Résumé (fr)
En 2002, Édouard Levé publie chez P.O.L. son premier ouvrage de fiction, Œuvres. Le photographe établi, représenté par la galerie Loevenbruck à Paris, propose un changement de médium risqué, passant de l’image à l’écrit.
Parce qu’en effet, le projet que représente Œuvres est ambitieux. Le livre est composé de 533 descriptions d’œuvres d’art dont l’artiste a eu l’idée, mais dont il a fait le choix délibéré de ne pas réaliser. Levé fait le pari de créer un corpus artistique unique et de le transmettre au public seulement de manière textuelle.
Ce passage du support visuel au support écrit pour l’œuvre d’art met en lumière deux points de tensions intéressants que nous suggérons ici d’explorer à travers cette présentation. D’abord, il remet en question le statut d’artiste visuel de Levé. Ce passage au textuel suggère davantage le travail intellectuel. Derrière le choix de la fiction, il y a le désir de jouer sur les codes et sur les frontières de la représentation, demandant un investissement plus grand de la part du lecteur afin d’entrer en contact avec l’œuvre d’art. Ces couches de sens apparaissent alors dans le travail de Levé à la fois comme un jeu et un défi pour le public.
Toutefois, le passage à l’écriture dépasse le simple changement de médium pour devenir un piédestal. Il permet un changement du statut de l’artiste et de son rapport social, en passant à une figure d’intellectuel. Le rôle social de l’artiste se voit alors complètement transformé, mais il vient également teinter l’interprétation de son travail artistique, y ajoutant une partie plus théorique, brute, philosophique, intellectuelle, s’inscrivant plus directement dans la lignée de l’art conceptuel.
Ces considérations mettent alors de l’avant le second point de tension, celui de l’expérience du lecteur face à l’œuvre d’art. Cette expérience se voit elle aussi intellectualisée puisque la lecture comme forme de contact avec l’image fictive nécessite la participation du public. Le lecteur se voit lui aussi mis sur un piédestal puisque son imagination est suscitée pour la création de l’œuvre d’art, dont l’expérience par la lecture, contrairement à celle plus contemplative suggérée par les institutions muséales, engendre une appropriation et une relation intime face à la pensée de l’artiste.