Les lettres queer

échange épistolaire entre un·e écrivain·e et sa personnage sur les masculinités féminines en général et les pratiques BDSM en particulier

Fragment I
« Je suis au cinéma et je pleure. La vie de Colette défile. Je n’ai d’yeux que pour son amant, Missy, Monsieur Belboeuf1. C’est la première fois. C’est une expérience troublante, extatique, qui affecte tout mon corps et émeut ma matière imaginaire. Il y a une femme masculine à l’écran qui met en mots son expérience, qui est aimée pour ce qu’elle choisit d’incarner. La perspective de la caméra s’abstient de toute violation de son corps. On ne la rend pas monstrueuse, manquante ou ratée. C’est la première fois. J’apparais dans le réel. C’est trop. Si désiré et pourtant si violent. Je ne serai plus jamais la même. Je ne serai plus jamais le même. »

Fragment II
« B c’est pour brave. Becoming. Bien être. Bien sûr. Bouche. Bercer. Boire. Bâtir. Beat. Bousculer. »

Lettre : Le plaisir
Chère Mariève,

J’étais ravie de recevoir ta lettre. Tu as de ces manières d’entrer en contact avec les gens! Ça me charme beaucoup. Écrire une lettre, aujourd’hui, c’est faire acte de lenteur, un rythme en voie de disparition dans notre société d’aujourd’hui, même dans notre milieu chéri. D’ailleurs, on s’ennuie de toi. Quand reviendras-tu? Est-ce la mauvaise santé qui te tient loin de nous? De moi? As-tu besoin de nourriture ou d’argent? D’une sage ou vilaine compagnie? N’hésite pas à faire appel à moi, au besoin. Je suis là.

Je ne pense pas que tu sois dans un état pour t’amuser avec le feu. C’est d’eau, dont tu as besoin. Il te faut laisser couler les choses. Tout doit ruisseler sur toi. Tu as besoin de te réhydrater, de te reminéraliser. Penses-y bien. Et laisse-toi décompresser avec ce Puppy que je t’ai recommandé. Il est très obéissant et quémande sans cesse des câlins. Il devrait t’écrire sous peu.

N’oublie pas le plaisir, Mariève. C’est pour ça que j’existe, non? Pour te rappeler que tu cherches le plaisir, que tu l’apprivoises, que tu y as droit. Que le plaisir est aussi une manière d’interagir avec le monde et d’en concevoir un nouveau. C’est ta rébellion. Ta révolution. Ne m’oublie pas.

Nina

Fragment III
« Dans ma lettre, j’ai évité les noms et adjectifs inclusifs que je m’appose d’ordinaire. J’ai parlé de pronoms inclusifs comme technique d’écriture créative queer… Ça fait bien rangé, bien sage, non menaçant. Ça range l’identité de genre et l’expression de genre du côté de l’art, du côté de l’imagination et de la fiction. Ce qui est subversif à l’ordre dominant, ce n’est pas tant l’écriture fictionnelle, mais l’écriture du réel. J’ai fait ce choix. Je m’y tiens. Il ne me plaît pas, mais je veux mettre toutes les chances de mon côté. Je veux vivre. Je veux une bourse. Je veux écrire et développer ma carrière en tant qu’écrivain·e. Et pour cela, je dois être seulement l’une. Je dois être sage. Je dois éviter les égos des intolérants. Je dois être maligne, ingénieuxe, intelligent·e. »

Lettre : Différentes masculinités
Chère Nina,

Ratée. C’est ce qu’elle se dit en se mirant dans les vitrines des magasins, dans les miroirs, dans les étendues d’eau très calme et cristalline. Elle n’est pas assez. Elle est ridicule. Cette chemise. Ce nœud papillon. Cette coupe de cheveux. Ridicule. Elle fait encore manquée. C’est pitoyable. Elle ne réussira jamais à incarner cette image glorieuse de femme masculine qui passe pour un homme. L’image dans sa tête se moque d’elle. Elle la froisse et la jette violemment aux poubelles. Elle sera toujours un garçon manqué. Elle sera toujours aussi une fille manquée. Où peut-elle habiter dans ce monde? Cet entre-deux la détruit. Elle ne sait plus distinguer ses repères, de ses fantasmes et de ses désirs d’incarnation. Elle devient folle. Dépressive.

J’ai compris tardivement, Nina, que ma masculinité, du moins une partie de ma masculinité, n’était pas masculine. J’ai compris pourquoi soudainement, grâce à Judith/Jack Halberstam : « [F]emale born people, dit-il, have been making convincing and powerful assaults on the coherence of male masculinity for well over a hundred years […]. Somehow, despite multiple images of strong women […] there is still no general acceptance or even recognition of masculine women and boyish girls […]. » (Halberstam, 1998 : 15) Si j’avais su plus tôt, je me serais évitée bien des ennuis.

Peut-être cela est-il évident pour certaines personnes, mais pas pour moi. Je croyais dur comme fer en la précision de mes instruments de navigation sociale. Je croyais dur comme fer que le pôle Nord était bien là, et que le Pôle Sud l’opposait, le complémentait. Je me disais plusieurs fois par jour que je n’y arrivais pas, que ma masculinité n’était pas assez réussie et cela me troublait profondément. Je regardais les hommes, leur allure, leur soulier, leur rire, pour de l’inspiration, mais sans être capable de la copier. Il devait exister une recette magique, un plan quelconque, une initiation, peut-être, que j’avais ratée. J’étais dans l’idée du miroir, Nina, dans le fantasme de la copie. J’espérais tout, même moi, d’un imaginaire qui ne reconnaîtrait jamais le caractère abouti de ma masculinité, qui n’en mesurerait jamais la juste valeur.

Je te ferai bientôt parvenir mes autres réflexions sur les masculinités, après la grève des postiers et postières. J’ai besoin d’un moment de guérison. Ça va pas trop…

Mariève

Lettre : Différentes masculinités, 2
Chère Nina

Il m’est difficile encore de casser les habitudes entretenues au cours des années. Je regarde toujours la masculinité des hommes comme un standard. Mais de la distance commence à s’insinuer dans ces regards; ils se teintent de réflexions, ils articulent mes prises de conscience, ils cassent une vieille histoire. J’y parviendrai, Nina, j’y parviendrai. Regarderais-je autant les hommes comme modèle de masculinité si je croisais quotidiennement, dans la rue, dans le métro, dans les bibliothèques, autant de butchs? Si seulement je ne me sentais pas si isolé·e, Nina. J’ai cette peur au creux de moi, tu sais, ou ce terreau de peur bien épais, bien irrigué, bien riche. Je crains mon identité politique. Parce que cela me rendrait plus réel·le encore. Et j’ai tant appris à ne pas faire confiance à ma propre réalité. J’ai tant appris que ma réalité était menaçante, individuelle, exceptionnelle.

Elle se demande ce que cela veut dire d’être une butch blanche? Cela veut dire passer parfois pour un homme blanc, donc pour le sommet de la pyramide. C’est remarquer qu’il y a d’abord une pyramide et qu’on y occupe le sommet. Il y a une différence dans la façon dont les hommes et les femmes sont traitées. Elle passe entre les deux comme un phénomène, une sentinelle, un agent secret, et grâce à cela, entre autres, elle sait. Passer pour un homme blanc, c’est ne pas être regardé. Cela signifie aussi ne pas être la cible de l’homophobie dans un pays homophobe alors qu’on tient la main de sa copine dans la sienne en plein espace public. Être butch blanche, c’est peut-être éprouver du plaisir lorsqu’on me prend pour un homme. Certaines butch noires, elles, ou masculine of center, éprouvent de la crainte en pareille situation. Leur masculinité, parce qu’elle est inscrite dans une histoire coloniale et raciste, leur devient dangereuse :

The target on my back as always been my black skin. As a butch woman, I feel my target is less around being a butch woman than it is around being a black male, because I have been identified many times that way. […] But black men get shot. So I smile a lot. […] That’s one of the oh-so brief conversations I’ve had with my friends about transitioning : there’s a piece of me that would love to have top surgery, but I don’t really want to look like a man, because of that, because we’re getting killed. I think about that when I’m walking down the street: I looked like a black men walking down the street. (Robinson, 2018 : 32)

Elle sait aussi qu’elle a des privilèges en tant que butch, par exemple, ne pas affronter autant que les femmes féminines son propre regard critique, ni celui des autres, sur son corps, son apparence, comme Naa Akua : « “I never really think about my masculine of center identity I’m just being me.” My fiancé (now wife) in return reminded me that it would make sense for me not to think about it because those are the benefits of patriarchy. » (Akua, 2018 : 26) Elle comprend également que son privilège réside dans sa capacité à être prise plus au sérieux dans son identité que les femmes féminines, tant par les hétéros que la communauté queer : « Butch has a lot of privilege, rappelle S. Bear Bergman, because butches pass as men a lot, and butches also have a lot of privilege in the queer community because butch reads as queer and femme doesn’t always […]. » (Bergman, 2010 [2006] : 17)

Elle saute maintenant de la poule à l’ânesse. Elle était étonnée devant Ibrahim. De son père colérique et terne, de son père raciste et violent, qu’elle a longtemps aimé pourtant, elle n’avait appris qu’un type de masculinité. Celle des blancs, des blancs assez pauvres, des blancs frustrés, brusques, durs et qui se sentent lésés dans leurs privilèges de blancs parce qu’ils sont pauvres.

Ibrahim pratiquait une masculinité beaucoup plus calme et digne que je taxais d’abord, dans une filiation raciste et sexiste de non-aboutie, de féminine, de propre, de distinguée. Ibrahim était mon entraîneur de boxe. Je garde de lui une image pleine de fierté et de vie. Je garde de lui la destruction de mon imaginaire de la masculinité et le début de sa perception plurielle.

Je me suis rendu compte également, comme Édouard Louis et d’autres avant lui, qu’il existait plusieurs masculinités, entre autres blanches, en changeant de classe sociale. Ce qui est acceptable comme traits masculins pour une classe ne l’est pas nécessairement pour une autre, voire est impensable ou risible. La masculinité change selon la classe sociale. Elle peut cependant être aussi toxique.

Qu’est-ce que ça dit, Nina, cette éducation, ces masculinités et celle qui est la mienne? Qu’est-ce que je veux, moi, dans la masculinité, dans sa mise en paroles? Je sais ce que dit et ce que veut dire mon absence du réel. Mais j’aimerais savoir ce que dit, ce que veut dire et comment se dit ma présence dans le réel. Je devrais faire des recherches là-dessus. Je devrais écrire une fiction sur le sujet. En aurais-je le courage? Que permet la posture butch?

Merci pour ton offre, Nina. J’accepte volontiers. Je n’y arrive plus. J’ai besoin de 500$ pour payer mon loyer et de 100$ pour faire l’épicerie. Aussi, je voudrais jouer un peu avec toi, si ça te dit. Il me semble qu’on est dues.

Merci d’être là. Merci d’exister.

Mariève

Fragment IV
« Butch est un acronyme pour Beautiful Urge to Change Humanity. »

Lettre : De l’hétérosexualité partout et de la justice nulle part
Chère Mariève

Je me rappelle… au début… au tout début. Genre et orientation se mélangeaient… une des premières fois que je suis sortie dans un bar lesbien, avec des lesbiennes, j’ai adopté un comportement macho. Mon seul contact avec le réel, ma seule façon de percevoir les relations entre gens, était celle des hommes envers des femmes, des hétéros. Je voyais mes rencontres à travers une perspective sexiste, de domination et de misogynie. J’étais l’homme. Je devais agir en conséquence. En conséquence. Répéter les gestes et les paroles et la supériorité de mon père, de mon grand-père, des oncles, du cousin, des collègues de travail, des garçons de classe. Une généalogie de domination. Une perpétuité de violence.

Ma tête se remplissait d’idées d’un autre temps, de stéréotypes, de clichés vulgaires et indécents qui m’aveuglaient. Leur éclat était fort. Je l’interprétais comme un signe de richesse. J’étais persuadée de mon trésor. Je devais protéger ma blonde, être forte, me moquer d’elle gentiment, garder le contrôle. Il y avait une même marche à suivre pour tout le monde.

M’affirmer lesbienne, c’était consolider des genres traditionnels, reproduire la domination pour rentrer dans le spectacle. Mon orientation sexuelle a troublé mon genre. On n’apprend pas à tracer notre propre carte, à inventer nos propres rituels, à trouver notre propre Nord magnétique sur les boussoles. Être butch, ça doit pourtant être ça. Remagnétiser l’aiguille des boussoles. Sans cela, nous ferions encore et toujours de l’hétérosexualité bien au-delà de l’hétérosexualité. Halberstam propose les définitions suivantes des termes « lesbienne » et de « butch » qui éclairent à la fois leur lieu de convergence et de divergence : « “Lesbian”, since the rise of lesbian feminism, refers to sexual preference and refers to some version of “woman-loving-woman”. Butch, on the other hand, bears a complex relation to femaleness and, in terms of sexual orientation, could refer to a “woman-loving butch” or a “butch-loving-butch”. » (Halberstam, 1998 : 153)

Ce conditionnement m’affecte encore. Il émerge dans la peur de passer pour gai. Pour un homme gai. Lorsque ma blonde s’est mise en drag king, mon désir a fait un bon. J’étais gênée. J’étais affolée. Qu’est-ce que cela voulait dire que moi, une femme masculine, désire un drag? Du masculin + du masculin ça fait de l’homosexualité masculine, non? Il faudrait surtout pas qu’on me prenne pour un homme gai… Je me souviens aussi d’une soirée de danse avec des ami-e-s. Un homme avait voulu danser avec moi, son visage était illuminé par le désir. J’avais arrêté net mon mouvement, horrifié-e. Je me disais que c’était donc pas naturel et affreux. Ne voyait-il pas ma masculinité? J’étais comme un homme, les hommes ne se désirent pas être eux, non? Eh boy boy…

Aujourd’hui, je comprends. Cette homophobie intériorisée provient d’une conception très traditionnelle des genres, des genres en tant que relation sociale à un autre qui serait différent, opposé et pourtant complémentaire. Le genre, dans sa version ancestrale, décide à notre place qui et quoi et comment on devrait aimer et désirer. Il faut se la réapproprier. C’est d’ailleurs ce qu’on fait dans le milieu. Les identités ne limitent pas nécessairement les pratiques. C’est l’occasion pour tout mettre en scène, tester des hypothèses, interroger nos désirs, nos besoins, notre vision des autres et de soi, nos modalités de rencontres. Les jeux ne font pas oublier le réel. Le réel a des effets matériels sur nous. Sur eux et elles. Mais les jeux permettent de faire autrement. D’alphabétiser nos différences dans la célébration et dans l’ivresse du consentement.

Nina

Fragment V
« U c’est pour utile. Urge. Up. Urgence. Utterly. »

Fragment VI

I know what butch is. Butches are a brotherhood, or possibly a sisterhood, which would be a marvelous way to reclaim butch’s roots in the lesbian community except some butches were never part of the lesbian community and some were but aren’t anymore, but placing masculine identities on butches is disrespectful, except when it’s desirable, but anyway, butches are a tribe, a tribe of people who have been maligned endlessly for, and in fact, forged an identity in part out of, not fitting the gendered expectations of the culture in which they exist (until or unless they work to pass as men, which always or never or sometimes happens and is absolutely a great or problematic thing), so butches are very open to gendered variations in others and would never, ever try to make another butch feel like shit for having displayed a behavior which does not fit the microculture’s standard of what it means to be a butch, which is useful or idealized or ridiculous or just plain complicated standard, so it should be adhered to, or critiqued, or aspired to, or not. Butches would also certainly never try to school younger butches in ways that are angry and dangerous because they feel like the process of toughening has disappeared from modern culture and butches need to be tough, dammit. Butches who do those sorts of things either are Real Butches or are Not Real Butches, depending on who you ask.

There, that should be perfectly clear. (Bergman, 2010 [2006] : 19)

Lettre : Coming out butch et idée de saleté
Chère Nina,

Depuis quand me demandes-tu… et tu veux savoir comment j’ai pris conscience de ma butchitude comme j’aime la nommer. C’est complexe. Je m’identifie comme butch depuis peu, trois ans peut-être. L’idée d’une nouvelle différence, en plus de celle de mon lesbianisme, m’obsédait depuis un bon moment avant ce nouveau coming out sans que je le sache vraiment. Elle était diffuse, emportée, illisible. La nouvelle différence s’est affinée peu de temps après une séparation. Elle a obtenu des contours, une matière, un poids. Un nom. Mais il était difficile de l’assumer à cause de sa part d’ombre.

Pornographique et sale. Ce n’est pas ça que je suis, n’est-ce pas? Est-ce qu’on vous a déjà dit que vous étiez pornographique et sale? C’est quoi cette violence? Comment se bâtir une estime de soi dans ces conditions? En tant qu’adulte, j’y parviens difficilement, alors je n’imagine pas les enfants. Je n’imagine pas les aîné·es.

Je me suis fait un coming-out butch, ainsi qu’à mes ami·es, comme j’avais fait un coming-out lesbien des années plus tôt. J’étais une femme masculine. Je me reconnaissais à travers une histoire butch. J’étais à côté d’une rivière. La rivière la plus polluée du Québec. Une fin d’après-midi de printemps. J’apprenais à naviguer autrement. J’apprenais à tout défaire pour me refaire. Encore.

Ce coming out a été facile pour moi. Mais pas pour les autres. On m’a dit que non. On a refusé cette nouvelle identité. Je n’étais pas assez. Laid·e. Masculin·e. Rough. Si je l’étais, une butch, j’étais alors soft. Fallait nuancer… Apparemment, il existait, dans la tête des gens, une hiérarchie des masculinités féminines, la meilleure étant celle se rapprochant le plus de celle d’un homme et étant incarnée par une personne laide. Si t’étais pas une vraie de vraie butch, t’étais tomboy, androgyne. Un autre spectacle. Les vraies butchs, elles, elles étaient prédatrices, effrayantes, de vieilles lesbiennes. Et on renforce ce portrait dans plus d’un pays : « I’d heard that butches were the enemy – the humourless, angry, unreasonable women that give lesbian a bad name. » (Tufragettes, 2019 : 21)

Je voulais tellement passer. Ces commentaires me tourmentaient. J’en recevais aussi dans l’intimité : c’est quoi, ça, une butch qui se rase les jambes, une butch qui ne porte pas de boxer? C’est quoi ça, une butch qui est cute? Quand tu viens de te découvrir butch, ce genre de paroles te. sacre. à. terre. J’étais fragile encore. Incapable de dire exactement pourquoi cette masculinité féminine faisait partie de moi. Incapable d’affronter les représentations d’autrui auxquelles je me suis pourtant plié·e parce que j’avais tant besoin d’exister. Peut-être savait-on en fait mieux que moi ce qu’était une butch, ce qu’elle portait et comment elle devait se comporter. J’ai trouvé un certain réconfort en lisant ces mots de Ciara Stein Magee qui avait vécu la même chose que moi, alors que pendant longtemps je me suis pensé seule à vivre ces épreuves, à devoir répondre à la police citoyenne du genre : « I described myself as a butch now, and some people attempt to draw me from this identity, out of the goodwill of their hearts, to them it signifies something ugly. I have a feminine face, they say. You’re not that butch, they say. But I am. » (Magee, 2018 : 20)

I am. Je le suis. J’ai encore des frissons de peur rien qu’à prononcer ces mots. Je sais que d’autres femmes en éprouvent aussi, mais elles, de plaisir.

Butch is not a dirty word. Elle n’est pas sale, mon identité. Je ne suis pas sale. Je n’ai pas à l’être pour être butch. Cette association à la saleté, au mépris est tellement ancrée qu’une butch, Esther Godoy, a décidé de créer une revue et de la nommer Butch is not a dirty word. Un commentaire destiné tant aux autres qu’à nous-mêmes, encombré·es que nous sommes dans une multitude de conditionnements. Ceux-ci viennent de plusieurs côté à la fois : « We reclaimed “butch” as a positive identity, not just from mainstream society who used it to marginalize masculine womyn, but also from the second wave feminist movement who stigmatized us. » (Deriu, 2018 : 29)

À bientôt Nina,

Mariève

Fragment VII
« Avez-vous entendu parler de la vie des Butchs lorsque vous étiez jeune? Avez-vous entendu leurs histoires, leur combat, leur réussite? Avez-vous vu des Butchs à la télévision, sur des affiches, au cinéma, à l’école? Et quid des MOC, des camionneuses, des female husband, des tommys, des old school butches, des new school butches, des stonebutches, des studs, des bulldaggers, des transgender butches ? En parlez-vous à vos enfants, à vos parents? À vos grands-parents? Les désirez-vous? Qui sont vos héros ou héroïnes butch? Ce sont toutes de véritables questions. Répondez-moi. »

Fragment VIII
« T c’est pour transformer. Trans. Te dire. Troubler. Trembler. They. »

Lettre : Butch, sexe et intimité
Chère Mariève,

L’identité butch vient parfois avec un rôle attendu. Entre autres au lit, surtout avec une butch dominatrix. On s’attend à ce que je mène l’action. Que j’aime l’action. Que je sois même agressive. Que je saute sur les femmes, que j’injure les hommes. On s’attend aussi à ce que je ne désire pas trop être touchée. Apparemment, on ne veut pas de son plaisir, à la butch. Est-il obscène? On ne le conçoit pas, ou très peu. Les butchs, elles donnent sans rien prendre. Ça arrive, oui, elles ont même un nom, les Stone butches, mais elles ne représentent qu’un type d’existence parmi tant d’autres. Au début, Mariève, j’ai appris à refuser mon corps et ses élans. J’ai appris à avoir honte de mon plaisir. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le début.

Il y a quelque chose d’extatique et d’érotique lorsqu’une amoureuse ou une cliente reconnaît, lorsque je reconnais, que je peux être vulnérable. Et que la vulnérabilité n’est pas l’antonyme de la force. Qu’il est possible d’être d’une qualité et de l’autre à la fois. De respirer identitairement. Il y a de l’oxygène dans ces moments de prise de conscience. Il y a un monde qui se dessine.

Reconnaître que je peux avoir du plaisir sans rien perdre de ma butchitude, de ma masculinité féminine, c’est merveilleux, apaisant. Ça me prend du temps, mais ça se fait. Le plaisir n’est pas genré, n’est pas méprisable, n’est pas négatif. Le plaisir n’efface pas qui je suis. Être butch, ça ne force à rien au lit. Être butch, c’est aussi reconnaître une beauté aux autres butchs, c’est éviter de faire preuve d’une sorte d’homophobie. C’est cesser d’interagir avec elles comme avec de la compétition ou des sparing partners.

Hâte à toi,

Nina

Lettre : Butch, santé et maladie
Chère Nina,

Oui, j’éprouve toujours des problèmes de santé depuis l’an dernier. C’est difficile à gérer avec mon genre. Être malade me force à confronter des impensés qui pourrissent ma vie. Je suis migraineuxe. J’ai fait un surmenage et une dépression. Je fais encore de l’anxiété.

L’idée d’être malade est associée dans ma tête à de la faiblesse. Et je veux être fort·e. Je perçois encore l’identité butch comme une identité nécessairement pleine de santé et de vigueur.

Ce faisant, je croyais que je ne pouvais me réaliser en tant que butch en étant malade. Que je ne pouvais prendre soin d’une personne si j’étais toujours malade. Comme si l’identité butch reposait là-dessus (existe-t-il un contrat quelque part?). Comme si une amoureuse voulait être prise en charge. Cette idée de faiblesse, de non-accomplissement identitaire, constituait en même temps une sorte de femmophobie et de sexisme. Pourquoi ne pas reconnaître qu’une femme plus féminine que moi pourrait prendre soin de moi? Pourquoi penser que c’est le job unique d’une butch de prendre soin de? Mes problèmes de santé ont été pour moi l’occasion de dépolluer mon imaginaire, tout comme la lecture de ces mots d’Angana Sinha Ray : « A lot of people think being butch is about female masculinity and fighting the world as if all of its wright is on your shoulders. I wish we were easier on ourselves. Most days, fighting your way out of bed and into the world means breaking your back, but just stop. Take the pain, absorb it. It doesn’t make you weak, it is part of what makes you strong. » (Ray, 2019 : 29)

Pourquoi Nina n’ai-je pu avoir accès à ces voix, à ces représentations, plus jeune? Comment ai-je survécu?

Mariève

Fragment IX
« En l’an 2055, on a trouvé dans la terre d’une cour de Montréal un paquet bien ficelé rassemblant des lettres, des textes, des réflexions écrites à la main et des portraits, des fragments de poèmes, des écritures inclassables, des extraits de revue. On a décidé de traiter le tout comme un ensemble cohérent, même s’il manque des lettres, une situation d’écriture, un contexte. Avons-nous bien fait? Quid de nos méthodes scientifiques? Mais je, mais nous, enfin il ne semblait pas y avoir d’ordre à proprement parler dans ces écrits. Une étrange mention : je vengerai Gloria, la Gloria de Réjean Ducharme et les femmes masculines d’Élula Perrin, ces “femmes-hommes en costume trois-pièces, laides-hargneuses, caricatures de l’homme dont il leur manquerait toujours quelque chose, ce qui expliquait sans doute leur agressivité” (Perrin, 2003 [1985] : 127). Je vengerai, oui, toutes les masculines de l’histoire littéraire. »

Fragment X
« C c’est pour criminalisée. Change. Chic. Charmante. Caress. Charnel. Buffalo, since 1940. »

Lettre : Butch et bonheur
Chère Mariève,

Tu écriras ça dans ton postdoctorat. Être butch, c’est entre autres être heureuse, joyeuse. Personne ne montre ça aux jeunes et aux moins jeunes et aux aîné-e-s en questionnement. Personne ne m’a dit ça. Alors je le dis : voilà, la butchitude peut aussi être définie par le bonheur. On sourit, on s’éclate, on s’amuse, on pleure de joie, on se rétablit d’une santé précaire, on remporte des prix, des bourses, on fête, on accomplit des projets, on réalise des rêves, on écrit des livres, on chante, on bâtit une maison, on lustre les ustensiles, on cuisine des tartes aux pommes, des croustades aux pêches, on coud des culottes, on allume le bbq pour un repas entre ami-e-s, on se fait des ami-e-s. Butch, c’est beau. C’est magnifique. C’est très queer, être butch, Mariève, dans sa simple créativité. Ça déplace des perspectives, des fondations, des racines, des mondes. C’est à la fois confortable et inconfortable. Tant pour soi que pour les autres.

C’est de l’inspiration, ça donne des ailes, notamment pour Avery Everhart, une butch dont le nom fort inspirant est un clin d’œil évident à la célèbre aviatrice étatsunienne : « I’ve become infatuated, if not fallen head over heels in love with the questions that “Butch” has opened up for me as a queer trans woman […]. » (Everhart, 2018 : 17)

Ce sont mes inspirations: Vita Sackville-West, Leslie Feinberg, S. Bear Bergman, Anne Lister, Jack Halberstam, Caster Semanya, Dorothy Allison, Lea Delaria, Lena Waithe, Annemarie Schwarzenbach, Bessie Smith, Jenny Shimizu, madame Arthur, le René de Marie-Claire Blais…

Je t’attends,

Nina

Fragment XI
« Il est clair mon privilège de butch cisgenre : j’ai droit à la masculinité parce qu’on m’a identifié·e comme femme à la naissance et que cela correspond socialement, historiquement et stupidement à une sorte d’aspiration sociale vers le haut, à une émulation flatteuse, et non menaçante, de la masculinité des hommes. How violent and fucked up is that? »

Lettre : Butch, travail et culture
Chère Nina,

À ce que je comprends et lis, une identité et une culture butch émerge des classes populaires des années d’après-guerre, vers 1940, aux États-Unis. Les femmes avaient été appelées à travailler en usine, à sortir sur la place publique, pendant que les hommes étaient sur le front. Les femmes portaient des pantalons et des chemises, pour occuper leur nouvelle fonction. Elles ont aimé ça, ces femmes. Elles se sont regardées autrement dans le miroir. Elles se sont coupé les cheveux. Elles se sont regardées autrement les unes les autres. Elles avaient envie de sortir prendre un verre, se promener dans les parcs, à la nuit tombante, le long des ports.

La culture butch s’est dissipée pendant un moment sous le poids de la seconde vague féministe. On les accusait de miner la crédibilité du mouvement, de trahir les femmes, d’être ridicule, d’être les allié-e-s de l’ennemi, de mimer les tenants de pouvoir patriarcal… Il fallait retrouver la Femme avec un grand F en soi. Il fallait être authentique. Il fallait être douce, cultivée, militante, informée et un peu asexuée quand même. Il fallait également, selon moi, être de la bonne classe sociale. Sexe et genre et expression de genre, pour la deuxième vague, devaient coïncider. Dorothy Allison n’en pouvait plus. Elle en parle bien dans Skin. La culture butch a émergé à nouveau, heureusement, dans les années 1990, probablement grâce aux pratiques et aux théories queer et queer of color qui foutaient le trouble partout, dans tout ce qui était apparemment ordonné, bienséant, unilatéral, vrai de vrai, central.

Voilà, je poursuis mes recherches. Je continue de vivre.

Mariève

Fragment XII
« Penses-tu que ma lettre est trop réelle? Trop près de la réalité? Trop honnête? Si jamais une personne sur le comité d’évaluation est le moindrement fermé d’esprit par rapport aux personnes marginalisées, homophobe ou je ne sais quoi encore, je suis fait·e. À bien y penser, je suis fait·e aussi si je fais face à des personnes qui se pensent bien ouvertes d’esprit mais qui tracerait une ligne à ne pas dépasser à la liberté d’expression de genre. J’ai peur des vieux bonhommes sexistes et misogynes itou. Ceux qui sont du genre à rire en lisant mes mots, ceux qui me définissent, ceux qui sont du genre à se montrer condescendant. Qui pensent que ça ne fait pas professionnel ou qui sont eux-mêmes des femmes lesbiennes apparemment… Suis-je trop honnête dans cette lettre, Nina? Combien de gens se posent cette question en rédigeant une lettre de demande de poste? Combien de gens doivent nuancer leur honnêteté, leurs identités, de peur qu’elles ne déclenchent des personnes? Combien de gens doivent s’effacer? Combien de gens doivent se présenter impeccable? Hétéro? Beau garçon ou jolie fille? Ici, j’ai fait ce choix de m’afficher comme je suis. Car j’ai vu directement les bienfaits de cette honnêteté auprès des étudiant·es. Et de moi aussi. Apparaître, c’est bon aussi pour les autres. Ça les fait souffler. Ça les fait vivre. J’ai un devoir envers ma communauté et envers moi-même. Je me sens prêt à l’assumer, mais je dois t’avouer que mon courage et ma fierté ne vont pas sans peur.

La peur d’être utilisée itou, comme un symbole de subvention, comme un signe de piastres. Va-t-on sélectionner mon dossier pour bien faire? Pour se montrer ouvert? Civilisé? Va-t-on considérer mon dossier pour au moins avoir une butch dans le département? Se vanter d’avoir un·e membre de la communauté LGBTIQ2A+? »

Lettre : Butch, aînées, enfants et famille
Chère Nina,

Elle était habitué·e de percevoir les butchs comme des individus étiolé·es, comme des astres errants hors de toute communauté stellaire. C’était une manière inédite de faire face à l’errance, à la perte, à la solitude et au deuil. Elle était conditionné·e à voir les butchs comme des singularités qui naissaient et mourraient d’elles-mêmes dans des mondes pas faits pour elles. Comme des êtres hors du temps condamné·es à ne pas ressentir une autre appartenance que celle à leur propre corps, à leur propre cœur. Un destin en forme de trou noir.

Cette vision du monde s’est déchirée un bon jour comme un vieux papier peint, comme une décoration sans âge. Aussitôt, l’air s’est empli de poussière. J’ai étouffé ben raide. Trop d’informations d’un coup. Très peu de savoir circule sur les butchs, leurs passages sur cette Terre, leurs aspirations. Très peu de savoir est disponible. Il est d’ailleurs peu accessible, et souvent trop tronqué, effacé, démembré. Et qui a le temps de chercher, qui a le statut adéquat pour faire des recherches et savoir où chercher ces informations si précieuses?

T’es-tu déjà vu ou imaginé vieille? As-tu déjà croisé une enfance butch? Peu de gens se rendent compte de la chance, du privilège surtout, qu’iels ont de pouvoir croiser des aîné·es ou des enfants qui leur ressemblent. Il est difficile de vivre sans s’être jamais vu nulle part. Il est difficile de s’imaginer vivre comme on pense être sans se reconnaître nulle part. Il est très facile, au contraire, de s’abandonner.

Les butchs, imaginez-ça, vieillissent aussi, mais de cela, peu de mots, peu d’histoires. Quels sont leurs besoins? Ont-elles peur de perdre leur masculinité? Ont-ils peur de se faire traiter comme de vieilles filles? Ont-elles peur de rentrer dans le placard des genres traditionnels pour survivre, manger, obtenir des soins, de la protection, par exemple dans une résidence de personnes âgées? Je n’ai jamais parlé à mes aînées butchs. J’ai peur pour elles. J’ai peur qu’on les désacralise, qu’on les blesse, qu’on les détruise. J’ai peur qu’on se moque de leur apparence, de leurs vêtements, de leur coupe de cheveux. J’ai peur qu’ils prennent le temps qu’il leur reste à vivre pour expliquer encore et encore ce qu’elles sont et que non, elles ne sont pas capricieux, qu’ils vivent vraiment de cette façon. J’ai peur que leur soignant·es ne les voient pas et passent à travers leur corps comme dans la queue d’une comète magnifique mais invisible, qui en perd des morceaux.

Les butchs, imaginez-ça, sont également jeunes. Elles ne sont pas seulement des tomboys ou des garçons manqués. Elles ont cinq ans, huit ans, treize ans, dix-huit ans. L’éditrice de la revue Butch is not a dirty word partage ainsi ces espoirs dans l’introduction du deuxième numéro : « It is our hope, that with time, we can break down some of the fear surrounding this identity. That we can move beyond merely “accepting” queer masculinity in children, and move forward into celebrating it, encouraging our young people to be the most authentic versions of themselves they can be. » (Godoy, 2017 : 3)

Parfois, ils ont un ou même deux parents butchs qui se nomment maman et papa, papa et papa, maman et maman ou je ne sais quoi encore. As-tu déjà vu du linge de maternité pour butch? Oui, les butchs font parfois des enfants, sont enceintes ou enceint. Une mère butch partage ce témoignage :

A loss of identity through having kids was unexpected. I expected to lose time, sleep, and independence, but I didn’t think my sense of self would also be deeply challenged. In a rerun of what happened when we first got together, our dual butch identity is somehow unacceptable. For many, the idea of two butch women being together is confusing, and two butch mothers is more confusing still, and therefore one must be recast as femme, or close to it. » (Tandiwe, 2017 : 10)

J’ai peur qu’elles soient démasculinisées comme j’ai peur que mes aînées soient démasculinisées. Par les voisin·es, la police, l’État. Peu de gens se rendent compte comment fonder une famille affecte leurs identités, leur place dans le monde, la manière d’être traité·e par la société : « Just as being a woman does not automatically equate with maternal dispositions and capabilities, partage Jami Rose Hugues, being a butch woman does not automatically lessen them » (Hugues, 2017 : 26).

Elle ne savait pas qu’elle avait une famille, Nina. Elle ne le savait pas. Elle ne faisait que courir au loin, sans se retourner, sans regarder sur les côtés, sans s’arrêter. Mais ce temps-là, maintenant, il est fini.

Mariève

Fragment XIII
Voici comment je décrirais une perspective butch à la suite de lectures et d’inspirations variées :

-une perspective qui problématise la masculinité, plus particulièrement son unique association aux hommes, et la minorisation qui l’affecte lorsqu’elle est associée aux femmes, ainsi que son homogénéité (il existe plusieurs masculinités);

-une perspective qui propose des réflexions sur les éléments, tels que les lieux, les pratiques et les corps, qui fabriquent ou consolident les masculinités;

-une perspective qui politise les masculinités féminines;

-une perspective incarnée, vécue (elle origine d’une personne identifiée comme butch), de chair, d’os, de sang, mais aussi de rêves, d’ambitions, de pleurs, de désirs.

Lettre : Sur la visibilité butch
Chère Nina,

Voici mes trouvailles préliminaires à partir de mes lectures des 5 numéros publiés de la revue Butch is Not a Dirty Word. Ça donne tant à penser et à faire et à rêver!

Être butch, pour certaines d’entre nous, c’est être visible bien malgré soi. On remarque facilement qu’on n’adopte pas les critères traditionnels du genre féminin dans notre tenue, nos gestes, nos choix et nos vêtements. Phoebe Adams en parle à travers une expression très juste, celle d’un placard de verre : « For butches, the closet is made of glass. To simply exist is to be out. There are no secrets for us » (Adams, 2018 : 6).

Pour d’autres butchs, toutefois, cette identité est associée à l’invisibilité : « If butches who happen to be trans appear to be as rare as unicorns, then perhaps some of the issue lies within assuming that you know what we look like. » (Laursen, 2017 : 2)

Pour d’autres encore, être butch est une condition qui touche à la fois à la visibilité et l’invisibilité. Il s’agit de travailler professionnellement et humainement à sa venue prochaine dans le réel : « I’ve never seen a Chinese butch lesbian in comics before, and I plan to change that. » (Johnston, 2019 : 17)

Être butch, c’est également une entrave à la mobilité. On se fait regarder ben croche par les mesdames à la toilette. Ou par les messieurs. C’est parfois se faire prendre pour un homme puis se faire mépriser et mettre en danger quand les hommes découvrent qu’on est une femme. Certaines butchs se définissent par leur capacité à faire face à ce danger : « Butch is moving through the world as an easy target and being strong enough to own that. Being fearless enough to correct those who call me sir. To stare down those who smirk, to crack a massive disarming grin at those whose fear is palpable. » (Royalle, 2017 : 8)

Pour plusieurs butchs, toutefois, assumer qui elles sont, qu’elles en parlent en termes d’identité, de posture ou de condition, ne relève pas d’un tel courage, mais du discernement ou de la prévoyance. Une dose de crainte fait partie de leur quotidien. Certain·es n’osent pas corriger les gens qui se trompent sur leur existence, certaines vont moduler leur identité selon le lieu, l’heure de la journée, la famille ou les passant·es rencontré·es.

Être butch, pour elle, c’est être choisie pour une fouille aléatoire aux douanes. À l’aller. Et au retour. C’est choisir ses combats pour passer un bon moment, parce qu’elle n’a pas l’énergie de justifier une énième fois son existence, son apparence, ses pronoms. Parce qu’elle veut vivre, elle-aussi.

Être butch, c’est désirer ardemment faire partie d’une communauté, subvertir les traditions, retrouver ses semblables, de l’épicerie au bureau du dentiste en passant par la pharmacie et, oui, même, et surtout, le salon de coiffure : « As a butch lesbian, hair isn’t just hair. A fresh short hairstyle makes me walk taller; I feel more confident and [sic] myself when I’ve just had a cut. I feel invincible. That’s the feeling I want all people to have. For some, a barbershop is a place to get their haircut, but for others, such as myself, it’s a place to feel and be who you really are. Safe spaces are necessary and important. » (DaRocha, 2019 : 45)

La visibilité, elle se dit que cela doit être la démocratisation de la parole des butchs, de leur autoportrait, de leurs histoires, cela doit être leur appropriation des lieux d’arts et d’éducation supérieure et de l’ensemble des lieux publics, cela doit certainement être un lieu de critique du validisme :

My non-normative body troubles notions of butchness; of how butchness should be embodied, performed. I can’t walk with that certain swagger, I can’t sit in my wheelchair in the way butches sit in chairs, legs apart, relaxed. I can’t wear chains hanging from my pockets and that jangle when I swagger or suspenders hanging low and looking cool—I did try but they just ended up tangled in my wheels which wasn’t the effect I was going for. (Brown, 2017 : 17)

Elle est certaine qu’il s’agit de susciter un maximum de possible dans des conditions de vie parfois minimales ou infinitésimales. La visibilité stimule l’imagination, ouvre les possible, fait débuter les histoires : « Once I saw a real life human working of Butch success, I was inspired and able to create my own version of it. Had I never come across such a speci-womyn, I’m convinced I’d still be stuck somewhere hideously depressed and without the base level of confidence I needed, in order to honour myself and my authentic life trajectory. » (Godoy, 2018 : 3)

Je me sens comme revivre moi-là. On se voit lundi.

Mariève

Fragment XIV
« Je suis une citoyenne canadienne blanche et je m’identifie comme femme, butch, lesbienne et bigenre. Je suis aussi une personne transclasse, c’est-à-dire que j’ai pu bénéficier d’une mobilité sociale par la réussite d’études supérieures. Cela affecte mon rapport aux littératures et à la création par une vision hybride et inédite à laquelle je puise mon inspiration tant pour créer, qu’enseigner et faire de la recherche. Ce côté identitaire multidimensionnel est véritablement à la base de ma création. La multiplicité de mes identités, question que je développe plus en détail dans le fichier “Philosophie d’enseignement”, me procure une perspective inédite et enrichissante sur le monde et les littératures qu’il me ferait plaisir de partager avec le département et sa population étudiante. »

Fragment XV
« H c’est pour humanité. Hors-série. Hémoglobine. Him. Her. »

Lettre : interlocutrice
Chère Nina,

Voilà longtemps que je ne t’ai pas écrit. Pardonne ce laisser-aller, même s’il est franchement impardonnable. Comment vas-tu? Les affaires sont-elles bonnes? Je ne t’ai pas oubliée, tu sais. J’ai encore ce fouet, celui que tu m’as offert à ma fête. Il est possible que j’en ai fait bon usage.

Je t’écris pour connaître ton opinion sur un sujet qui ne manquera pas de t’intéresser : l’érotisme. J’aimerais te soutirer quelques réflexions là-dessus et qui sait, peut-être aussi quelques encouragements au passage. On me demande de monter une conférence lors du colloque de la revue Post-Scriptum de l’Université de Montréal. On discutera d’érotisme ainsi que de questions liées aux représentations et à l’interprétation. Voilà, je t’avais dit que cela susciterait ton intérêt. Il en va de même pour moi, tu imagines bien.

Je n’ai pas encore d’idée précise sur le sujet que j’aborderai, mais je me suis dit que je pourrais explorer quelques thèmes reliés à la question du colloque. Information importante : on fait appel à moi en tant que chercheur·euse et en tant qu’écrivain·e. La forme comme le fond seraient donc à travailler. As-tu des idées?

Sur un autre sujet, je prépare un nouveau roman. Le fond de l’histoire est formé. J’ai mes personnages. Je pense faire des demandes de bourse d’écriture pour ce projet. Il sera question de santé mentale dans la communauté queer. D’interroger les masculinités féminines, de parler de la dépression qui survient à cause d’un rapport trouble au genre. Et d’évoquer l’enfance. Une enfance de fille et de garçon qui se réalise en même temps.

Je pense aussi tenter le postdoctorat en recherche-création. J’aimerais beaucoup, après cette thèse que j’ai complétée sur les écritures lesbiennes dans les littératures francophones, m’intéresser aux masculinités féminines dans les littératures. Je me cherche encore un corpus. Québécois? Francophone? Canadien?

Je chéris tant notre complicité, chère. Tu étais personnage. Te voilà interlocutrice. Presque dans mes draps.

Je t’embrasse et t’étreins,

Mariève

  1. 1Monsieur Belboeuf prend des pronoms masculins, tout comme certaine personnes butch dans la réalité, et d’autres, tel·le l’auteur·trice, prend les deux. C’est pour toutes ces raisons qu’à plusieurs reprises, dans les phrases de ce texte, le masculin et le féminin sont utilisées pour renvoyer à une même personne et ainsi respecter une multitude de façons de se « pronominaliser ».