Vers une amitié queer
Anxiété et intimité sur le Waterfront de New York
En 1981, quelques mois avant que les premiers cas du SIDA ne soient signalés, Michel Foucault (1994) accordait un entretien intitulé « De l’amitié comme mode de vie », paru dans Le Gai Pied, un magazine fondé par un groupe d’activistes homosexuels radicaux. Dans cette entrevue, Foucault propose de concevoir l’homosexualité non pas dans les termes d’une identité, d’un désir, ou d’une vérité de soi, mais plutôt comme une manière de créer et de nourrir des relations d’un tout autre genre. Au lieu de se poser des questions du type : « Qui suis-je ? Quel est le secret de mon désir ? », il serait peut-être préférable de se demander : « Quelles relations peuvent être, à travers l’homosexualité, établies, inventées, multipliées, modulées ? » (Foucault 1994, 163) Que l’homosexualité ne soit pas encore institutionnalisée ou dictée par l’État oblige ainsi ceux et celles qui désirent avoir des relations homosexuelles à « inventer de A à Z une relation encore sans forme » (Foucault 1994, 164). C’est précisément le terme d’« amitié » que Foucault utilise pour décrire cette relation amorphe. Ce qui rend l’homosexualité inquiétante et troublante n’est pas que deux hommes recherchent, un « plaisir immédiat » (Foucault 1994, 164), sous la forme de brèves rencontres sexuelles, mais le mode de vie qu’elle pourrait engendrer. Alors que l’amour hétérosexuel est surdéterminé par les formules institutionnelles et les tropes culturels, l’amitié n’est pas si aisément assimilable. Notre texte cherche à éclairer ce que Foucault suggère ici. Pourquoi établit-il un lien si étroit entre amitié et homosexualité ? Que signifie cette notion d’amitié lorsqu’elle désigne un mode de vie et comment se constitue-t-elle comme une forme de relation radicale ? Un passage spécifique de l’entretien occupe une place particulière au cœur de notre réflexion : « Il faut et il faut faire échapper aux deux formules toutes faites de la pure rencontre sexuelle et de la fusion amoureuse des identités » (Foucault 1994, 165). En d’autres termes, pouvons-nous échapper aux scripts dichotomiques de l’amour romantique et de la rencontre sexuelle éphémère ? Une des raisons pour laquelle il est important d’enquêter sur les formules romantiques est qu’elles sous-tendent des régimes de production et de reproduction. En d’autres termes, le romantisme maintient l’ordre social, ses structures de domination et relations de pouvoir établies. Le désir de fusionner avec l’autre, l’envie de franchir les frontières des corps, le désir de passer une vie ensemble, est une question politique dès lors que, en tant que grammaire affective, elle consolide des relations de propriété, des arrangements domestiques sexués et fonde la famille comme institution sociale centrale. Les scripts dont nous parlons sont des cartes mentales socialement acquises qui traduisent des règles, des valeurs et des attentes en performances particulières – chorégraphies qui sont tout à la fois mentales et corporelles (Flachs 2019). Sarah Ahmed (2010) envisage que la romance bourgeoise puisse revenir à des « happiness scripts ». Ces scripts produisent des conduites et des désirs particuliers qui sont associés au bonheur, mais qui causent aussi le malheur de ceux qui s’en écartent. Ce sont là des « straightening devices, […] ways of aligning bodies » (Ahmed 2010) en accord avec les exigences capitalistes et hétéropatriarcales concernant nos manières de reproduire, d’aimer et d’organiser nos vies. Ce n’est pas uniquement la fusion amoureuse qui constitue un script particulier. Dans cet entretien, Foucault suggère que les rencontres sexuelles survenant au dehors de la forme du couple sont également des formules toutes faites. Nous nous attarderons donc sur les scripts qui sous-tendent également la promiscuité sexuelle et interrogerons ainsi les possibles configurations à l’origine des doutes de Foucault quant à la nature subversive de la liberté sexuelle. En d’autres termes, à quelles conditions une relation échappe-t-elle aux scripts tout faits? Pour répondre, nous partirons de l’exemple d’une culture souvent conçue comme subversive : la pratique du sexe en public lorsqu’elle est non monogame et queer. Notre article mobilise une archive polyvocale permettant d’explorer des formes d’intimité au-delà du couple se déployant sur le Waterfront, l’un des espaces sous-culturels queer les plus importants de la ville de New York. Après avoir présenté ce lieu, nous analyserons l’autobiographie de Samuel Delany, The Motion of Light in Water, qui documente la culture sexuelle sur le Waterfront dans les années 60. Pour cela, nous mobiliserons la théorie des affects et l’entretien de Foucault, en retraçant les formes d’anxiété qui hantent les marges des scripts préétablis de l’intimité. Enfin, nous proposerons une « lecture » du documentaire Fenced Out – une œuvre qui examine la façon dont les formes de vie des queers racisé·e·s ont été effacées de l’espace et de la mémoire – au côté du travail de Saidiya Hartman sur la fabulation critique et de celui de Jack Halberstam sur l’« anarchitecture » queer. Pour qui s’intéresse à l’amitié queer, il faudra d’abord s’éloigner des désirs nostalgiques de l’homosexualité masculine blanche afin de se tourner vers un espace de possibilités et de relations sans forme.
Débris et possibilités
Dans Crusing Utopia, José Esteban Muñoz (2009) introduit l’expression « utopian memory » pour désigner un certain type de mémoire queer. La crise du SIDA a entraîné l’anéantissement de tout un ensemble de pratiques subculturelles du cruising et des relations sexuelles en public, ainsi que la géographie particulière dans laquelle elles prenaient place, au nom de la santé publique. Ce ne sont pas seulement les ami·e·s et les amant·e·s qui ont disparu, mais aussi ce que Douglas Crimp (1989, 11) a appelé une « culture de la possibilité sexuelle ». Pour Muñoz, le souvenir de tels espaces dédiés à la performance publique de la sexualité avant la crise du SIDA ne doit pas donner lieu à une forme conservatrice de la nostalgie, mais devrait aussi nourrir des imaginaires ayant trait à un autre avenir. Ainsi, les archives de ces lieux peuvent, selon nous, constituer une étape vers l’élaboration de l’amitié queer. Les archives qui nous intéressent plus particulièrement sont celles qui concernent l’Hudson River Waterfront, aussi appelé les piers, à New York. Dans les années 1950, les quais et les entrepôts de la rive ouest de Manhattan comptaient parmi les lieux les plus fréquentés du monde et étaient essentiels à l’économie capitaliste comme à la vie urbaine. À partir des années 1960, cependant, le port connu un déclin financier radical et une restructuration économique (Anderson 2019). Les halls industriels et les quais destinés aux passagers, qui semblaient autrefois incarner la fantasmagorie du American Dream – la promesse de « nouvelles » terres, et les possibilités économiques – sont tombés en ruine en l’espace de deux décennies seulement. Le sel présent dans l’air et l’eau a lentement engendré la décomposition des contreforts en bois, l’affaiblissement des structures et l’effondrement des toits. Les piliers se sont déformés et ont coulé plus près de la surface de la rivière (Sember 2003). Une fois à l’abandon, les piers sont devenus un refuge pour celleux qui ne parvenaient pas à se fondre dans le tissu social capitaliste et hétéronormatif de la modernité. À l’ombre des piers s’ouvrait un espace qui allait devenir l’un des principaux sites d’expérimentation sexuelle et de socialité homosexuelle. Les autorités tentèrent d’éliminer les espaces, situés au cœur de la ville, où se pratiquaient des relations sexuelles en public, repoussant progressivement le cruising1 vers les piers (Chauncey 1994). Dans les années 1970, les autorités de la ville se trouvaient au bord de la faillite et luttaient pour préserver leur contrôle sur l’espace urbain. Le métro et les bâtiments y étaient recouverts de graffitis, tandis qu’un vaste paysage d’édifices délabrés offrait la possibilité d’établir des squats et des lieux de contre-culture. Les piers sont l’exemple de ces contre-formes d’habitation et d’activisme qui s’épanouissaient dans les ruines, nourries des possibilités que ces lieux offraient. Les hommes homosexuels n’étaient bien sûr pas les seuls à fréquenter les piers. De jeunes artistes utilisaient leurs murs comme autant de toiles, et établissaient leurs ateliers dans leurs entrepôts; des personnes sans domicile fixe y trouvaient refuge; des travailleurs·euses du sexe trans y accueillaient des hommes d’affaires du New Jersey. Quant aux jeunes racisé·e·s queers, iels y créèrent une sous-culture vivante à coup de voguing, balls et houses. Les piers étaient devenus un lieu vers lequel convergeait celleux que la société capitaliste avait exclu·e·s comme autant de « déviants ». En ville, iels s’exposaient à des amendes et à des expulsions pour cause de flânage (vagrancy) ainsi qu’à des lois transphobes et homophobes qui criminalisaient l’expression des minorités de genre et les formes d’intimité non hétéronormées. Dans les débris des piers, iels pouvaient, dans une certaine mesure, échapper à la surveillance et à la transparence de l’espace public. Pour Jack Halberstam (2018), le Waterfront est un paysage anticapitaliste, une zone offrant des possibilités de cartographies alternatives du désir et des relations. C’est ainsi qu’un espace construit pour faciliter les régimes et mouvements imposés par le capitalisme devint un abri pour celleux représentant leur subversion. C’est ce détournement historique d’un espace géographique particulier qui continue d’attirer universitaires et artistes (Anderson 2019; Weinberg 2019). Avec l’émergence du V.I.H., l’espace-temps délimité par les piliers des piers devint le point nodal de la nostalgie gaie. On se remémore les piers comme le site où s’expérimentait ce que Berlant et Warner ont appelé « la forme d’intimité propre à cette promiscuité » (Berlant et Warner 2018, 125). Tandis que la monogamie hétérosexuelle renforce la distinction public/privé, en associant l’intimité à la vie privée, et reproduit le régime de la famille, ce script, selon ces auteurs, se trouve interrompu et subverti par la culture sexuelle caractérisée par ces formes d’intimité fugaces. Les piers, en ce sens, peuvent être lus comme ce que les auteurs appellent un « contre-espace public queer » (Ibid., 122), c’est-à-dire un site d’expérimentation pour de nouveaux types de relations intimes au-delà du couple, de la domesticité et de la propriété. Dans ce discours sur la mémoire gaie, la crise du SIDA incarne la catastrophe ayant éradiqué cette culture de la possibilité sexuelle, donnant naissance à un régime que Lisa Duggan (2002) a appelé « homonormativité ». Ce terme fait référence à l’harmonisation de l’homosexualité avec la respectabilité bourgeoise et la moralité sexuelle hétéronormative. L’homonormativité est une politique et mode de vie qui vise à l’assimilation, au mariage ainsi qu’à la normalité.
Explorer l’intimité au cœur de l’anxiété
En 1960, sur les conseils d’un ami, l’écrivain de science-fiction noir queer Samuel Delany visite le Waterfront pour la première fois (Delany 1988). Simon, un jeune peintre, lui avait confirmé qu’il était possible d’avoir des relations sexuelles instantanées, entre les véhicules garés sous l’autoroute, au bout de Christopher Street pendant la nuit. Delany erre près des piers pendant vingt minutes, sous un lampadaire, de l’autre côté de la rue, sans y voir les « orgies de masse » que Simon lui avait promises (Ibid., 121). De temps en temps, des hommes seuls, soupçonné d’être des chauffeurs, traversent la rue pour disparaître dans l’ombre entre les fourgonnettes. Le lendemain après-midi, il raconte à Simon que l’expérience s’est révélée être un échec. « No », lui répondit Simon, « you have to cross over and walk around between them. And you still probably won’t see very much » (Ibid., 121). Se souvenant de l’interstice sombre entre les véhicules sur le front de mer abandonné, Delany lui demande : « Isn’t that kind of scary? » Quelques nuits plus tard, il y retourne et y rencontre entre trente-cinq et cent cinquante personnes. Les hommes « were slipping through and between and in the trailers, some to watch, but most to participate in, numberless sexual acts, till morning began to wipe night from above the Hudson, to dim the stars, to blue the oily water » (Ibid., 121). Ce bref instant, alors que les étincelles rouges de l’aube se reflètent sur l’eau bleue, émeut Delany et le pousse à revenir sans cesse en ces lieux afin d’y retrouver excitation et plaisir collectifs. Une nuit, Delany se réveille soudainement en sueur, dans le petit lit d’un appartement de l’East Village qu’il partage avec sa femme, la poétesse Marilyn Hacker. Il se glisse hors du lit, s’habille en vitesse, et sort se frayer un chemin à travers l’East Village en direction du Waterfront. Il se promène entre les fourgons, les camions et les taxis afin de « invade a space at a libidinal saturation impossible to describe to someone who has not known it » (Delany 1988, 129). L’expérience a été, souligne Delany, très différente des images produites par l’industrie du porno. Plutôt que « wild, abandoned, beyond the edge of control », la situation réelle se présente comme « hugely ordered, highly social, attentive, silent, and grounded in a certain care, if not community ». Il écrit ainsi :
At those times, within those van-walled alleys, now between the trucks, now in the back of the open loaders, cock passed from mouth to mouth to hand to ass to mouth without ever breaking contact with other flesh for more than seconds; hand, ass passed over whatever you held out to them, sans interstice; when one cock left, finding a replacement – mouth, rectum, another cock – required moving only the head, the hip, the hand no more than an inch, three inch. (Ibid., 129-130)
C’est ainsi que les relations intimes ne se limitent pas à une chorégraphie entre deux partenaires romantiques dans un lieu domestique. Une multiplicité de corps se fonde en un seul organisme, continuellement en mouvement, les organes se substituant rythmiquement les uns aux autres. Épuisé par l’abondance des contacts sexuels, Delany se tient au bord de la rivière, contemplant l’eau de l’Hudson. L’aube produit un « motion of light in water », les filets d’ombre et de lumière se plissent, s’entrelacent, s’interpénètrent (Ibid., 131). « It seemed for a moment », écrit Delany, « that both would become one, or would reveal themselves to be two aspects, differently lighted, of a complex singularity » (Ibid., 130). L’image de cette fusion d’entités à la surface de l’eau intervient comme une métaphore de la fusion sexuelle imaginée à l’occasion d’une forme d’intimité collective. L’autobiographie de Delany, The Motion of Light in Water, qui couvre la période entre 1957 et 1965, raconte non seulement ses rencontres sexuelles en public, mais aussi la façon dont elles sont liées à d’autres aspects de sa vie personnelle, comme son mariage avec Marilyn Hacker. Avant de se marier, Hacker et Delany étaient des ami·e·s proches. Bien que Delany s’identifie comme homosexuel, et que les deux partenaires étaient conscient·e·s de la nature de ses désirs, une « expérience sexuelle » conduit à une grossesse puis au mariage. Iels s’installent dans un appartement de l’East Village, dorment dans un lit simple, ont des relations sexuelles régulières, et vivent peut-être ce que Foucault aurait appelé une formule romantique toute faite de fusion domestique. Les premières années de leur mariage sont comme le souligne Fred Moten, « difficult, wander-struck » (Moten 2017, 266). Hacker fait une fausse couche et rencontre par la suite des problèmes de santé mentale, tandis que les errances homosociales nocturnes de Delany deviennent de plus en plus difficiles à concilier avec leur vie de couple. Lorsque l’un des amants de Delany fait irruption dans leur appartement le jour de l’anniversaire de Marilyn, celle-ci exigera que leur vie de couple soit séparée des rencontres sexuelles anonymes et ponctuelles sur les piers : « I don’t care what you do when you’re not here. […] It’s just how it makes you act when you are here I object to ». Delany qualifie lui-même sa vie de récits parallèles, hiérarchisés par un code romantique (Delany 1988, 29). La vie domestique qu’il partage avec Hacker est marquée par une forme d’intimité correspondant à des scénarios romantiques établis, tandis que ses rencontres sexuelles fugitives dans les espaces de cruising donnent lieu à des promiscous intimacies caractérisées par de brèves fusions communautaires. Il faut souligner que le récit de Delany manifeste la dichotomie des « formules toutes faites » présentée dans l’entrevue de Foucault. Dans la vie de Delany, la « pure rencontre sexuelle et la fusion amoureuse des identités » sont toutes deux mises en scène : elles coexistent en parallèle. La fusion monogame et la rencontre de promiscuité ne sont pas opposées, comme le suggèrent les discours autour de la mémoire gaie, mais apparaissent comme deux facettes d’un même système. Tant que les récits ne se croisent pas et ne mènent pas à d’autres relations, la monogamie n’est pas déséquilibrée par les actes de promiscuité qui se produisent sur les piers. Cependant, les récits parallèles qui constituent la vie de Delany ne se déroulent pas de façon ordonnée. Delany souffre d’angoisses s’aggravant progressivement. Au fil des semaines, il se rend à la station de métro la plus proche, attiré par les trains. Il retient son souffle et transpire à leur passage. Dans son ouvrage, Sara Ahmed (2004), explorant la grammaire affective de la peur, explique que les émotions produisent les surfaces mêmes des corps collectifs et individuels. Ahmed suggère que la peur fonctionne par anticipation, là où l’objet de la peur est proche, mais « not quite present » (Ahmed 2004, 65). C’est l’approche et le passage de l’objet de la peur qui entraîne une augmentation de l’anxiété. L’insaisissabilité et le mouvement de l’objet se trouvent, selon Ahmed, au cœur de la peur. Une scène du Waterfront nous interpelle particulièrement. Delany est témoin d’une descente policière qui déclenche chez lui une intense vague d’anxiété. S’il n’a pas peur au cours de la descente elle-même, il s’effrait du « sheer number of men who suddenly began to appear » (Delany 1988, 173). L’organisation ordonnée du sexe gai qui se déroule entre les camions s’effondre soudainement. Fuyant la police, la masse d’hommes se disperse rapidement. Le collectif ordonné, maintenu par le sexe en public, se dissout. L’anxiété de Delany fissure les récits incommensurables d’une même vie, là où l’ordre qui tenait ensemble, en les séparant, le script est anéanti. L’anxiété porte sur la dissolution des frontières entre des récits parallèles, sur le contact entre deux formules préétablies, sur l’espace dans lequel les scripts qui régissent sa vie ne tiennent plus. Bien que les scripts de l’amour monogame et des pratiques sexuelles en public possèdent bien entendu des caractéristiques différentes, un aspect les unit dans notre lecture de Delany : la performance d’une fusion ordonnée. En ce sens, des scripts qui, dans les discours homosexuels, semblent souvent diamétralement opposés révèlent un point commun quant à la façon dont les rencontres entre les corps sont conçues et entretenues. Le récit de Delany révèle la texture de l’anxiété liée à la performance de ces relations normatives. L’anxiété comme affect fonctionne à la marge des scripts institutionnalisés; elle nous empêche d’entrer dans des relations qui ne peuvent être entièrement catégorisées, ou classifiées, et qui n’ont pas d’identité fixe. En même temps, l’effet troublant de l’anxiété signale la possibilité d’entrer dans des relations différentes, des relations multiples, transformatrices et difficiles à assimiler. Les mouvements rapides, le passage et le désordre qui apparaissent au cours de cette scène indiquent la possibilité de réordonner l’intime et le social. Foucault ne croit pas que l’acte sexuel gai en public soit précisément ce qui rend l’homosexualité dérangeante. La promiscuité et les rencontres sexuelles fugaces correspondent à « une image proprette de l’homosexualité, qui perd toute virtualité d’inquiétude » (Foucault 1994, 164). Elles « annule[nt] tout ce qu’il peut y avoir inquiétant dans l’affection, la tendresse, l’amitié, la fidélité, la camaraderie, le compagnonnage » (Foucault 1994, 164). Ce qui rend l’homosexualité troublante, cependant, ce n’est pas l’acte sexuel lui-même, mais la « formation de nouvelles alliances et la mise en place de lignes de force imprévues » (Foucault 1994, 164). « Les codes institutionnels », écrit-il, « ne peuvent pas valider ces relations aux intensités multiples, aux couleurs variables, aux mouvements imperceptibles, aux formes qui changent » (Foucault 1994, 164). Concernant l’homosexualité, ce qui fait signe vers un « autrement » n’est pas la culture de la possibilité sexuelle, mais ce que Fine Hetterich a appelé une « culture de la possibilité relationnelle » (Hetterich 2020). Ce n’est pas le sexe, mais l’amitié qui dérange et trouble. L’amitié est une relation qui peut être impénétrable, allant au-delà des angoisses liées des relations prédéterminées. En d’autres termes, l’anxiété qui se dégage de nos relations prescrites souligne la nécessité de l’amitié. Cette dernière ouvre un espace dans lequel nous pouvons inventer, imaginer et dessiner autre chose qu’un avenir reproductif, des scénarios romantiques et des relations sexuelles occasionnelles en public. Les amitiés, écrit Foucault, « introduisent l’amour là où il devrait y avoir la loi, la règle ou l’habitude » (Foucault 1994, 164). Et si nos relations ne suivaient pas des scénarios tout faits, mais opéraient plutôt dans un espace formé de relations multiples, infiniment ouvertes et possibles? L’amitié est ainsi une relation caractérisée par la multiplicité et la non-fixité. Elle implique des affects intenses, désordonnés et indisciplinés. Elle n’est pas régulée par l’État, mais par les protagonistes de la relation. Elle peut échapper à la fusion, à l’ordre et à la linéarité. L’amitié est le nom que Foucault donne à cette relation sans forme.
Refuser d’être gouverné·e·s
La mémoire nostalgique des homosexuels blancs se souvient des piers de façon sélective, effaçant des archives des formes de relations qui pourraient être beaucoup plus proches de ce que Foucault décrivit comme une forme relationnelle ouverte, informe et multiple. La promiscuité homosexuelle saisie comme noyau des contre-publics queer, et comme pratique que l’on imagine subvertir le script de l’amour romantique, dépend de cette mémoire gaie blanche. Dans Cruising Utopia, Muñoz analyse l’œuvre de l’artiste Tony Just. En 1994, Just commence à repérer à New York des toilettes délabrées qui ont été des lieux où se pratiquaient le sexe en public, fermées pendant la crise de santé publique du SIDA. Les photographies, écrit Muñoz, « can only be described as a ghostly aura, an otherworldly glow » (Muñoz 2009, 40-41). La « ghostly materiality » (Muñoz 2009, 41) enregistre l’absence et la présence fantomatique du sexe dans ces lieux, intimement liées aux structures nostalgiques des sentiments qui hantent la mémoire des homosexuels. Muñoz met en garde contre le travail de préparation de l’artiste qui a servi à la production des photographies, un « labor of scrubbing and sanitizing » (Muñoz 2009, 40). Dans leur introduction à l’ouvrage posthume de Muñoz, The Sense of Brown, les éditeurs Joshua Chambers-Letson et Tavia Nyong’o soulignent la « brownness of the utopian impulse » (Chabers-Letson and Nyong’o 2020, xi), cruciale pour comprendre l’œuvre de Muñoz. Les auteurs font ainsi remarquer que le travail de Just, qui consiste à assainir, à frotter et à nettoyer, révèle la manière dont la mémoire homosexuelle est blanchie. Il transcrit l’histoire queer « through negation, through a process of erasure that redoubles and marks the systematic erasure of minoritarian histories » (Chabers-Letson and Nyong’o 2020, xxvi). En 2000, un groupe de jeunes queers racisé·e·s réalisent un documentaire intitulé Fenced out (2001). Ce film de 28 minutes, imaginé, tourné, réalisé et monté par les·participant·e·s du projet FIERCE, interroge les récents développements du Waterfront. À partir des années 1980, la ville de New York associe les quais au désordre et la criminalité et entame la transformation du paysage des bâtiments abandonnés sur les quais qui aboutira à la création d’un jardin sur l’Hudson (Hudson river Park). Fenced out mobilise des images actuelles et des archives des quais ainsi que des entretiens avec des jeunes et des adultes. Les premiers sont les participants de ce projet, les seconds sont des militants plus âgés dont la vie a été intimement liée aux quais, offrant des témoignages du passé homosexuel de ce lieu. Les piers, en particulier le Christopher Street Pier, sont présentés comme un refuge pour les personnes rejetées par leurs familles et par une société raciste, homophobe et transphobe – « the only queer youth hangout area in the city » (FIERCE 2001, 3:26 min) qui permet la libre expression de l’identité sexuelle, ainsi qu’une forme de sécurité et de communauté. Dans ce documentaire, l’avenir des quais apparaît comme menacé – les acteurs imaginent sa disparition. « It’s going to be transformed into a green and blue oasis for all of New York to enjoy – except for us of course » (Ibid., 4:03 min), déclare une voix hors-champ sur une vidéo de l’Hudson River Park. Déjà à cette époque, la forte surveillance policière avait mis en danger la vie se déroulant sur les quais. Les images montrent un policier s’adressant à un groupe de jeunes queer of color et leur demandant de quitter les lieux : « You can walk end to end, but you cannot stop here and hang out. […] The local community around here has been complaining about litter, the noise, and everything else that is going around here » (Ibid., 5:11 min). Par cette expression de « communauté locale », l’officier de police fait référence à Greenwich Village, un quartier gai blanc qui, à bien des égards, reflète une politique gaie homonormalisatrice faite de respectabilité et d’assimilation. Parmi les personnes adultes interrogées pour le documentaire figurent Bob Kohler, Willy Ninja et Silvia Rivera. Bob Kohler, membre du Front de libération gai, représente une voix de la mémoire gaie blanche. Il se souvient d’une époque où les quais étaient « bondés », où les gens se promenaient nus, prenaient des bains de soleil et faisaient l’amour. Willy Ninja, pionnier de la vogueing – membre de la communauté des ballhouses et protagoniste du documentaire de Jenny Livingston de 1990, Paris Is Burning – se souvient d’une époque où les quais n’étaient pas encore sous le contrôle de l’État : « The one place where the cops didn’t have control was down here on the pier. » (Ibid., 13:17 min) La communauté des ballhouses fréquentait assidument Washington Square au début des années 1980, avant que les habitants et la police ne repoussent les jeunes queer of color vers les quais afin de « nettoyer » la place (Manalansan IV 2005). Apparaît enfin Silvia Rivera, une des femmes de couleur trans à l’origine des émeutes de Stonewall, qui fut rapidement déçue du mouvement de libération gai en raison de sa transphobie et de son racisme (Hanhardt 2013). Elle partage ses souvenirs d’une époque où elle vivait sur les quais. Son témoignage contraste fortement avec la mémoire gaie et sa grammaire affective faite de nostalgie et de désir. Elle se souvient des quais différemment de Bob Kohler. Alors que les hommes homosexuels descendaient sur les quais « to have their flings » (FIERCE 2001, 8:39 min), pour Rivera, il s’agissait là d’un lieu de travail pour la communauté transgenre, et donc un lieu de survie. Le documentaire juxtapose ainsi d’anciennes images de Rivera dans sa maison sur les quais et des images actuelles des lieux. Elle déclare:
I remember when the Westside Highway was behind us and all these piers were old piers and white middle class men did have sex all times a day. This was their playground. […] But then, to turn the tides around people of color and the trans community I find completely unacceptable. (Ibid., 15:07 min)
Rivera exprime ainsi son indignation vis-à-vis de l’absence de solidarité et de considération des hommes homosexuels à l’égard non seulement des personnes de couleur transgenres, mais également des personnes sans domicile fixe atteintes du SIDA. Elle dénonce leur complicité dans le développement du Waterfront qui est apparu lorsque ce dernier est devenu leur « playground ». Ce n’est que lorsque les quais sont passés d’un lieu de sexe anonyme à un lieu de rassemblement social pour les queer of color qu’ont émergé les plaintes des résidents ayant encouragé la police à « nettoyer les quais » (Hanhardt 2013). La temporalité de la perte est ici asynchrone à celle du SIDA chez les homosexuels blancs. Ce n’est pas la crise du SIDA qui a effacé les intimités homosexuelles sur les quais, mais l’obsession racialiste de l’État à combattre le désordre, nourrie de la complicité des homosexuels blancs dans le quartier (Hanhardt 2013). L’histoire des quais à partir des années 1980 diverge des récits dans lesquels la crise du SIDA est considérée comme la cause principale de l’effacement d’une culture queer sur les quais. Ce que le documentaire subvertit est la forme de nostalgie qui glorifie une « culture de la possibilité sexuelle » disparue, dès lors qu’il redirige notre regard vers d’autres modes de vie propres aux quais émergeant de luttes pour la survie. Dans ce documentaire, au lieu des constructions de l’épidémie comme rupture catastrophique, on rencontre de nouvelles formes de soins et d’intimité émergeant au cœur et dans les marges de la maladie et du maintien de l’ordre. La possibilité d’autres intimités n’émerge pas exclusivement dans une « culture de la possibilité sexuelle », mais dans une « culture de la possibilité relationnelle ». Ce documentaire aborde ainsi la question de la nostalgie, en s’intéressant à la façon dont des temporalités marquées par ce sentiment finissent par rendre impossibles les projets d’amitié queer. Svetlana Boym définit la nostalgie « as a longing for a home that no longer exists or has never existed », en se référant aux deux racines grecques de ce mot, qui renvoient au « retour à la maison » et à l’« espérance ». En tant que sentiment, la nostalgie éveille à la fois la perte et le romantisme, en approfondissant un imaginaire particulier. La nostalgie est un sentiment éprouvé au présent, à travers lequel un sujet espère un retour impossible au passé. La mémoire nostalgique est toujours une simplification et une transfiguration ; c’est là un souvenir qui réduit le passé à ces éléments particuliers – une certaine structure qui construit l’objet de la nostalgie. En ce qui concerne la relation romantique ou familiale, par exemple, l’idée de fusion parfaite et d’harmonie – qu’elle se situe au début d’une relation amoureuse ou, de par une attente culturelle, dans un passé où la famille romantique aurait soi-disant existé – devient un imaginaire nostalgique. L’on peut ainsi dire que les temporalités de la nostalgie sont sous-jacentes aux scripts des relations familiales et romantiques (Berlant et Warner 2018). La relation romantique est tout aussi immobile que la nostalgie elle-même : il s’agit là d’un arrêt du temps visant à demeurer dans le passé. Le futur est ainsi en suspens, dès lors qu’une telle temporalité ne connait que la régression à un passé glorieux depuis un présent déficient. La nostalgie gaie et blanche que dévoile le documentaire révèle justement cette logique, et c’est pourquoi elle représente un script qui, s’il est différent de celui des relations romantiques, n’en est pas moins un script, fixe et immobile. Ce que nous voulons suggérer est que l’ouverture et l’absence de forme qui caractérisent l’amitié queer, reposent précisément sur une capacité à échapper aux formes de temporalités propre à la nostalgie. En d’autres termes, l’amitié queer échappe aux scripts lorsqu’elle échappe à leur temporalité uniforme. Au lieu de regretter un passé, elle met l’accent sur des possibilités relationnelles au présent et au futur. Saidiya Hartman utilise le terme de « fabulation » pour réfléchir aux formes de vie queer black émergentes qui résistent à leur assimilation par des temporalités homogénéisantes. La notion de fabulation critique de Hartman fait référence à une façon d’écrire des histoires contemporaines dans un espace se situant entre vérité et fiction – par des archives façonnées par la violence anti-noir qui rend impossible la récupération intégrale des histoires minoritaires (Hartman 2008). L’écriture ainsi envisagée converge avec les formes de désir s’attachant à ces histoires, ou aux formes d’intimité, conçues à travers le temps et l’espace qui animent les luttes dans le présent. Dans son dernier livre, Wayward Lives, Beautiful Experiments, Hartman utilise cette méthode pour raconter l’histoire de jeunes femmes noires qui, au début du siècle, s’insurgent contre les configurations dominantes d’intimité et leur appareil (re)productif sous-jacent (Hartman 2019, xiii). Elle raconte les « beautiful experiments » que ces femmes vivaient – écrites « from the nowhere of the ghetto and the nowhere of utopia » (Ibid., xiii). Selon Hartman, ces jeunes femmes noires sont des amantes libres, radicales et anarchistes qui cherchaient à déployer la vie intime noire au-delà de la domesticité, de la monogamie, du travail et des valeurs familiales (Ibid., xv). Elles s’accordaient sur leur refus d’être gouvernées et travaillaient de manière inlassable à imaginer d’autres façons de vivre et d’aimer, en insistant sur la possibilité d’un autre monde. Hartman subvertit le regard de l’État en repoussant les limites des documents qu’elle a récoltés dans les archives, cherchant à :
untether waywardness, refusal, mutual aid, and free love from their identification as deviance, criminality, and pathology; to affirm free motherhood (reproductive choice), intimacy outside the institution of marriage, and queer and outlaw passions; and to illuminate the radical imagination and everyday anarchy of ordinary colored girls, which has not only been overlooked, but is nearly unimaginable. (Hartman 2019, xiv)
Leur vie a été et continue d’être niée. Là où les fonctionnaires étatiques voyaient le désordre et la misère, Hartman voit la création et la révolution. Elle s’interroge sur ce que nous définissons comme résistance, ainsi que sur la manière de la situer dans l’espace et le temps. Quels corps estimons-nous capables de mener une politique radicale ? Au cœur de son étude, Hartman place la figure du wayward comme protagoniste de la politique queer noire. Elle écrit : « Wayward, related to the family of words: errant, fugitive, recalcitrant, anarchic, willful, reckless, troublesome, riotous, tumultuous, rebellious and wild » (Ibid., 227). Les waywards aspirent à un monde où elles ne subissent plus le joug d’un maitre, des hommes ou de la police, pratiquant le social autrement, développant de nouvelles possibilités et de nouveaux vocabulaires (Ibid.). En même temps, le wayward désigne une manière de se déplacer dans l’espace sans se soumettre à la réglementation : dériver, errer, rechercher, etc. L’œuvre de Hartman est une exploration des formes d’intimité révolutionnaires et des manières anarchistes d’aimer et de transformer profondément la société : « It explores the utopian longings and the promise of a future world that resided in waywardness and the refusal to be governed » (Hartman 2019, xv). Refuser d’être gouverné·e·s signifie devoir inventer et entretenir des relations qui ne suivent pas les scripts établis et les formules toutes faites. Queerness désigne une relation indisciplinée, désordonnée et sans forme. Dans sa lecture de l’archive des quais, Halberstam se tourne vers l’architecte et artiste Gordon Matta-Clark pour élaborer un langage anarchiste queer. Matta-Clark crée l’œuvre la plus importante de sa carrière artistique au cours de l’été 1975 dans l’un des bâtiments des quais. Le Pier 52 était abandonné au bord de l’Hudson et était surtout fréquenté par des hommes qui pratiquaient le BDSM. En toute illégalité, il a pratiqué cinq ouvertures dans le bâtiment, permettant à la lumière et à l’air de pénétrer dans le vaste espace sombre. Les orifices ainsi créés dans les murs et les plates-formes permettaient de suivre la course du soleil tout au long de la journée, d’une mince bande le matin se gonflant jusqu’à son plein rayonnement pendant la journée. Le titre Day’s End fait allusion à la progression temporelle de la lumière à travers l’espace. Day’s End fait partie d’un programme artistique que Matta-Clark appelle « anarchitecture », qui ne consiste pas à construire, mais plutôt à déconstruire. « If architecture is a structural grammar for organizing space and situating bodies in it », écrit Halberstam, « then anarchitecture is premised on the exposure of those logics, and their destruction » (Halberstam 2018). Ses coupes créaient ainsi des fissures dans un système sans le détruire complètement. La performance anarchitecturale, selon Halberstam, insiste sur « what is not there, what has been removed, what is lacking, what has been destroyed, erased, or blacked out in order to look permanent » (Ibid.). Halberstam propose de mobiliser Day’s End dans le but d’une critique queer de l’ordre existant. L’anarchitecture « resists mastery, refuses to build, and finds other ways to alter the environments we move through », écrit Halberstam (Ibid.). Elle rejette la désorientation, voire le désordre. Au lieu de poursuivre une politique d’inclusion qui cherche à modifier un ordre existant – et de continuer d’échouer encore et encore – nous devrions envisager une politique de l’inaction. Nous laissons notre lectrice·teur sans conclusion, sans clôture au sens strict, mais plutôt avec une ouverture. En un sens, cet article, tout comme l’entretien de Foucault dont nous sommes partis, gravite autour de ce que l’amitié queer n’est pas. Elle n’est pas une relation fusionnelle, romantique ou sexuelle. Elle ne révèle pas non plus de l’ordre ou de la fixité. Enfin, elle ne cède pas à la nostalgie. L’amitié est, ou pourrait être, une relation désobéissante se déroulant au-delà des scripts. Elle est donc imprescriptible. Comme nous espérons l’avoir montré à partir de la lecture de Delany, l’amitié constitue une forme d’intimité anxieuse. Elle est anxieuse parce qu’elle signale l’irruption de quelque chose de nouveau, de quelque chose de désordonné, qui ne se laisse pas assimiler par les scripts trop connus. L’amitié queer s’épanouit dans les interstices, dans les marges des relations institutionnalisées, comme le montre la vie queer noire se déployant sur les piers. Cependant, elle est bien plus que marginale : elle s’étend et se multiplie, crée et fabule. L’amitié queer s’ouvre sur d’infinies possibilités. Les auteurs remercient Leyla Sophie Gleissner, Romane Guillo, Ségolène Guinard, Fine Hetterich, Lucas LaRochelle, Ramzi Nimr, Alejandro Polanco, et les lecteur·ices anonym·e·s pour leur aide précieuse et leurs commentaires indispensables lors du processus de révision.