le corps qui peut nous faire dire : « étonne-moi ».