Qui aime ? Qui enseigne ?

Disons que l’histoire débute ainsi. L’étudiante a dix-huit ans. Elle suit un cours de théorie littéraire. Elle est assise au milieu de la salle de classe. Devant, il y a un homme. Il est brun et très grand. Il n’est pas beau mais il a du style, le genre de celui qui s’en fout mais qui s’assure de toujours porter le même genre de vêtements, quelque chose comme un uniforme. Il est reconnu comme étant la star du département, le jeune prodige qui sait tout faire, de la théorie et des romans, qui éblouit avec son savoir et son humour, et aussi cette manière qu’il a, nonchalante, qui transparait dans ses mouvements et se traduit dans son enseignement. Pendant la pause, il descend au café avec les étudiants. Il les écoute, leur donne des conseils, sur quoi lire et comment être, en buvant un jus de fruits. Il est juste assez excentrique pour être charmant.

Il commence chaque séance de cours en distribuant des dépliants d’Amnistie internationale et en faisant circuler des romans. Il parle de littérature avec passion. Quand il écrit au tableau noir, il ne fait pas attention à la largeur du tableau et finit la phrase qu’il a commencée sur l’ardoise directement sur le mur. Il fait son spectacle devant cinquante paires d’yeux ouverts tous plus grands les uns que les autres. L’étudiante le fixe, curieuse, intriguée, un peu sidérée.

Elle ne sait plus qui, de lui ou d’elle, a commencé cet échange, mais elle sait qu’à un moment donné, leurs regards se sont croisés et se sont arrêtés l’un sur l’autre un peu trop longtemps, avec un peu trop d’insistance. Bientôt, il lui suggère de passer le voir à son bureau. Elle est flattée.

La première fois, elle ne sait plus pourquoi, mais il lui sort un livre. Rien n’est souligné, les coins ne sont pas écornés. Elle remarque qu’il fait une liste des pages importantes à la toute fin du livre. De cette fois-là, elle se souvient qu’il a parlé longtemps, et surtout de lui, pour raconter sa vie et présenter ses diverses publications. Elle se souvient l’avoir trouvé légèrement arrogant, soudainement, et un peu ennuyant, et pourtant elle est revenue, curieuse, intriguée, émue… émue parce que dans l’impression qu’elle avait été élue. Le bureau a cédé la place à un restaurant, puis à un autre où il commandait du thé à la menthe en soulignant, bien sûr, en jouant Freud, le jeu de mot qu’il venait de faire : du thé à l’amante. Elle l’envoie sur les roses, se moque un peu de lui, mais pas trop parce qu’il l’intimide, qu’au fond elle ne sait plus si elle doit trouver ça séduisant, inquiétant ou rigolo.

Il ne lui parle plus seulement de lui, désormais, il se met à discourir sur elle, lui dit comment il la voit, ce qu’il pressent, comme s’il la connaissait vraiment. Souvent, maintenant, elle baisse les yeux devant lui en rougissant. Un jour, il l’attrape et l’embrasse dans son bureau. Elle ne sait pas comment il en est arrivé là. Elle ne se souvient pas d’avoir fait, elle, les premiers pas. De ce baiser, elle ne tire pas de plaisir, comme choquée de sentir sous ses mains le corps d’un homme plus âgé. Plus tard, il l’embrassera encore, puis, rapidement, proposera de pousser l’initiation plus loin, le lit comme une extension du tableau noir. Elle refusera, de crainte de le décevoir. Elle refusera, malgré la crainte de le décevoir.

Il parle souvent de sexualité, il en parle avec cette aisance des hommes d’expérience. Et elle a beau sortir son sarcasme et son ironie pour tenter de le remettre à sa place, toujours, il réussit à dévier. Il est habile, adroit. Il a de l’expérience. Elle a dix-huit ans, il en a quarante. Il est marié, il a deux enfants, le milieu est petit, elle croise son épouse lors de conférences et de lancements. Elle n’est pas la seule, mais elle ne le sait pas encore. Elle le comprendra plus tard, en le voyant avec ses doctorantes, les corps trop proches, une main déposée sur le bras trop longtemps. Elle comprendra que les élues étaient nombreuses et que ça continue. Avec le temps, elle finira par comprendre, aussi, que le grand écrivain, le grand penseur n’était pas aussi grand qu’elle le croyait quand elle avait dix-huit ans. Elle le croisera régulièrement, au fil des années, et à chaque fois, il reprendra le flirt, émettra un commentaire lascif, tendra à nouveau la perche pour tenter de raviver la petite flamme avec laquelle il a déjà joué, niant à chaque fois qu’elle est devenue sa collègue.

Cette histoire, elle s’en souvient encore aujourd’hui, en détails, et elle s’en souviendra sans doute toute sa vie. Elle l’a mis dans le tiroir des premières amours et des premiers troubles. Elle se dit qu’elle a eu la chance de ne pas en être sortie meurtrie, de n’avoir succombé ni à lui, ni à la douleur de ne jamais vraiment l’avoir eu. Mais ce qu’elle sait, ce qu’elle porte, c’est le souvenir de s’être fait avoir, de s’être laissée croire que cette histoire, d’une manière ou d’une autre, pouvait être vraie.

Quand elle la raconte aujourd’hui, l’histoire se double d’un écho, se change en rumeur sourde. C’est une histoire des millions de fois racontées, une affaire des plus banales, un cliché ultra usé. Une scène tant de fois racontées qu’on ne sait plus quels mots choisir pour la dire. Une scène si commune que l’université ne la voit plus. On se bouche les oreilles et les yeux, on ferme les portes, on éteint les lumières. C’est une scène baillonnée.

***

Relation amoureuse entre un professeur et une étudiante, rapports sexuels, flirt, rapprochement, intimité, amitié, complicité, identification, collaboration, transfert, manipulation, abus de pouvoir, harcèlement, emprise, violence.

L’anglais, ici, est utile. Il permet de tout ramener à l’équation la plus simple en éliminant même le facteur du genre : teacher-student sex. Mais comme l’indique Tania Modleski, la norme implique un homme en position de supériorité et une femme en position de subordonnée, et le plus souvent, elle implique un abus de pouvoir. Mais personne ne veut parler de la norme, dit Modleski. L’histoire qu’on veut entendre, c’est celle du couple exceptionnel, celui dont les partenaires se sont trouvés et vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. Ça arrive souvent, clame-t-on, et ça marche ! Parce qu’il y a eu la relation de Martin Heidegger et Hannah Arendt, ou parce qu’on connaît tel professeur et telle étudiante, on refuse de prendre position. L’exception empêche de penser la norme (le trope) et la règle. Pourtant, le bonheur, dans ces cas, reste bien une exception. La norme, c’est le malheur. Comme l’écrit Yvon Rivard dans Aimer, enseigner :

Les histoires d’amour exceptionnelles […] ne sauraient justifier la « professionnalisation » du désir à des fins pédagogiques ou pseudo-révolutionnaires ni surtout faire oublier ces autres histoires d’amour, moins spectaculaires et aussi difficiles, qui unissent chastement professeurs et élèves dans le désir de découvrir ce qu’ils sont et ce qui est, ce qui les réunit en dehors d’eux-mêmes dans la vérité d’un « ça » irréductible à la seule pulsion sexuelle. (167-8)

On répondra souvent, aussi, que les rapports de pouvoir sont partout en société, et qu’en tant que féministes, nous sommes bien placées pour le savoir. Qu’aucune relation amoureuse (même égalitaire en termes de statut, de classe ou d’âge, même homosexuelle) n’en est dépourvue, et que dans cette perspective, le rapport professeur-étudiante n’est pas pire qu’un autre rapport.

Mais c’est justement là que le bât blesse. Ce rapport-là est pire parce qu’il intensifie le rapport de pouvoir. Le professeur supervise, corrige, évalue, fait partie du milieu dont l’étudiante elle-même fait partie en tant qu’étudiante et dont elle souhaite (dans bien des cas) faire partie à l’avenir comme chercheure, professeure. Le professeur fournit les contrats, ouvre la porte aux équipes et aux centres de recherche, facilite l’intégration dans des activités de colloques et de publications. Il siège aux comités d’attributions de bourses, à l’interne et à l’externe, dans les comités de rédaction de revues et de maisons d’édition. Il fait partie de comités d’embauche. Il représente tout ce que l’étudiante court le risque de perdre si elle se défile, résiste, s’oppose, refuse, dénonce…

Dans le mythe de l’exception, on parle de consentement : le couple est formé de deux adultes majeurs et vaccinés, des adultes consentants. Mais dans ce contexte, peut-on vraiment parler de consentement ? Le consentement est-il même possible ? (Je maintiens qu’on peut poser la question sans retirer son agentivité à l’étudiante – ce qui est l’argument donné par les détracteures des opposants aux relations intimes professeur-étudiante, comme si on devenait paternaliste envers l’étudiante.) C’est le contexte même qui annule, en quelque sorte, le consentement. Les menaces implicites (de représailles, d’accusation, d’isolement), le silence ambiant, le statu quo universitaire, mais aussi les avances faites à demi-mot, les insinuations, les regards, les messages ambigus, l’entre-les-lignes et le sous-texte qui accompagne tout (à quoi il faut maintenant ajouter l’interface des réseaux sociaux, no man’s land entre le public et le privé, les « j’aime » qu’on clique et autres semi-proximités en apparence anodines)… En somme, tout ce qui relève du flirt et qui demande à être interprété (puisque le message n’est pas clair) ; une façon de faire qui amène l’étudiante à douter de ce qu’elle comprend et qui la force dans un mutisme : on imagine mal une étudiante demander clairement à son professeur s’il est en train de la draguer…

Voilà ce qui met la table pour l’absence de consentement. On pourrait dire qu’en quelque sorte, le non-consentement, dans cette histoire, c’est le plancher.

Et on en fera porter l’odieux à l’étudiante. Comme dans toute bonne culture du viol, on l’accusera de l’avoir cherché, d’avoir usé de ses attributs pour séduire ou de vouloir profiter d’une proximité amoureuse pour avancer. Argument aux relents de pédophilie où ce sont les enfants qui sont accusés de séduire les adultes. Et aussi, reconduction de la figure de la vamp. Dans les lieux officiels, dans l’administration, on met en garde contre la paranoïa, l’exagération, le malentendu dont la responsabilité incombe généralement à celle sur qui les gestes (les regards, les demandes, les insinuations) sont tombés. À la manière de l’Oleanna de David Mamet où il devient impossible, au fil du dialogue entre le professeur et l’étudiante, de savoir qui dit vrai.
Reste toutefois un passage de cette pièce de théâtre qui résonne avec mes propos aujourd’hui. C’est Oleanna qui s’adresse à son professeur :

Savez-vous pourquoi vous avez travaillé ? Le Pouvoir. Pour le pouvoir. Vous comprenez ? Et vous vous asseyez là, et vous me racontez des histoires. Sur votre maison, sur les écoles privées, et sur vos privilèges, et sur les droits que cela vous donne. D’acheter, de dépenser, d’ironiser, de convoquer les gens. Toutes vos petites histoires. Votre culpabilité minable, tout, tout vient de vos privilèges ; et vous ne voulez pas le savoir. Vous fermez les yeux. (51)

C’est une question de pouvoir, oui, et de privilèges – au pluriel, comme l’écrit Mamet. D’intersection des privilèges.

L’université ne fonctionne pas en vase clos. Elle est branchée sur le monde, assise en pleine ville, au cœur de la société dont elle forme les citoyens qui en même temps la forment. Elle fait partie de cette culture où disparaissent des centaines de femmes amérindiennes sans qu’on ne dise quoi que ce soit. Cette culture où les femmes meurent aux mains de leurs ex-conjoints, où les voix masculinistes et anti-féministes se dressent pour banaliser, sans cesse, la violence contre les femmes et le sexisme ambiant. Une culture où les étudiantes seront victimes, sur les campus universitaires, de sexisme, d’intimidation et de violence. Les professeurs en donnent un bel exemple. Si ça leur est permis à eux, on ne voit pas pourquoi aux autres ce serait interdit.

Mais on accusera les féministes, l’enfer du politically correct, le puritanisme nord-américain. On accusera tout, sauf les responsables : ceux qui continuent à voir l’université comme leur terrain de jeu, et les étudiantes comme leurs jouets. « Ce n’est pas facile d’être professeur », dit l’un d’eux, « il y a tellement de belles filles autour ! »

Le site www.Goodreads compte plus de deux mille titres de romans ayant pour trame principale une histoire amoureuse entre un professeur et une étudiante. Parmi ceux-ci, des centaines de romances (écrites par des femmes) et quelques titres littéraires plus sérieux, signés par des hommes. Ce sont les histoires qui font que le rapport sexuel, amoureux entre un prof et une étudiante continue à faire frémir de plaisir, parce qu’on a intégré ce scénario comme faisant partie du mythe de l’éducation universitaire. On est coincé entre le rapport sexuel/séducteur/amoureux cheap, digne des romans harlequins les plus banals, et la grande histoire d’amour, l’étalon romantique qui se décline sur tous les modes, y compris universitaire. L’histoire interdite, clandestine, transgressive entre un professeur et son étudiante renvoie aux différences de classes style Love Story, aux conflits culturels style West Side Story, aux luttes de pouvoir comme dans Roméo et Juliette. Mais surtout, elle renvoie à cette hiérarchie économique liée au savoir et au goût, cette distinction que représente le professeur et qu’il promet à l’étudiante comme dans My Fair Lady.

L’amour universitaire n’a pas seulement à voir avec un interdit horizontal – « deux anciennes maisons réputées d’égale dignité dans la belle Véronne »… Il a à voir avec un interdit vertical : le professeur donne l’impression de tirer l’étudiante vers le haut, le savoir et l’argent, alors que dans les faits, il la laisse là où elle est. Parce que ce qu’il aime, justement, c’est ce pouvoir. Le pouvoir de l’argent, de la culture, du savoir, le pouvoir aussi des mots, comme ceux qui sortent de la bouche de Tchéky K., le professeur de littérature dans le roman autofictif de Marie-Sissi Labrèche, ancienne étudiante à la maîtrise en création littéraire, ici, à l’UQAM. Les mots d’un écrivain de 57 ans qui lance des invitations quand il en a envie :

Ah ! Je suis lessivé ! Veux-tu venir prendre une bière avec moi, Émilie-Kiki ? Ah ! J’ai faim ! Veux-tu qu’on aille manger, Émilie-Kiki ? Ah ! J’ai trop travaillé ! Veux-tu qu’on aille au cinéma, Émilie-Kiki ? […] Et je me dépêchais de finir les chapitres de mon essai pour le rencontrer, une heure dans son bureau à parler de lui […] il était son sujet de discussion préféré et il avait trouvé l’auditrice rêvée. (19)

Les mots d’un homme qui analyse la relation (« j’ai l’impression que c’est de l’inceste ») tout en l’organisant, qui la déconstruit tout en la maintenant. « Une fois qu’il a éjaculé sur mes seins, sur mon ventre, dans ma brèche ou dans ma bouche à coup de jets spectaculaires, on s’assoit dans le lit et on parle de théories littéraires » (49).

Qu’est-ce qui est vulgaire, ici, demande Yvon Rivard, le fait que la vie de l’étudiante soit devenue un film-porno, ou les discours du professeur qui l’a dénudée ? Que fait Labrèche sinon de montrer ce que ça veut dire quand un professeur baise son étudiante ?

On en parle, on raconte ces histoires sans arrêt, dans les couloirs de l’université. Mais sait-on vraiment ce que ça signifie ? Est-on vraiment capable de le voir ? « Je ne peux pas parler de ma relation avec mon prof de littérature, c’est une histoire cachée, un livre caché » (62), écrit Labrèche. Douce vengeance que celle de l’étudiante devenue écrivain et qui publie, dans un milieu qui tient dans la paume d’une main, une auto-fiction où elle décrit comment son professeur-écrivain la baisait. Elle écrit un roman à clé, et ce roman à clé révèle l’autre histoire qu’écrivent ces histoires de professeurs qui couchent avec leurs étudiantes : celle de la rumeur qui occupe les esprits curieux de savoir qui couche avec qui. Quel savoir est transmis quand l’université prend l’allure d’un journal à potins où on suit les mouvements de ses stars ? Parce que coucher avec les étudiantes, c’est aussi une façon de se hisser dans le firmament des vedettes. La people-isation universitaire en passe aussi par le lit.

Le professeur est « professeur de désir », comme l’écrit Yvon Rivard, dans une « recherche subventionnée de plaisirs » (31).

Rivard est un des seuls à avoir osé aborder, ici, la question des rapports professeurs-étudiantes. Dans son essai, il s’entoure de philosophes et d’écrivains pour tenter de penser ce qui se produit pendant une telle transgression, ce qui dérape par rapport à la transmission du savoir, et en quoi ça concerne la peur terrible, chez le professeur, de mourir. S’accrocher à soi en s’accrochant à l’autre. Survivre au prix de l’autre vie. Rivard établit un trait-d’union entre les prédateurs sexuels et les fossoyeurs intellectuels, mais ce qu’il pointe aussi, c’est la difficulté, pour le professeur, de tenir ce rôle, de le porter, de le défendre, ce qui veut dire (comme pour le parent devant l’enfant) de marquer une limite, de protéger une hiérarchie bienveillante à l’égard de l’étudiante. De donner, toujours, au lieu de prendre.

Rivard défend la littérature, y trouve la possibilité d’être humain. Il pose sur le lit universitaire, et certains collègues qui en ont profité, le regard du diagnostic compassionnel. Il abstrait la scène. Il philosophise à partir d’elle. Mais ce qu’il ne dit pas, ce sur quoi il fait l’impasse – même si ça traverse son essai étant donné les exemples qu’il puise chez Coetzee, Roth, et Labrèche) – c’est la question du sexe. Du vrai sexe. Une des phrases les plus parlantes qu’il cite est celle-ci, de Marie-Sissi Labrèche : « J’ai vingt-six ans et je baise avec mon prof de littérature ». Cette phrase est le leitmotiv du roman, un rappel incessant du décalage et du poids du professeur qui pèse sur elle, comment il a fait d’elle une brèche, c’est-à-dire un trou, un vide à colmater en le remplissant de lui-même. Le roman de Labrèche n’a pas suscité de débat de société, souligne Rivard, comme Le déclin de l’empire américain ne l’avait pas fait non plus. L’histoire est trop connue, elle est banale, et devant elle, on s’identifie, à tous les coups, au détenteur du pouvoir.

« Quelle différence entre un chef d’État qui pille son propre pays, les politiciens qui sont à la solde des multinationales, un courtier qui vole ses clients et un professeur qui profite de ses élèves ? » demande Rivard. Ce que Rivard ne dit pas mais qu’il laisse entendre par le choix de ses textes littéraires, c’est que les élèves en question sont le plus souvent des femmes et des étudiantes aux études supérieures. Ce sont elles qu’ils reçoivent dans des bureaux aux portes fermées et dans la semi-obscurité. Elles qu’ils enjoignent à prendre un verre, manger au resto, assister à une pièce de théâtre ou à un concert. Elles qu’ils baisent dans leur petit appartement ou dans une chambre d’hôtel pendant que leur épouse est à la maison et s’occupe des enfants. Elles dont ils supervisent le travail, à qui ils donnent des contrats de correction ou de recherche, avec qui ils organisent des colloques. Elles qui sont potentiellement leurs futures collègues.

Mais ce faisant, est-ce que ce n’est justement pas ce qu’ils leur interdisent – de devenir leurs collègues ? Certaines vont finir par abandonner leurs études (celles à qui on a promis la lune, qu’on a remplies, vidées, abandonnées, celles à qui on a fait un enfant qu’on n’a pas reconnu). D’autres vont poursuivre les joues rouges et en frôlant les murs. D’autres encore vont subir une dépression. D’autres enfin vont devenir enragées et vont fuir, quitter cette université, la désinvestir. Quitter ce no man’s land où tout est permis puisque rien n’est interdit. Abandonner cette université qui ainsi restera ce qu’elle a toujours été : un boys club.