Entre saudade poétique et préjugé social
L’image du Portugal en France
1. Entre ignorance et indifférence
Lorsqu’on évoque le Portugal et les Portugais en France, une série de clichés apparaissent, du plus grossier au plus sophistiqué : face à la Maria femme de ménage affublée d’un système pileux surdéveloppé, accompagnée de sa valise en carton et qui répond au téléphone « la Madame elle est chortie », à son mari (Manuel ou José) maçon de petite taille qui se nourrit de sardines grillées ou de morue et qui forment un couple de catholiques fervents dont les seules distractions sont le foot et le folklore, d’inlassables travailleurs menant ici une vie pingre afin d’économiser pour acheter là-bas la maison. Face à ces images très socialement connotées du Portugais gentil esclave intégré par le silence, en existent d’autres presque à l’opposé, celles du peuple de poètes qui s’adonnent à une langoureuse « saudade » d’où émergent les emblématiques Fernando Pessoa pour la rime et Amália Rodrigues pour la voix…
Avant d’être moi-même accusée de faire le cliché des clichés, il me faut admettre que je vais un peu vite en besogne, qu’il nous faut actualiser le tableau et, tout d’abord, rapidement le mettre en perspective dans le temps, afin de cerner ces images préjugées, de leur apparition à leur potentielle évolution. Entre image perçue et image émise, comment le cliché s’est-il constitué ? Comment délimiter l’origine et l’aboutissement du préjugé ? En quoi la « victime » du cliché est-elle responsable de sa création ? Le cliché est-il immuable ou évolue-t-il ?
Lorsqu’il évoque les relations franco-portugaises, il y a deux décennies, Eduardo Lourenço les considère comme un des cas flagrants « d’asymétrie » intellectuelle 1. Les chercheurs qui se sont intéressés au sujet ont, le plus souvent, signalé « ignorance » et « indifférence ». Ils ont en tout cas, depuis toujours, constaté la dépendance du Portugal vis-à-vis de l’Espagne. La situation géographique y étant sûrement pour quelque chose : l’Espagne et la barrière des Pyrénées constituent une sorte de mur qui repousse cette partie de la péninsule Ibérique vers son destin maritime et la coupe du reste de l’Europe. Ainsi, pour le Français du XVIIIe siècle, le Portugais n’est qu’un double de l’Espagnol, ou mieux, son pâle reflet. La confusion entre les deux contrées (au détriment de la première) est même très courante. Les Français ont, au long des siècles, des difficultés à cerner l’espace géographique portugais et font souvent coïncider « ibérisme » et « hispanisme », laissant dans l’ombre la « lusitanité » face à une « hispanité multiforme ». « Non seulement le Français connaît mal le paysage et le peuple portugais, comme il ignore complètement la langue portugaise, généralement considérée comme une espèce de « patois castillan » »(Pageaux 1984 : 27).
Au début du XXe siècle, perdure en France l’idée superficielle d’un Portugal aux douces mœurs, pays plein de rêverie joyeuse : « les Portugais sont toujours gais », dit en 1910 un des couplets de Le jour et la nuit, écrit par Charles Lecoq, l’auteur de La fille de Madame Angot. La même année, Henri Lavedan de l’Académie Française 2 évoque « cet aimable royaume » (alors qu’est précisément instaurée la première République portugaise) en y mêlant Camões, Vasco de Gama, Cintra, Belém et l’agrémente du « parfum de l’orange » et des « cordes d’une vieille harpe » qui accompagnent le fleuve Tage. Que dire des Lavandières du Portugal 3 qui en 1955, dans un fatras exotique espagnolisant, émoustillent « va-nu-pieds » et « vieil hidalgo » en buvant du « xérès » ? Alors qu’artistes et intellectuels portugais vouent une véritable dévotion à Paris— c’est ce décor, déjà si présent dans sa poésie, qu’un des fleurons du « premier modernisme portugais », Mário de Sá-Carneiro, choisira pour son suicide en 1916. Alors que les Portugais ont donné leur tribut à la France lors de la Première Guerre Mondiale, l’inégalité relationnelle entre les deux pays semble ancrée, perpétuant du Portugal une image superficielle et confuse, propice au préjugé.
2. Le voile de la dictature
La dictature mise en place en mai 1926 et qui s’incruste jusqu’à 1974 va encore brouiller les cartes. Nommé Ministre des finances en 1928, Président du conseil en 1930, António de Oliveira Salazar va tenir les rennes du pouvoir pendant 40 ans (il quitte le gouvernement en 1968 pour raison de santé et meurt en 1970) ; son État Nouveau (Estado Novo), assis sur un système de surveillance très organisé, est servi par un Secrétariat National de Propagande (SPN, Secretariado de Propaganda Nacional) qui équilibre judicieusement endoctrinement intra muros et image extérieure distillée. De nombreux écrits (brochures, livres) seront diffusés hors frontières afin de donner du Portugal salazariste une image favorable et univoque. Parmi les exemples incontournables, Salazar, le Portugal et son chef, d’après les interviews d’António Ferro (qui dirigeait les services de propagande), ouvrage gratifié d’une préface de Paul Valéry qui fut payé pour rendre hommage au dictateur portugais. Ici est colportée l’image d’un peuple portugais pacifique, soumis et travailleur ; en somme un peuple qui suit à la lettre la maxime salazariste « Dieu-Patrie-Famille » si proche de celle de Pétain, « Travail-Famille-Patrie ». La comparaison n’échappe pas à une droite française « salazarophile » dont Henri Massis est une des têtes de proue, qui voit dans l’État Nouveau le véritable idéal à suivre. Ce pays, décrit comme si ordonné, apparaît comme une oasis de paix dans un monde perturbé par un conflit qui va durer :
[…] Dans une Europe nerveuse, hypertendue, le Portugal est encore aujourd’hui une île de douceur et d’enchantement », idéalise Émile Schreiber qui précise que Salazar « n’est ni militariste, ni impérialiste, il préfère que son pays ressemble à une maison blanche et ensoleillée avec un petit jardin soigné (Schreiber 1938 : 42).
Cet intérêt très orienté est contrecarré par quelques voix discordantes, dont celles de Georges Bernanos, Louis-Martin Serrano, Christian Rudel et de Simone de Beauvoir qui, dans Les mandarins, évoque un Portugal au soleil trompeur ne dissimulant pas la réalité sociale et politique d’un pays étouffé par une main de fer dans un gant de velours. Mais, dans les années cinquante, une nouvelle vague de conservateurs admiratifs de Salazar reconduit la carte postale qui contribue à falsifier l’image réelle du Portugal ; ainsi, Christine Garnier dans Vacances avec Salazar où on cherche en vain le pays concret, ses vrais problèmes, la nature du régime autoritaire et répressif qui le bâillonne, son retard et ses difficultés.
Dans le même temps, le SPN, devenu Secrétariat National d’Information (SNI, Secretariado de Informação National) continue sa campagne d’authentique publicité extérieure du régime salazariste, contribuant à pérenniser une image falsifiée du pays : entre le mythe des découvertes, le passé prestigieux et un présent très politiquement conditionné. Ainsi, dans Portugal, notes et images, le SNI résume en énoncés brefs la culture, le territoire, l’histoire du pays, avec une iconographie importante. « Le peuple portugais est l’un des plus homogènes d’Europe, malgré les variétés régionales qu’il présente. De petite taille, peau et cheveux sombres, crâne allongé, il prend place dans ce que l’on appelle la race méditerranéenne » (SNI 1952 : 10). En dehors des dérives de « race » liées au contexte de la dictature (et qui en rappelle d’autres qui, plus extrêmes, vont plonger l’Europe en des temps bien sombres pour l’humanité), remarquons la typologie physique indiquée qui n’est pas si loin du cliché colporté jusqu’à nos jours et auquel on réduit l’apparence des Portugais. L’iconographie en annexe est là comme pour corroborer cette description : plusieurs photos en noir et blanc (très belles, d’ailleurs) d’hommes et de femmes du peuple des différentes régions du Portugal et annoncés comme « types » régionaux. Les personnes sont présentées en des costumes qui fleurent le folklore ; certaines comme en exhibition, s’activent au labeur quotidien (pêcheurs, paysans). En en-tête le titre « population » veut englober l’image des Portugais (parmi lesquels on remarque d’ailleurs quelques femmes aux allures slaves : cheveux blonds, yeux clairs ; ce qui fait mentir la présentation de « race méditerranéenne » du début) en un peuple finalement homogénéisé par le courage au travail.
Sans cesse est rappelée « l’unité de sentiment et de culture qui rapproche les descendants des Portugais de quatre continents et même les indigènes qu’ils ont appelés à la civilisation » (SNI 1952 : 11), bel euphémisme pour définir la colonisation… On souligne maintes fois les racines chrétiennes du pays et les nombreuses évocations des « lusitaniens aguerris et jaloux de leur indépendance », ayant pour « chef » Viriathe « considéré comme un lointain héros national » (SNI 1952 : 14), avec lequel Salazar s’identifiera d’ailleurs pour asseoir son pouvoir dans une lignée traditionnelle. Le passé prestigieux des découvertes maritimes est mis en avant pour symboliser un pays qui, quoique petit d’apparence, est présenté comme un « empire de 20 000 000 d’habitants » avec « une forte colonie portugaise aux États-Unis et au Brésil (au total, environ 70 000 000 de personnes) » (SNI 1952 : 10). La « vieille Lusitanie » est aussi glorifiée pour son « lyrisme péninsulaire », comme est évoqué « le plus profond et intime sentiment portugais : la saudade, cette présence dans l’absence qui n’est donnée qu’aux Portugais […] » (SNI 1952 : 23).
Sans allonger la liste des citations, il est important de noter en quels termes le reflet du Portugal a été propagé à l’étranger durant les années de dictature (48 ans) ; des traces sont visiblement restées de tout cela, tant dans l’image émise que celle reçue. Nous avons, dans une étude plus longue, pu analyser la capacité de persuasion du salazarisme, la façon dont il s’est introduit dans les êtres, contrôlant corps et esprits (Dos Santos 2002 : 263-274). Libérés de l’étau le 25 avril 1974, les Portugais ont dû apprendre à vivre « libres », car la censure, la surveillance, la propagande sont des guides comportementaux auxquels on s’habitue, tour à tour en les subissant ou en tentant de leur résister. Après bientôt trente ans de démocratie, le Portugal n’a pas encore terminé d’analyser les archives de cette période récente que les historiens traitent dans de nombreux ouvrages (la masse éditoriale sur ces thèmes est éloquente). La tâche est complexe, car comme on a pu le voir, le salazarisme s’est accaparé une terminologie, a interprété l’histoire nationale selon son idéologie : il faut à la fois redéfinir les termes pour formuler le présent et se réapproprier la mémoire du passé.
3. Adolescents à la recherche d’un corps
« Tout à coup, nous voilà redevenus adolescents à la recherche d’un corps, notre corps ; des adolescents qui lentement arpentent leur adolescence, des enfants nouveaux marqués par « esta coisa da alma » (Ce quelque chose de l’âme, titre du dernier disque du chanteur de fado Camané) ». Ces propos de l’écrivain Jacinto Lucas Pires, né précisément le 25 avril 1974, sont emblématiques du décalage du pays réel face à l’image projetée. « Nous sommes vieux (portant encore la blessure d’une profondeur étrange, d’une certaine pesanteur), mais neufs aussi, parce qu’au Portugal, à la différence des autres pays, le neuf est toujours possible […] ». Nous sommes loin des lectures simplistes ou univoques. Et lorsqu’on lui demande de définir « la portugalité » à partir d’emblèmes tels que la sardine, la saudade ou le fado, ses définitions sont ouvertes sur un horizon de probabilités, à l’envers du cliché…
« Ainsi plantés là, nous avons un problème avec le présent, avec le temps au présent. Le passé, même si tout n’a pas été réglé, est devenu celui des livres d’histoire, et le futur est un souvenir imprécis devant nous, un rêve de brume émaillé d’expos et de coupes d’Europe de football, un signe visible malgré tout. […] une nostalgie traversée par des autoroutes », ajoute-t-il mêlant événements récents et sentiments connus (Pires 2000 : 40).
Quel chemin entre les idées des années cinquante et celles de l’an 2000 ! Entre-temps, les faits ont, si ce n’est transformé, au moins déplacé certains préjugés. Si la grande vague d’émigration portugaise des années soixante a tendance à générer en France (et au Portugal aussi, d’ailleurs) un regard méprisant sur la génération de maçons et de femmes de ménage, allant parfois jusqu’à identifier nationalité, culture et milieu social, la Révolution des œillets vient placer le Portugal au premier plan de l’actualité internationale. C’est, au XXe siècle, le moment où certaines plumes françaises différencient enfin les deux pays composant la péninsule Ibérique et le début d’une vague touristique de gauche, comme en réponse à celle de droite des décennies précédentes. L’adhésion du Portugal à la Communauté Économique Européenne en 1986 transforme les regards qui passent de l’étonnement utopiste à l’habitude : « Une représentation différente se construit, celle d’un pays devenu politiquement banal, dont on parle donc moins souvent […] » (Boisvert 1992 : 126). Au début de la décennie, les journaux parlent « d’avenir bouché », « d’œillets fanés », ils soulignent l’analphabétisme, l’exploitation du travail des enfants, l’archaïsme de certaines zones rurales, bref les retards d’un pays usé par 48 ans de dictature, qui a du mal à retrouver son souffle. Mais, les réserves exprimées lorsque le Portugal sollicite son admission dans la CEE s’atténuent lorsque le pays atteint une certaine stabilité politique et économique, au prix de sévères mesures d’austérité, et on parle alors de « bon élève de l’Europe », « d’attrait pour les investisseurs et les touristes ». En même temps, un intérêt grandissant se manifeste pour les aspects culturels et les événements de cette teneur (cinéma, expositions, spectacles…) sont plus souvent relatés. Par ailleurs, la connaissance de la littérature se développe et les traductions françaises d’ouvrages portugais sont signalées dans la presse.
4. Une fin de siècle remarquée
L’Exposition Internationale de 1998 (dite Expo 98) puis le Salon du livre de Paris, où le Portugal est l’invité d’honneur en mars 2000, sont l’occasion de nombreux dossiers et articles consacrés, pour l’Expo, à la capitale portugaise et, pour le Salon, à la littérature. Tournée vers les océans, l’Expo 98 reprend jusqu’à plus soif la mythologie des découvertes (le Pont Vasco de Gama, souligné comme le plus grand d’Europe parachève le paradoxe : modernité et repli sur le passé). « Il y a au Portugal une tendance à historiciser tout ce qu’on touche », reconnaît Eduardo Prado Coelho, commissaire du Salon du livre, pour ensuite s’inscrire en porte-à-faux contre les clichés de la saudade et des découvertes (Libération : XII). Il n’empêche, entre déclaration d’intentions et réalité, l’habitude est tenace : « Nous avons une espèce de nostalgie d’un Empire, pas de l’empire matériel mais d’avoir traversé les grands espaces », dit Luisa Costa Gomez ; « La France est un grand pays dont la réalité lui suffit pour exister, alors que le Portugal est moins sûr de son réel et il a senti plus dramatiquement l’idée de la perte », ajoute João de Melo (Libération : XIV) comme pour excuser le repli sur le passé prestigieux.
Les clichés sont tenaces, même quand on veut s’en séparer. « L’image traditionnelle de la vieille dame en noir marchant dans les rues de l’Alfama et des chanteurs de fado, les Lisboètes en ont assez ! » Cette affirmation catégorique du supplément sur Lisbonne édité par Géo (mai 1998) est suivie des signes de modernité de la capitale portugaise : la ville détient le record européen du nombre de téléphones portables par habitant et elle est fière de posséder Colombo, le plus grand centre commercial d’Europe. Pourtant, quelques pages plus loin, le journal nous dépeint les vieux quartiers de Lisbonne avec « des maisonnettes », où l’on « aperçoit parfois une jeune femme, enveloppée dans un châle, courbée sur un petit lavoir […] sous l’œil d’une mamie figée à sa fenêtre » (tous ces diminutifs du pittoresque sont en totale opposition avec l’ampleur de la modernité d’abord annoncée), puis consacre de nombreuses pages au « fado qui court les rues de Lisbonne » (Géo : 13).
Ailleurs, on rend hommage à la « terre de poètes, un espace de création poétique » (L’Humanité : 13) ; et c’est vers Fernando Pessoa qu’on se tourne maintenant : « Tout Lisbonne est dans l’œuvre éclatée du Livre de l’intranquillité » (La Croix : 17). Et la description de la capitale portugaise est une vraie page d’anthologie du cliché qui enferme la ville dans la saudade et le fado : « D’un troquet du Barrio Alto (ici en espagnol, puisqu’en portugais en dit « bairro »), caché dans l’une de ces ruelles écorchées aux façades délavées, filtrent quelques notes, quelques mots. Ceux que les Lisboètes, les marins, ont un soir de départ troqué contre leurs sanglots. Lisbonne n’est rien sans lui. Le fado. Ce chant du large, inquiet et douloureux, qui dit les tourments de l’âme, la saudade, douleur de l’exil et de la séparation. Le fado, musique des âmes cassées et des blessures mal pansées, donne le ton, le la » (La Croix : 17). L’Express prétend, lui, montrer une Lisbonne entre « movida » nocturne (encore un mot espagnol pour évoquer le contexte portugais) et tradition revisitée (celle du « nouveau fado » ; mais l’empressement rénovateur du journal est peu crédible quand les fautes d’orthographe pullulent : le réalisateur João Canijo est ici « Canejo » et aurait réalisé Sapatos prestos au lieu de « pretos », le groupe de musique Os Delfins devient « Dolfins », la galerie alternative ZDB (Zé Dos Bois) est ici « Dos Bots » (L’Express, le magazine : 8-12). « L’ignorance de la langue portugaise une des grandes constantes culturelles de la France », remarquait déjà Daniel-Henri Pageaux (1984 : 27) qui donnait l’exemple de Rafael Bluteau qui se plaignait des innombrables coquilles faites par les typographes français dans son Vocabulaire portugais (Vocabulário portuguez) au début du XVIIIe siècle.
5. Entre cliché et publicité
« […] On a voulu continuer de donner du « Portugal pépère » l’image d’un pays, petit et si joli, de poètes et de nostalgiques ! », critique Michel Cahen au sujet du Salon du livre de mars 2000. Le chercheur s’insurge également, à l’instar d’Antonio Tabucchi 4 contre « la langue littéraire faite « patrie » et par ce biais, de la lusophonie faite dilatation de la lusitanité » (terminologie rappelant effectivement les brochures du SNI des années cinquante !). « Pourquoi se conformer toujours, en quelque sorte, à cette belle publicité du Porto Cruz – une femme toute de noir vêtue se détachant sur un fond mural éclatant de couleur – et illustrant le signifiant :« Portugal, le pays où le noir est couleur », à savoir la vision archaïsante des années cinquante », martèle encore Michel Cahen (2000 : 763). L’auteur n’aura sans doute pas apprécié la revue parisienne Zurban de juin dernier qui arborait précisément en couverture, sous le titre « Le Portugal s’emballe », une des versions de la publicité qu’il critiquait justement. À l’intérieur, le court article, qui veut montrer que les Portugais de Paris veulent fuir les vieux clichés, évoque quand même le foot programmé sur le parvis de l’hôtel de ville, une messe à Notre-Dame et du fado : les trois « F », en somme Foot/Fado/Fatima (requis par le salazarisme !). Les poncifs sont collants ! Et que dire du nouveau terme usité pour qualifier les fils d’immigrés ? Ils ne ont plus « d’origine portugaise » ou appartenant à telle ou telle génération issue de l’immigration portugaise ; ils sont « lusodescendants », descendants de Viriathe, chef des Lusitaniens, en somme… Quelle promotion ! Mais est-ce là la bonne façon de se défaire du cliché des parents femmes de ménage et maçons ? Du reste c’était effectivement en France le premier gagne pain de la première génération. Ce qu’il manque, sans doute, ce sont des évocations de ces années-là autrement que par des Valise en carton 5 ; des récits réhabilitant une réalité faite du vécu d’une génération que l’on veut jeter à la trappe sous prétexte d’éviter les clichés. Il manque à l’immigration portugaise un traitement noble de son histoire comme la saga que Cavanna a consacré aux Italiens, Les ritals, par exemple.
Méfions-nous en tout cas de terminologies véhiculant à notre insu un passé funeste pour le Portugal et pour l’histoire culturelle européenne. L’image d’une culture, d’une nation, d’un peuple, pour éviter le cliché, ne peut être que complexe et ouverte sur un horizon de propositions, telle celle proposée par le romancier Jacinto Lucas Pires pour définir la « portugalité » : « C’est un sujet inépuisable. D’après moi, un peuple est un corps avec un miroir en son centre. Eh bien, si ce corps se met à se regarder dans le miroir, le miroir qu’il porte en son centre va lui renvoyer des images d’autres corps qui eux aussi partent d’autres corps en leur centre, et ainsi de suite, jusqu’à l’infini. Bien que « jusqu’à » et « infini » soient des termes assez contradictoires… Bon, excusez-moi » (Pires 2000 : 42).
- 1Lors d’un colloque international, consacré aux relations franco-portugaises réalisées en 1982 à Paris par la Fondation Calouste Gulbenkian.
- 2L’Illustration
- 3Paroles de Roger Lucchesi, musique d’André Popp.
- 4Dans Le Monde du 18 mars 2000.
- 5Autobiographie de Linda de Suza ayant défrayé la chronique en France, durant les années quatre-vingt.