Concentration de la diffusion du cinéma et diversité culturelle
Quel rôle pour les réseaux indépendants ?
Introduction
Actuellement, le panorama du cinéma comme art et « par ailleurs industrie » (Malraux 1946) se transforme fortement, exacerbant les contraintes économiques dans lesquelles prennent place les œuvres cinématographiques. Parallèlement aux problèmes souvent mis en évidence de la nouvelle économie de la production du cinéma2, cette évolution se traduit par une réorganisation de la filière de distribution et de diffusion, et notamment la concentration des diffuseurs. Ainsi l’émergence forte des multiplexes, représentant 25% des écrans en Europe, allant de 11% en Italie à 48% en Belgique (OEA 2003), conduit au fait qu’en France, dorénavant, 4% des établissements comptent pour environ 40% des entrées. En réaction à ces stratégies des circuits nationaux, mais aussi régionaux, des regroupements de salles indépendantes d’art et d’essai (qui représentent 25% de la fréquentation) se mettent en place face à ces nouvelles exigences de la diffusion et distribution (Demoustier, Rousselière, Cassier et Clerc 2003 ; Rousselière 2003). Comme le remarquent différents auteurs, les industries culturelles conduisent à la fois à l’inflation du nombre d’œuvres produites et à la réduction concomitante de leur diffusion et exposition au public, posant d’une manière nouvelle la question de la défense de la diversité culturelle et des politiques publiques visant cet objectif. En effet, à bien des égards ce sont les structures de diffusion et de distribution qui, en connaissant les mêmes phénomènes de convergence, concentration et massification que les structures de production, favorisent le plus l’homogénéisation culturelle (Benghozi 2003)3. À ce titre, cette réorganisation de la filière du cinéma pose de manière accrue la question de la pérennité d’un circuit indépendant de diffusion (à la fois comme cinéma de proximité et structures d’éducation à l’image) et du rôle important qu’il pourrait jouer dans la préservation d’une diversité culturelle cinématographique.
Ce dernier objectif, explicitement revendiqué au niveau français, européen ou mondial, est la nouvelle norme à laquelle doivent correspondre les politiques publiques (Mattelart 2002), et ceci alors même que la situation européenne montre la prééminence d’une forme de cinéma, approchant au plan quantitatif cette notion de diversité culturelle.
La base de données Lumière de l’Observatoire européen de l’audiovisuel permet de mettre en évidence que si les titres américains ne représentent que 39 à 46% de l’offre de films, ils représentent selon les pays entre 56 et 83% des entrées, et ceci alors même que les films produits dans l’Union européenne, représentant la moitié de l’offre, ne réalisent qu’entre un quart à un tiers des entrées et que les films du reste du monde entre 1 et 4% selon les années. Il semble donc bien que la question de la diversité culturelle ne se pose pas seulement dans la production, mais bien dans la réception du spectacle cinématographique et dans l’égal accès de tous les types de films à une certaine exposition.
Nous nous inscrivons ici dans une approche en économie politique malgré le risque de réductionnisme qui lui est systématiquement accolé (Créton 1998, 2001 ; Mattelart et Neveu 1996, 2003 ; Wayne 2003). Ainsi cette approche, dès lors qu’on ne la réduit pas à « l’économisme » (un matérialisme « vulgaire » conduisant à ce que tout —superstructures— soit expliqué par l’analyse matérielle des conditions de production —infrastructures), permet de donner sens à la double nature du cinéma4. On est en effet renvoyé à la question de l’économie spécifique des biens symboliques (Bourdieu 1994) : la dynamique de la relation art-industrie explique les caractéristiques spécifiques de la gestion dans le secteur cinématographique. En tant qu’art moderne par excellence, car mobilisant une chaîne industrielle de production, la dialectique coopération-antagonisme y est nécessairement à l’œuvre et, partant, les variables techniques, artistiques, organisationnelles, managériales doivent être combinées et s’inscrire dans des processus de régulation, d’arbitrage et de décision. Ce débat propre aux industries culturelles s’explique par le fait que la légitimité économique de l’entreprise, qui s’impose d’elle-même par les impératifs commerciaux, financiers et de compétitivité, est confrontée à une autre légitimité symbolique et artistique dont les fondements ne sont pas de même ordre (dimension industrielle versus dimension artistique) (Créton 2001 : 217-218).
Dans ce cadre, cet article a pour objet d’établir un diagnostic de la nouvelle place et du rôle potentiel du circuit de diffusion indépendant à partir des premiers résultats d’une étude portant sur l’économie sociale culturelle en Région Rhône-Alpes (Rousselière 2003), basée sur des monographies d’associations (cinémathèques, cinémas associatifs, ciné-clubs…) mettant en évidence leurs modalités d’organisations internes et leurs dynamiques. Nous abordons donc ce thème en deux grandes étapes. Dans un premier temps, il s’agit de voir dans quelle mesure la transformation actuelle de l’activité d’exploitation cinématographique (s’)accompagne d’une transformation de la nature des films proposés, questionnant alors la notion de diversité culturelle non seulement au plan quantitatif (part des films suivant leur nationalité), mais aussi au plan qualitatif (prédominance d’un rapport particulier à l’image)5. Dans un second temps, nous nous intéresserons au problème posé alors sur l’apport spécifique des salles indépendantes à cette diversité culturelle. En conclusion, nous nous interrogerons à partir de ce diagnostic sur le renouveau possible des politiques publiques.
Le cinéma : art et/ou industrie ?
D’une concurrence monopolistique…
Le panorama de l’exploitation en France et en Europe met en évidence une structure de marché oligopolistique, marquée par la présence de groupements de programmation nationaux, modifiée récemment par le regroupement des activités d’exploitation de salles de Gaumont et de Pathé sous l’enseigne EuroPalaces en 2001 pour désormais 13,1% des écrans français. L’ensemble des groupements nationaux programme près de 34% des écrans actifs. Dans le cadre de cette tendance à une concertation forte des réseaux de diffusion, l’évolution de la répartition de la recette sur la longue période en est un bon indice des rapports de force au sein de l’industrie cinématographique.
Le tableau précédent montre ainsi que si l’exploitation a longtemps perçu la proportion la plus importante de la recette, sa situation va progressivement se dégrader6. Partant d’une position assez basse (30% en moyenne dans les années soixante), la part de la production et de la distribution va lentement améliorer sa position vis-à-vis de la salle pour atteindre la parité avec elle7. Phénomène traditionnellement analysé en économie industrielle, le processus de concentration à l’aval conduit à une transformation des rapports de force en faveur, d’une part, de ces grandes sociétés de distribution et, d’autre part, des grandes sociétés d’exploitation, seules à même de négocier dans de bonnes conditions avec les précédentes. Tendent à se constituer ainsi deux grands pôles dans le cinéma : le processus de concentration de l’exploitation, secteur encore relativement éclaté, étant conforté par la concentration de la distribution, comme avec les alliances de distribution entre Gaumont et Buena Vista international, et entre Fox et Pathé…
Dans ce contexte de fortes mutations de l’exploitation, deux éléments importants de
dérégulation et d’exacerbation de la concurrence sont apparus. Le premier est relatif aux cartes illimitées qui, depuis le lancement, en 2000, de « formules d’accès au cinéma donnant droit à des entrées multiples » par les principaux circuits nationaux, a bouleversé tant les relations entre l’amont et l’aval de la filière cinématographique8 que les conditions de fréquentation et d’exploitation des salles de cinéma, ces « cartes illimitées » étant davantage accessibles aux grands circuits cinématographiques et aux opérateurs de multiplexes qu’aux petits et moyens exploitants. Plus fondamentalement, l’introduction des cartes a entraîné un changement de la consommation du cinéma (sur le modèle des téléphones mobiles), introduisant ce que les spécialistes nomment le marketing viral dans le secteur, et instaurant une relation directe entre les spectateurs et les opérateurs de cartes, à présent capables de cibler au mieux les attentes de leurs clients. La consommation des abonnés est ainsi aujourd’hui de plus en plus déterminée par leur appartenance à un circuit d’exploitation, puisque 85% des abonnés utilisent leur carte (cf. www.cnc.fr). Les cartes d’abonnement s’inscrivent par ailleurs dans une stratégie de dumping, favorisant la concentration des entreprises de distribution, car elles ne sont pas actuellement rentables. C’est pour ces raisons que les pouvoirs publics ont souhait réguler (en partie) ces cartes en instituant une procédure d’agrément, imposant la transparence de la remontée de la recette et l’ouverture aux autres exploitants des formules mises en place par des exploitants économiquement dominants.
Pris isolément, ce premier élément n’a pas nécessairement un impact négatif sur la diversité culturelle puisqu’il peut conduire à valoriser des stratégies de niches et de diversification-spécialisation des circuits cinématographiques, proposant alors des « biens clubs » à un ensemble restreint mais fidélisé de clients —sur le modèle des chaînes de télévision par abonnement (Hansmann 1996). Toutefois il suit un autre mouvement plus fondamental : celui des multiplexes9, dont la logique a avant tout été portée par les grandes entreprises du secteur. Ainsi en France, c’est le circuit d’exploitation Pathé qui, le premier, s’est engagé dans cette politique. Les deux autres grands circuits nationaux, UGC et Gaumont, ont suivi le mouvement d’investissement, ce qui leur a permis de se prémunir contre le risque d’une baisse de leurs parts de marché qui aurait pu naître de l’arrivée sur le marché français d’opérateurs étrangers. Puis, leur stratégie d’investissement est devenue plus offensive au fur et à mesure que les bons résultats obtenus par les multiplexes confirmaient la rentabilité de ces équipements. S’il a été entamé plus tardivement en France que dans les autres pays européens, le processus n’a cessé de s’accélérer, jusqu’à s’étendre aujourd’hui à des villes moyennes, les grandes agglomérations étant d’ores et déjà quasiment toutes pourvues en multiplexes. Ce phénomène est également porté par les Groupements régionaux du secteur tendant, pour défendre leurs parts de marché, à adopter le même type de stratégie. En atteste par exemple le cas du groupe grenoblois Adira, d’origine familiale, qui développe cette stratégie à l’échelle régionale.
Les stratégies de création de multiplexes sont toutefois différentes suivant les pays : « en Grande-Bretagne, le développement des multiplexes, entamé à partir de 1985, a principalement été le fait des majors américaines. En revanche, l’emprise des grands groupements nationaux sur l’exposition, le poids économique du secteur, la forte politisation du cinéma et sa centralité à l’identité culturelle nationale dans l’imaginaire collectif, ont constitué d’importants obstacles à la capacité de Warner, National Amusements, American Multi-Cinemas ou UCI de poser leur enseigne symbolique sur le territoire français » (Hayes 2003 : 4). Ainsi, bien qu’ils n’en soient pas les seuls acteurs, les groupements nationaux de programmation sont les principaux promoteurs de multiplexes en France. La principale raison réside dans le coût élevé des investissements nécessaires à la construction d’un multiplexe (entre 10 et 15 millions d’euros), ainsi que dans les frais liés à son fonctionnement (entre 20 et 40 salariés), éléments que seul un grand groupe, du fait de son réseau, peut se permettre. En effet, selon Claude Forest (2002), les trois-quarts des multiplexes pris isolément n’atteignent pas le seuil de rentabilité, la faiblesse des cofinancements publics n’autorisant pas, en outre, ce type de stratégie pour un acteur indépendant. L’implantation des multiplexes, s’inscrivant dans une stratégie explicite par les coûts et les volumes, correspond bien à une logique de consolidation des trois principales sociétés françaises (en atteste le nombre croissant de salles dont ils sont propriétaires).
Dans ce cadre général, on assiste à de nouvelles stratégies de concentration et d’intégration de la filière et, surtout, à un encombrement des films pour l’accès aux salles. Comme l’a montré Claude Forest (2002 : 149), du fait de l’accélération de l’usure économique du film, et compte tenu du coût marginal d’une copie (amortie en réalisant seulement 500 à 700 entrées), les distributeurs ont augmenté le nombre de copies disponibles, faisant ainsi passer l’ensemble du marché de la rareté à l’abondance. Ainsi, plus de la moitié des nouvelles sorties se font sur plus de 500 salles, raréfiant d’autant la possibilité pour d’autres films d’être programmés dans de bonnes conditions10. La programmation dite « au lundi »11 conduit à ce que l’étalonnage de la réussite des films va progressivement s’établir en fonction des entrées réalisées sur ses cinq premiers jours d’exploitation. Cela s’opère au détriment des salles les plus faibles, mais surtout des films qui affichent des résultats inférieurs en valeur relative à ceux de leurs concurrents du moment, accélérant leur disparition du marché. Sur le type de cinéma valorisé, les multiplexes renforcent « l’effet podium » sur la carrière des films, en jouant un rôle d’amplificateur de succès ou d’échec ; alors, ce n’est donc pas l’exposition au public des films (l’accès aux salles) qui risque d’être compromise, mais leur durée de vie et donc leur rendement total12.
Enfin, les multiplexes développent un nouveau cadre de « consommation » du cinéma : selon une étude du CNC portant sur les publics des multiplexes, les arguments majeurs qui jouent en faveur des multiplexes portent essentiellement sur la qualité des salles, de l’écran et du son, le confort des fauteuils, les facilités d’accès et les possibilités de stationnement (rappelons que 81% des spectateurs viennent avec leur véhicule personnel), alors même qu’ils sont souvent plus chers que les autres cinémas. Comme le remarque justement Hayes (2003), les multiplexes transforment les cinémas en centres de divertissement familial, fournissant des possibilités de consommation sans l’obligation d’interaction, l’imprévisibilité et la diversité culturelle de la cité : à la place du film-plus-débat, le multiplexe offre la formule « sortie » (voiture-fast-food-cinéma13) dans un endroit intégré et sécurisé, à proximité de grands centres commerciaux, à l’intérieur des salles les spots publicitaires ayant déjà remplacé en grande partie les bandes annonces. S’appuyant sur une division du travail inspirée de la restauration rapide (avec ses procédés de déqualification et de parcellisation du travail), ils en transposent un mode de consommation auquel sont désormais acculturés les « fils de McDo » (Ariès 1997).
…à une nouvelle esthétique du cinéma ?
De manière générale, cette massification de la production et la concentration des entreprises d’exploitation conduisant à la réduction des chances d’exposition s’inscrit plus généralement dans l’économie du star-system (Benhamou 2003 ; Rosen 1981), ayant pour effet, quelle que soit l’industrie culturelle considérée, d’aboutir à une concentration de la consommation culturelle sur un nombre d’œuvres de plus en plus restreint. Dans un tel contexte, la diversité culturelle peut sembler effectivement préservée du fait du volume très important des œuvres produites et du flux continuel de nouveautés, alors qu’en réalité, elle est mise en question par la réduction du nombre des œuvres effectivement mises à la disposition du public. Ce poids de la distribution et de la massification de la culture sur les contenus culturels est d’autant plus fort que les biens culturels relèvent d’une économie des biens immatériels conduisant à de fortes économies d’échelle (coûts de reproduction pratiquement nuls, même si des coûts de commercialisation peuvent alors être importants) et à des effets de réseaux ou d’économies d’envergure du fait de la complémentarité entre certains biens (spectacle vivant et industries culturelles par exemple, ou au sein des industries culturelles)14.
Dans ce cadre, comme le montre le tableau récapitulatif ci-après, les États-Unis bénéficient d’un large marché intérieur (unifié, contrairement à l’Europe) permettant d’amortir les coûts de leur production et d’être offensifs sur les marchés d’exportation, aussi bien au plan des tarifs (souvent inférieurs à celui des productions nationales) que des actions de promotion (l’amortissement préalable leur permet en effet de dégager des ressources auxquelles les producteurs des autres pays n’ont pas accès) : « aux États-Unis, un marché intérieur, abrité de fait et associé à une production quantitativement maîtrisée, permet aux producteurs de financer des films à plus gros budgets, inaccessibles aux producteurs étrangers et qui confortent la situation de quasi-monopole des États-Unis sur le marché des superproductions » (Siroën 2000 : 107). Ces caractéristiques économiques engagent alors le cinéma dans une spirale infernale (Benghozi, 2003) : les économies d’échelle et la massification de la distribution incitent au développement d’actions promotionnelles et commerciales qui favorisent les producteurs disposant de moyens importants et les produits visant les marchés les plus larges, ce qui renforce encore la banalisation et la standardisation des produits, même quand ils sont ancrés dans un terreau culturel spécifique, mettant en évidence la capacité souvent remarquée de « Hollywood » à recycler les cultures locales : la liste des cinéastes publiées par les Cahiers du Cinéma en 2003 (des auteurs de Hong Kong, comme Tsui Hark ou John Woo, aux cinéastes français, comme Jeunet ou Kassovitz) opérant avec des moyens américains met ce phénomène en évidence15. Par rapport aux autres industries culturelles, le cinéma présente une situation où à la concentration capitaliste s’ajoute une concentration géographique, puisque les États-Unis investissent plus dans le cinéma que l’ensemble des autres pays et que, pour les cent pays aujourd’hui une activité de production cinématographique, 30 produisent plus de 20 films par an et 5 seulement plus de 200. Si la production est concentrée géographiquement, et ceci même à l’intérieur des pays (Scott 2000), l’hégémonie culturelle que l’on attribue à « Hollywood » s’accompagne en outre parfaitement d’une diversité des capitaux des entreprises (Reich 1992), puisque au « cours des deux dernières décennies, toutes les majors états-uniennes ont fait l’objet de rachats et d’intégration au sein de groupes de communication à vocation mondiale » (Forest 2002 : 212).
Ce dernier élément, l’intégration du cinéma dans une économie plus large de l’audiovisuel, conduit à renforcer la part de plus en plus importante des télévisions et de l’esthétique qu’elles imposent. Ainsi est enclenché un cercle vicieux : « quand le financement du cinéma dépend à ce point des chaînes de télévision, ces dernières arrivent à imposer leur esthétique… qui, bien souvent, se résume au casting16. Le dépassement du “dessus de ligne” provoque un effet boule de neige sur tous les postes et entraîne les films dans une autre économie » (Prado 2003 : 27). Toutefois, de même les entreprises cinématographiques sont fortement diversifiées, quelques rares exceptions de télévisions indépendantes, Arte en Allemagne et en France, BBC en Angleterre ou VPRO aux Pays-Bas, contribuent à la défense d’une certaine diversité culturelle17. Pour reprendre l’analyse en termes de champs (Bourdieu 1996), on voit donc ici que le processus d’intégration de cette économie de l’audiovisuel se fait par constitution d’un pôle regroupant les agents dominants du champ du cinéma (les majors, les grands studios) et ceux de l’audiovisuel (les grands chaînes privées telles TF1 ou Canal+), laissant une place à un pôle dominé —chaînes (publiques) culturelles et producteurs indépendants. Mais de même que les agents du champ littéraire forment système en tissant des rapports ambivalents entre eux (Bourdieu 1998), on peut se demander dans quelle mesure la préservation de ce pôle indépendant dominé économiquement (constitué en ce qui concerne les télévisions essentiellement d’acteurs publics, sauf pour VPRO), même fortement doté en capital culturel, sert-elle de justification aux stratégies hégémoniques des agents dominants du champ audiovisuel et cinématographique18 ?
Dans le cadre d’un secteur du cinéma en salle en déclin, mais dans celui en explosion des secteurs dérivés de la consommation à domicile19, cette nouvelle économie de l’audiovisuel permet de donner pleine réalité aux stratégies multimédia du merchandising des entreprises de loisirs prenant acte de la diversification des sources de profits, la concurrence ne se faisant plus que sur un support multimédia particulier, mais sur un ensemble (cinéma, DVD, télévision, jeux vidéo). L’exemple idéal-typique étant Matrix, dont l’œuvre est composé du film, de la série d’animation et du jeu vidéo, qui n’en sont plus de simples déclinaisons20. Ce type de stratégie multimédia favorise ainsi un type de cinéma qui, pour reprendre la division de Claude Chabrol (2003) entre « conteurs et poètes », est avant tout tourné vers le récit et sa lisibilité, l’histoire à raconter, vu comme un facteur clé du succès des films21. En témoigne, comme le note Joëlle Farchy (1999), la multiplication des remakes de succès anciens, des suites, des adaptations de séries, des films « d’acteurs » ou réunissant des acteurs connus…, c’est-à-dire des films s’inscrivant dans une stratégie de « reproculture », car basés sur un univers existant a priori et, donc, plus facilement reconnaissables pour le consommateur —pouvant toutefois laisser encore une certaine marge de manœuvre/autonomie à l’auteur (Jousse 2003 : 221-222)22. Cela permet, d’une part, d’éliminer l’incertitude (dans l’esprit du futur spectateur) sur la qualité supposée du produit (Benhamou 2003) et, d’autre part, de favoriser les politiques commerciales associées. Si on suit les analyses de Hayes (2003) et Wayne (2003), l’impact global de la nouvelle économie du cinéma est double : sur le type de cinéma valorisé par cet intermédiaire qui, comme forme particulière de « mythe et de rêve », tend à l’imposition d’un certain « homme imaginaire » (Morin 1956), et sur le rapport au cinéma qui est valorisé, entrant dans le cadre d’une « macdonalisation du monde » (Ariès 1997).
Rôle et fonction des circuits indépendants d’exploitation
La transformation de l’économie « dominante » du cinéma tend à interroger le rôle et la fonction des circuits indépendants d’exploitation, largement constitués en France par le réseau des salles d’art et d’essai. En 2003, celles-ci sont au nombre de 873 établissements de cinéma représentant 25% de la fréquentation. Ce classement « art et essai » se fait par établissement et prend en compte la proportion de séances réalisées avec des films recommandés art et essai par rapport au total des séances offertes en appréciant le nombre de films proposés, la politique d’animation, l’environnement sociologique et cinématographique… Outre ces salles, il existe le réseau des ciné-clubs, regroupement de passionnés et possédant une sphère restreinte d’influence (étudiante pour la plupart), celui des salles municipales (appuyées sur les collectivités locales principalement en milieu rural), ainsi que celui des cinémathèques, visant la conservation, la diffusion et la formation aux films de cinéma. Ces dernières ont une fonction de lieu de dépôts de films et, à ce titre, d’organisation professionnelle poursuivant une mission de service public (la conservation d’un patrimoine culturel) et de diffusion et donc, à ce titre, d’association d’amateurs revendiquant un cinéma non commercial.
Le phénomène de développement des multiplexes a entraîné la protestation des mouvements d’éducation populaire intervenant dans le secteur. Ainsi, dans la région Rhône-Alpes, l’effet des multiplexes sur la fréquentation pour les salles se fait sentir partout où ils se sont ouverts, leur effet principal étant aussi une transformation des formes de la concurrence avec une réorientation de la programmation des salles vers « l’art et l’essai », les films en version originale et le jeune public, entraînant une forme de concurrence en cascade (les salles grand public se rabattant sur l’art et l’essai, les salles d’art et d’essai sur le cinéma de recherche…). Comme le mettent en évidence Anselme et Sanier (2001 : 3), la « proximité vraiment directe d’un multiplexe (moins de 15 minutes) entraîn[e] les effets les plus forts [sur la fréquentation et sur les stratégies associées] », et notamment sur la possibilité pour un même exploitant de proposer en mobilisant ses différentes salles une offre relativement complémentaire et diversifiée à destination du grand public. D’où l’existence, selon ces auteurs, d’un dilemme fondamental pour ces salles face à l’implantation des multiplexes : « Pour les salles soutenues par les collectivités : la modification sociologique des publics ; Pour les salles « privées » : la disparition pure et simple, si elles ne passent pas dans le giron public ou ne mutent pas en multiplexes ». Dès lors, face à ce développement des multiplexes, les positions défendues par les organisations professionnelles sur les multiplexes représentent une continuation de la mobilisation sectorielle pour la défense de l’exception culturelle, les discours dominants se situant à trois niveaux : « la défense du cinéma français (et au-delà, européen) face au cinéma américain ; le soutien d’une création dite culturelle devant le seul objectif commercial de la programmation grand public ; et la défense des petits exploitants et cinémas indépendants face aux grands groupements intégrés » (Hayes 2003 : 7). Comme l’illustrent le tableau et l’encadré ci-après, la prise de conscience de ce risque de la part de l’ensemble des cinémas d’art et essai, aussi bien par l’AFCAE (Association française des cinémas d’art et d’essai) que par le GNCR, ou pour les réalisateurs avec l’ACID (Agence du cinéma indépendant pour sa diffusion), s’illustre aussi par le soutien accordé chaque année à une quarantaine de films dans plus de 300 salles à travers la France, accompagnement assuré par la mise en place d’animations diverses : avant-premières, reprise ou création de cycles, rencontres avec des réalisateurs, des comédiens, des professionnels du cinéma.
Manifeste de l’ACID : « Libérons les écrans »
Aujourd’hui, en France, il y a 5280 écrans, quand en 1993 il y en avait 4272 : soit 1008 écrans de plus en 10 ans. Cela devrait être une bonne nouvelle pour le cinéma. Et bien non ! [sic]
Ne soyons pas dupes : ces écrans n’ont pas pour vocation d’offrir plus de diversité !
L’espace et la durée d’exposition des films indépendants sont aujourd’hui de plus en plus réduits, et menacés. Pourtant, ces mêmes films, s’ils sont maintenus dans la durée avec un nombre suffisant d’écrans, trouvent un public et une cohérence économique.
L’extrême marginalisation d’un pan entier du cinéma met en danger l’ensemble de la production de films : c’est la création qui est ainsi attaquée, c’est-à-dire le fondement même du système qui permet au cinéma français d’exister.
Cinéastes, producteurs et distributeurs indépendants, ensemble nous demandons que dorénavant aucun film ne puisse monopoliser plus de 10% des écrans.
Aujourd’hui les distributeurs multiplient les copies jusqu’à des niveaux inégalés. […] L’inflation des copies est devenue la règle au détriment de la vie des films. C’est un peu comme au poker où pour entrer à certaines tables, il faut pouvoir suivre avec du “lourd”. Et ici le “lourd”, c’est le nombre de copies (cela devient en soi un argument publicitaire). Pour pouvoir exister, des films, qui à priori n’auraient pas besoin d’un tirage aussi élevé, sont contraints à une surenchère suicidaire.
Ce nombre considérable de copies occupe forcément un nombre considérable d’écrans. Et souvent les films ont un ratio entrée/copie bien inférieur au chiffre fatidique où, sans scrupule ni remords, on débarque des films indépendants.
Conséquence : le manque de place pour l’exposition des films oblige les distributeurs indépendants à se livrer à une lutte fratricide pour les quelques écrans restants. La durée d’exposition des films se réduit de plus en plus. Un film chasse l’autre, au manque d’espace se juxtapose le manque de temps. Cette valse infernale tue toute possibilité d’une exploitation commerciale efficace du cinéma indépendant.
La marche forcée « du plus d’écrans » est une véritable bulle spéculative. Elle accentue la rotation des films, augmente les frais de sortie, et fragilise encore plus la distribution indépendante. Tous y perdent, sauf les propriétaires des multiplexes qui ont ainsi du sang frais pour leurs fauteuils. Quand la bulle explosera, les circuits seront là pour restructurer et donner le dernier coup d’accélérateur à la concentration.
Libérons les écrans de cette logique de consommation. Les films ne sont pas des marchandises comme les autres.
Au plan local, des associations regroupant les salles de cinéma indépendantes sont créées, regroupées au plan national au sein du GNCR. Ces associations ont des objectifs ambivalents, provenant de leur double origine (mobilisation de salles associatives, mais aussi relais en partie des politiques publiques du cinéma) : en effet, si elles gèrent des activités de service public (« Lycéens au cinéma », « Cinéville ») développées pour l’accès de tous à la culture, théoriquement ouvertes à l’ensemble des salles, et représentant une part importante de leur budget, elles ont pour objectif de développer l’activité de leurs membres ainsi que de promouvoir certains films (ce qui peut d’ailleurs entrer en contradiction avec l’objectif précédent). L’activité de ces associations vis-à-vis de leurs adhérents se concrétise à plusieurs niveaux. Elles agissent ainsi sur la négociation de films : l’exploitation d’un film se fait sur contrat, avec les structures chargées de la distribution et de la production, au terme duquel un minimum garanti puis un pourcentage de recettes (environ 50%) sont demandés, ces exigences pouvant augmenter du fait d’un rapport de force défavorable aux diffuseurs. La concentration du marché de l’exploitation complique l’accès aux films pour les salles de proximité. En effet, les distributeurs préfèrent donner leurs films à des salles ayant une forte fréquentation. Les multiplexes, avec leur poids économique, sont alors souvent prioritaires. L’effet de la concurrence n’étant donc pas seulement dans la captation du public, mais également dans l’accès aux films, l’association permet une négociation de ces éléments à un point de vue régional (recettes, dates et nombre de copies) en mobilisant le réseau des salles adhérentes.
Autre fonction assurée par ce type d’association, les activités d’animation des salles, travail important sur l’identité des cinémas associatifs et indépendants, consistent en la mise en place d’animations collectives (cycles thématiques, accueil de réalisateurs et comédiens, travail en collaboration avec d’autres associations sur des thèmes de société…). Si le développement des multiplexes constitue une réelle menace pour la survie des cinémas commerciaux grand public des petites et moyennes villes, il semble que les effets soient en partie différents pour les cinémas « art et essai ». Les données tendent à suggérer que l’arrivée d’un multiplexe serve à fidéliser les spectateurs de ces salles, surtout là où le cinéma joue un rôle de proximité et de suivi (tarifs préférentiels, actions d’animation en direction des milieux scolaires, séances « jeune public », débats avec réalisateurs). Les cinémas qui s’en tirent le mieux sont précisément ceux qui ont su renforcer leur identité (Delon 2000 : 22).
Dans ce cadre, ces cinémas peuvent ainsi mettre en avant leur rapport particulier aux usagers, c’est-à-dire comme une forme d’appropriation par les spectateurs du cinéma dans un cadre d’éducation populaire (cinés clubs, salles associatives permanentes) ou de gestion collective du patrimoine cinématographique par les professionnels (exemple des cinémathèques). Hayes (2003) va plus loin en inscrivant ce mouvement du cinéma indépendant dans le cadre de mobilisation altermondialiste. Comme le remarque également Mattelart (2002 : 10-11), « [e]n 2002, lors du deuxième Forum social mondial de Porto Alegre (Brésil), ces mouvements ont placé la diversité culturelle au centre de l’interrogation sur la forme de société possible dans un autre monde possible. Loin de se recroqueviller sur une conception réduite aux seuls produits des industries culturelles, l’exception commerciale culturelle s’est muée en principe de la critique de l’ensemble d’un mode de vie. La diversité culturelle a rejoint les débats portant sur les “biens publics communs” que sont la culture, mais aussi l’éducation, la santé et l’environnement, autrement dit tous ces domaines où les logiques techno-marchandes risquent de dévoyer le concept de diversité ».
Ainsi, on peut voir les activités de ces organisations comme ayant un caractère « sociotechnique » marqué, prenant en compte une « multifonctionnalité de la culture », déclinée entre dimension sociale (expression, animation, éducation) et dimension productive (création, loisirs), démarquant fortement les cinémas associatifs du circuit lucratif par leur activité d’accompagnement des films et d’éducation à l’image23. Cette fonction de déchiffrement-décryptage ou, comme l’écrit Jean-Luc Godard (1985), d’interrogation politique sur les images et les sons, apparaît aujourd’hui indispensable à l’heure même où le spectateur, pour reprendre l’analogie utilisée par Thierry Jousse (2003 : 232) à propos de l’Antre de la folie de John Carpenter, est « enserré dans les images d’horreur qui figurent plutôt l’horreur de l’image, son aliénation profonde et sa séduction pure, une horreur qu’on peut aisément rapporter au système de reproduction des images à l’infini —stéréotypes et autres trompe-l’œil— organisé et produit par Hollywood, où figurent en bonne place le cinéma et tout aussi bien la vidéo, la télévision, les jeux divers et autres produits dérivés ».
Conclusion
Si ces organisations bénéficient de l’appui de leurs organisations fédératives (promotion collective, formation, aide à l’accès au film, accompagnement…) dans un contexte de concentration de l’amont (accès au film) et de l’aval (diffusion du film) ou de la diversification par la technique des sources potentielles de profit (DVD), si cela peut même aller en de rares exemples jusqu’à aboutir à une filière alternative (comme le montre le succès du film la Prophétie des Grenouilles, produit par une filiale d’une association d’éducation populaire et qui a pu être distribué et exposé en s’appuyant sur les écrans des réseaux associatifs), l’avenir semble toutefois rester celui de la négociation de marges de manœuvre au sein d’un univers industriel fortement contraignant.
Dans ce cadre, on peut alors s’interroger sur l’impact de la transformation des politiques publiques, jouant un rôle important en France et dans d’autres pays européens (Vivancos 2000) et devant s’adapter à de nouveaux objectifs affichés par les Pouvoirs Publics qui ne sont plus ceux de « l’exception culturelle », mais de « la diversité culturelle », et ceci alors même que de nombreuses critiques des politiques publiques d’aide au cinéma se font jour, comme avec Jean Cluzel (2003). La situation du cinéma en France, régulé par un dispositif politique, administratif, financier et symbolique mis en place depuis trois quarts de siècle, s’incarnant notamment dans la création en 1946 d’un outil de politique nationale comme le CNC (Centre national de la cinématographie), témoigne d’une transformation historique des modalités d’intervention de l’État dans l’économie du cinéma (Farchy 1999 : 190-193) par le passage d’une politique industrielle de structuration du secteur dans l’après-guerre à une politique à prétention culturelle avec le rattachement du cinéma au Ministère de la Culture en 1959. Alors qu’elles doivent rentrer dans le cadre d’une négociation prochaine en 2005 au sein de l’Union européenne, ce sont ces formes de l’aide qui apparaissent en crise actuellement, puisqu’en mettant l’accent sur l’aide à la production plutôt que sur l’aide à la diffusion des films (comme avec l’aide aux salles), elles accentuent le décalage entre le niveau élevé de la production et les possibilités limitées de sortie des films dans de bonnes conditions24.
Comme le rappelle Claude Forest (1998), la diversité artistique et culturelle des œuvres de cinéma s’accompagne donc et se nourrit d’une diversité de la population des opérateurs économiques du secteur. Alors que les enjeux culturels sont au cœur de la constitution de l’Europe comme une réalité politique non réductible à une vaste zone de libre échange, si l’Europe veut donc continuer à produire un cinéma qui lui serait spécifique, développer « son génie […] dans le dialogue des pluralités qui produit le changement » (Morin 1990 : 149), elle ne peut faire l’économie d’une réflexion forte sur les conditions de l’exposition de sa production et de préserver une pluralité des réseaux d’exploitation (Thiollière et Ralite 2003).
- 1LEPII est l’acronyme du Laboratoire d’économie de la production et de l’intégration internationale. Une version remaniée de cet article paraîtra dans le n° 11 (septembre 2004) de la Revue TESS–Travailler pour une économie sociale et solidaire. Je suis fortement redevable des remarques et suggestions des rapporteurs anonymes de la revue, ainsi que des nombreux échanges à propos de l’économie sociale culturelle avec Danièle Demoustier (Institut d’Études Politiques de Grenoble). Je reste bien sûr seul responsable des lacunes de ce texte.
- 2La concentration des producteurs et des produits, se traduisant non par le nombre de films (stable ou en augmentation), mais par le coût moyen de production et la concentration du nombre de spectateurs ; la mise en question des modes de financements de la création (l’économie de l’avance sur recettes en France, par exemple). Voir Créton 2001.
- 3Voir à ce propos différents articles d’Élisabeth Lequeret dans les Cahiers du Cinéma en 2001-2002.
- 4Ce dont Karl Marx lui-même se défiait, comme en témoigne son éloge de l’art grec et de Shakespeare comme modèles artistiques « inaccessibles » (1990). Face à la critique de « scientisme » dès lors que l’on s’intéresse à l’économie des pratiques culturelles, rappelons ici ce qu’écrivait Pierre Bourdieu à propos de l’œuvre littéraire : « l’analyse scientifique des conditions sociales de la production et de la réception de l’œuvre d’art, loin de réduire ou de la détruire, intensifie l’expérience littéraire » (1998 : 14-15).
- 5Pour une discussion plus précise de la notion de diversité culturelle (et de son historique), voir Mattelart (2002), critiquant « la diversité culturelle assimilée [uniquement] à la multiplication de l’offre et de demande sur le marché des biens culturels ».
- 6Notons que l’on arrive à la même conclusion si on étudie l’évolution de la marge bénéficiaire de ces différents acteurs (Thiollière et Ralite 2003).
- 7Cette progression rencontre actuellement des limites réglementaires dans la mesure où la salle ne peut recueillir moins de 50% de la recette hors taxe.
- 8En effet, au sein d’un secteur où les différentes branches sont traditionnellement rémunérées au pourcentage de la recette par entrée, l’introduction de telles formules faisait difficulté : elle ne permettait plus d’individualiser, pour chaque film, les recettes issues des abonnements et rendait par conséquent problématique la rémunération des distributeurs et des ayants droit.
- 9En droit français (mais cela rejoint en grande partie la définition européenne), il s’agit des complexes cinématographiques d’au moins 8 salles pour une capacité minimum de 1000 fauteuils.
- 10Par exemple, le 2 janvier 2004, quatre films (Le monde de Némo, Le Seigneur des Anneaux, Scary Movie, Les Ripoux 3) occupaient 3022 écrans (sur 5280), soit 57% de l’ensemble des écrans (tous réseaux confondus) !
- 11L’ensemble des programmateurs appelant l’ensemble des distributeurs le lundi matin, au vu des résultats dont tous ont eu communication en fin de week-end.
- 12L’amplitude du choix potentiel incite certains à toucher tous les segments de la clientèle, y compris la plus cinéphilique, livrant une concurrence frontale avec la frange des exploitants « art et essai » qui s’étaient établis sur cette niche, ne serait-ce que parce que la programmation de films « art et essai » porteurs (l’exemple type pour le cas français étant le film annuel de Woody Allen) permet de diversifier les sources de profit en assurant une durée d’exploitation optimale de chaque film.
- 13On ne compte plus les accords de partenariat entre les sociétés de multiplexes et celles de restauration rapide à proximité pour proposer des offres couplées préférentielles.
- 14Dans un article des Cahiers du Cinéma, Anne Ballynlich (2000) avait caractérisé de cette manière la stratégie des grandes entreprises des industries culturelles.
- 15De même que le système français finance largement des cinéastes étrangers, conduisant par exemple à ce que Denys Arcand puisse recevoir pour les Invasions Barbares le César du meilleur film. On peut y voir alors une nouvelle forme de rapport centre-périphérie (France par rapport au reste du monde francophone).
- 16Un simple coup d’œil sur les affiches (se réduisant à une collection de portraits des acteurs) des principaux « blockbusters » français montrent qu’ils singent jusqu’à la caricature l’image et l’univers des films américains.
- 17Comme Arte, elles tendent ainsi à développer un compromis sur la diffusion du film entre un produit télévisuel et un film indépendant plus « classique » (par exemple en proposant de manière légèrement décalée une première vision télévisuelle puis une sortie en salle).
- 18L’analyse spécifique de la situation du documentaire et de la part de plus en plus importante que les chaînes occupent dans « son formatage télévisuel » nécessiterait à elle seule un développement beaucoup plus large que les quelques arguments mentionnés ici relativement à l’économie générale du film.
- 19Rappelons ici que, selon les chiffres du CNC pour 2002, 5% des titres représentent 73% des ventes
de DVD ; les films américains représentent une part identique des ventes. - 20Pour ce dernier cas, l’effet est même celui de la contamination sur la structure du récit du film se résumant à celle d’un jeu vidéo (action, récit préalable à l’action suivante, action suivante de difficulté supérieure, etc.).
- 21Claude Forest y voit un avantage comparatif de Hollywood : « la différence incontournable entre les régimes juridiques anglo-saxons et ceux d’autres pays comme la France fonde l’abîme entre les différentes conceptions de l’auteur de l’œuvre à produire comme de l’œuvre elle-même. Les États-Unis n’ont, en effet, pas adhéré à la convention de Berne sur les droits d’auteur qui donnent à ceux-ci (que ce soit pour un livre, un scénario ou toute autre œuvre d’art) un droit de regard absolu sur l’utilisation ultérieure qui sera faite de leur création. Il s’ensuit que, en droit américain, seul compte le propriétaire du copyright, qui est cessible contractuellement entre n’importe quelles parties, comme par exemple un scénariste salarié et son employeur » (Forest 2002 : 219).
- 22Cette analyse canonique (la « politique des auteurs » des Cahiers du Cinéma) nécessiterait toutefois un réexamen. En témoigne le destin du film Gangs of New York, ayant largement échappé (dans son montage, dans les scènes coupées…) au contrôle de Martin Scorsese, pourtant considéré par la revue comme l’archétype du « contrebandier du cinéma américain ».
- 23Comme le résume bien une des structures associatives rencontrées, « que ce soit à travers le cinéma, les spectacles vivants, les expositions, les activités d’expressions culturelles, toutes les actions qui nous développons tendent vers une même exigence : ouvrir et nourrir les esprits, mieux se connaître et mieux se comprendre ». Le cinéma dans ce type d’organisation s’inscrit avant tout dans un projet social et éducatif plus vaste.
- 24Pour une part, certaines politiques réglementaires ont été mises en place. Outre l’encadrement des cartes illimitées, des engagements de programmation pris par les opérateurs doivent contribuer à la diversité de la programmation des multiplexes en prévoyant un pourcentage minimum de séances consacrées aux films européens et en limitant la pratique de la multidiffusion consistant à projeter le même film dans plusieurs salles d’un multiplexe.