L’idéal de l’amour romantique comme forme de libération et de normalisation dans le théâtre de thématique LGBT de Michel Marc Bouchard et Rafael Mendizábal

L’amour homosexuel dans la littérature

Le discours de l’amour est indissociable dans la littérature LGBT1du discours relatif à sa légitimation, qui implique, d’un côté, la promotion du caractère affectif et non pas simplement sexuel des relations entre personnes de même sexe et, d’un autre côté, la dignification du couple homosexuel dans la sphère publique. Ces préoccupations sont présentes dans le discours des mouvements de libération et des droits civils qui, par exemple, revendiquent ou ont obtenu la reconnaissance des unions des couples de même sexe. Parallèlement, dans l’expression littéraire de ces aspirations, on dénote, de manière presque omniprésente, cette volonté de dignification ou de légitimation. Comme l’ont écrit Bosman et Bradford dans leur étude Gay, Lesbian, Bisexual, and Transgendered Literature : A Genre Guide à propos de la literature LGBT anglo-saxonne, « [the] question of the validity, viability and lasting quality of same-sex love and relationships has long been a topic of GLBT literature in all forms […] » (Bosman et Bradford, 2008, 159). Les œuvres étudiées par cet article, soit Les Feluettes (1987), du dramaturge québécois Michel Marc Bouchard, et Madre amantísima (2003), du dramaturge espagnol Rafael Mendizábal, ne sont pas des exceptions à cette tendance, et le thème des relations amoureuses est central dans chacune.

Dans le cas particulier des Feluettes, la relation est si étroite entre amour et création littéraire que l’auteur a déclaré avoir écrit l’œuvre parce qu’il a voulu qu’existe l’histoire d’amour que personne ne lui avait jamais racontée2. La représentation de ces relations affectives sert à rendre intelligibles les identités qui se trouvent hors de la norme hétérosexiste, afin d’entamer un dialogue. Dans celui-ci, les identités homosexuelles s’expriment fréquemment par le recours aux catégories et aux notions de cette norme dominante :

[La] notion “d’amour romantique”, paradigme idéal de la relation de couple dans la société occidentale depuis le XIXe siècle, occupe un rôle clef. Elle conduit souvent au dépassement nécessaire d’une homosexualité, non plus envisagée sous l’angle unique des « pulsions sexuelles » (arbitrées par la tyrannie de la libido), mais portée par l’image du garçon aimé et avalisé par « l’absolution sociale » de l’amour et du couple […] (Mendès-Leite, 2000, 65)

Cependant, c’est en particulier dans l’œuvre de Mendizábal, et pas dans celle de Bouchard3, qu’on peut relier le poids de l’amour romantique avec la pression homonormative qui est souvent dénoncée dans les discours actuels.

Dans le cas de Madre amantísima, on peut en effet dire que la pièce récupère des éléments homonormatifs, ce qui s’explique, d’après Víllora (2008), par le fait que Rafael Mendizábal soit un auteur auquel on reconnait des tendances conservatrices, et que Madre amantísima soit une pièce de conscientisation qui se destine principalement à un public non familiarisé avec les thématiques LGBT :

[…] es que Madre amantísimano es un texto revolucionario ni vanguardista, y tal vez por eso sea más necesario desde un punto de vista social. No se dirige a un público versado en claves que sólo unos pocos puedan entender ni tampoco pretende la complicidad de un espectador homosexual. (Víllora, 2008) […] c’est queMadre amantèisiman’est pas un texte révolutionnaire ni d’avant-garde, et peut-être pour cela est-il davantage nécessaire d’un point de vue social. Le texte ne se dirige pas à un public qui connait les codes que seuls quelques uns pourront comprendre, et il ne prétend pas non plus à la complicité d’un spectateur homosexuel. (Víllora, 2008)

L’idéal de l’amour romantique

Deux des pièces de notre corpus présentent l’amour entre hommes comme une de leurs structures centrales : Les Feluettes4de Bouchard et Madre amantísima de Mendizábal. Par « amour romantique », on se réfère à un modèle de relations amoureuses caractérisées par la monogamie et la durabilité de la relation (qui peut être établie socialement par le mariage), dans les cultures occidentales en particulier (Esteban Galarza et al.). Ces relations présentent des similitudes et des échos intéressants au moment de les mettre en dialogue, et c’est pourquoi elles sont ici considérées ensemble, à travers leur caractère tragique et leur expression particulière de l’idéal de l’amour romantique, mais aussi par quelques différences que ces couples présentent en contraste : la notion de sortie du placard, la fuite, la représentation de l’amour physique en scène et la théâtralisation de la vie.

Le drame de la séparation par la mort est l’une des principales similitudes structurelles des deux œuvres. Dans Les Feluettes, Vallier meurt d’avoir été laissé inconscient dans un incendie par Bilodeau, parce qu’il était à la fois feluette et l’amant de Simon, ce qui implique une mort plus ou moins liée à l’homophobie, alors que dans Madre amantísima, la mort de Juan est causée par le sida, qui est une cause de mortalité importante des personnes LGBT dans le contexte actuel. Dans les deux cas, la mort est liée à un problème social qui affecte les communautés LGBT, et, dans les deux cas, le sentiment amoureux perdure par-delà la mort. Ainsi, dans Les Feluettes, la mort de Vallier renforce l’amour que Simon ressent pour lui, et dans Madre amantísima, la maladie de Juan renforce l’amour et la dévotion de Carlos, mais aussi la relation avec les parents de Juan, Elías et Marta.

En général, on tend à croire que les œuvres du corpus LGBT ont invariablement une fin tragique ou triste, et l’on perçoit cette dernière comme le symptôme d’une réalité sociale répressive. Il s’agit de l’une des idées préconçues les plus répandues par rapport à toute production littéraire LGBT (Bosman et Bradford, 2008, 30). En réalité, il s’agit d’une tendance observée en général chez les auteurs dont la production se situe avant les mouvements de libération, et l’on considère habituellement que ces fins reproduisent une (ré)pression sociale. Cet élément est modérément présent dans Les Feluettes, étant donné que moralement et symboliquement, la dignité et la validité de l’amour de Simon et Vallier est (r)établie par le changement final de perspective de Monseigneur Bilodeau. Il s’agit d’un événement qui s’insère lui aussi dans l’effort de légitimation que nous avons mentionné antérieurement, comme le montrent clairement les paroles de l’évêque :

MONSEIGNEUR BILODEAU : Que Dieu me pardonne […] (Temps.) Je ne comprenais pas la force qu’il y avait entre vous […] Cette force qui vous menait jusqu’à la mort. […] (Bouchard, 2012, 109)

Similairement, la pleine acceptation de l’homosexualité de Juan par son père Elías dans Madre amantísima est la note finale qui vient renverser totalement la situation dramatique. On pourrait tout de même parler de la présence du lieu commun de la fin tragique dans l’œuvre de Mendizábal puisqu’en plus de Madre amantísima, on le retrouve également dans Feliz cumpleaños, señor ministro, avec l’assassinat de Toni et le suicide de Raúl, deux personnages importants de l’œuvre, publiée elle aussi dans le tome Teatro gay.

L’histoire d’amour unique et idéalisée de Simon et Vallier, qui s’oppose à la mentalité du Québec rural presque théocratique du début du XXe siècle, selon Bouchard, est un bon exemple du changement de perspective littéraire envers les relations amoureuses homoérotiques, ainsi que de la réappropriation de catégories culturelles traditionnelles, en particulier les noces symboliques de Simon et Vallier) :

The gay rights movement removed the idea of inevitable doom from homosexual romances, resulting in an explosion of creativity and the reuse of traditional forms of the romance from a lesbian or gay slant.” (Bosman et Bradford, 2008, 159-160)

Dans la même perspective de légitimation et de dignification des relations et des couples homosexuels, il faut souligner le recours des auteurs au cadre de l’amour romantique traditionnel, en mettant en scène des couples qui ont des relations sentimentales durables, authentiques et exclusives. Cependant, cet amour tragique romantique se présente de manières différentes dans les deux pièces. Dans Les Feluettes, on met de l’avant un modèle amoureux traditionnel qui se manifeste dans des éléments tels qu’une lettre d’amour, des noces symboliques et le désir bucolique de fuite hors du monde. Ces éléments donnent une vision enchantée ou idéalisée de la relation qui contraste avec la réalité du début du XXe siècle au Québec, où l’on ne favorisait pas les conditions de vie des couples homosexuels, pour le dire ainsi. De plus, les noces symboliques, durant lesquelles les personnages avalent leurs alliances, ne peuvent que nous rappeler la scène de Roméo et Juliette de Shakespeare durant laquelle les amants s’empoisonnent :

SIMON, présentant ses alliances à Vallier : Tiens, c’est mes alliances.

Vallier en prend une. Il l’avale en grimaçant. Simon fait de même.

SIMON : Ast’heure, t’es mon amant, mon homme, mon amour. Seul, unique amour. Le soleil pis le lac sont nos seuls témoins… à la vie, à la mort.

VALLIER : Tu es mon amant, mon homme, mon amour. Mon ultime amour. À la vie, à la mort. (Bouchard, 2012 : 108)

Dans Madre amantísima, on perçoit dans le discours contemporain de Juan une vision ambiguë et désenchantée de la relation amoureuse entre hommes, qui contraste d’une certaine manière avec la réalité espagnole de la fin du XXe siècle, dans laquelle sont de plus en plus reconnus et légitimisés les couples homosexuels5. Un moment en particulier de l’œuvre nous offre une vision très désenchantée des relations homosexuelles, mais cette perspective paraît davantage liée à un moment précis, ou à un état mental de Juan, qu’au message central de l’œuvre, qui est en fait une apologie des relations affectives (surtout des relations familiales et amoureuses) :

JUAN : Tú sabes cómo es nuestro ambiente, las cosas cambian de un día para otro. […]

CARLOS : ¿Y yo ?

JUAN : Tú te recuperarás pronto, entre nosotros no existen amores eternos.

CARLOS : No te creía tan cínico. (Mendizábal, 2006, 38-40)

JUAN : Tu sais comment est notre milieu, les choses changent du jour au lendemain. […]

CARLOS : Et moi ?

JUAN : Tu t’en remettras vite, entre nous, il n’y a pas d’amours éternels.

CARLOS : Je ne te croyais pas si cynique. (Mendizábal, 2006, 38-40)

De plus, le discours de Juan contraste aussi avec la représentation en scène de l’intimité du quotidien du couple :

CARLOS : Touché. Nada de champán por la mañana, somos un matrimonio de orden.

JUAN : ¿Vamos al cine el sábado por la noche ? CARLOS : Típico de un matrimonio tradicional. […] (Mendizábal, 2006, 52)

CARLOS : Touché. Pas de champagne le matin, nous somme un mariage comme il se doit.

JUAN : Est-ce qu’on va au cinéma le samedi soir ?

CARLOS : Typique d’un mariage traditionnel. […] (Mendizábal, 2006, 52)

Dans l’œuvre de Mendizábal, les liens familiaux et amoureux se renforcent de manière analogue, ce qui se perçoit dans les mots utilisés par les parents de Juan pour se référer à Carlos, l’amant de leur fils. Durant leurs premiers rapports, Marta utilise le mot amigo pour se référer à Carlos (Mendizábal, 2006, 43), mais plus tard, quand ce dernier se trouve présent avec Elías, Marta le décrit autrement, lui conférant son statut d’amant :

ELÍAS : ¿Y éste quién es ?

MARTA : El amante de Juan, supongo que se dice así. (Mendizábal, 2006, 62)

ELÍAS : Et lui, qui est-ce ?

MARTA : L’amant de Juan, je suppose qu’on dit comme ça. (Mendizábal, 2006, 62)

Il est significatif, étant donné le contexte fortement répressif des Feluettes, que la pièce contienne une représentation de la sexualité en scène, comme les allusions aux activités des personnages principaux dans le grenier de leur collège et, en particulier, la scène du bain, quand, la veille de son départ supposé, Simon va chez Vallier et que les deux amants se confessent encore une fois leur amour, avant de décider de fuir :

VALLIER : […] Quand vas-tu finir par le dire ?

SIMON : J’y arrive pas…

VALLIER : Essaye !

SIMON : J’ai un sentiment plus fort pour toé que j’en ai un pour Lydie-Anne. […]

SIMON, avec toute la difficulté du monde : Je t’aime, Vallier.

VALLIER : Je t’aime, Simon. Simon s’élance dans la baignoire, habillé.[…]

Ils s’enlacent. Ils se caressent.(Bouchard, 2012 : 96)

La représentation de l’acte sexuel est un des points de tension de toute œuvre théâtrale LGBT, et cet élément souffre toujours de l’un des préjugés les plus récurrents associés aux productions LGBT, qui est celui de leur supposée nature pornographique. En général, l’on ne peut pas nier que beaucoup d’œuvres ont un important contenu érotique et amoureux, mais c’est aussi une caractéristique du théâtre en général et des courants littéraires dominants de l’époque contemporaine. Cependant, ce contenu érotique n’est pas le seul sur lequel on met l’emphase, et il peut même être un élément de peu d’importance, sauf bien sûr dans la littérature érotique ou clairement pornographique dans laquelle cette thématique est volontairement centrale. On pourrait dire brièvement, en reprenant les mots de Bosman et Bradford que « [the] idea that any type of literature is inherently pornographic is at best a subjective judgment, changing over time based on society’s shifting attitudes about sexuality » (2008, 29)6. Contrairement aux Feluettes, Madre amantísima, ne contient aucune représentation explicite ou mention de la sexualité en scène, ni d’allusion claire aux activités sexuelles de Juan et Carlos.

La théâtralisation est aussi une différence entre les deux couples, étant donné que, dans Les Feluettes, plusieurs scènes présentent une mise en abîme de la théâtralité à travers le martyre de saint Sébastien, dont les personnages reprennent les paroles entre eux. De plus, la représentation organisée par le Vieux Simon pour Monseigneur Bilodeau peut elle aussi être considérée comme un acte théâtralisé dans sa relation avec Vallier puisque c’est l’événement qui ferme la boucle de l’histoire des amants. La théâtralisation dans le couple n’est pas présente dans Madre amantísima, qui est plus fortement ancrée dans le réalisme, sans aucun effort de théâtralisation ou de dramatisation de l’existence du couple. Le théâtre comme mode d’expression a lui-même un rôle au niveau de la représentation de la relation amoureuse de Simon et Vallier, comme l’avance Dominique Lafon :

Les Feluettes mettent en scène deux désirs mimétiques : le premier s’inscrit dans le topos du martyre passionnel. C’est en jouant la pièce d’Annunzio, puis en reprenant ses dialogues comme une sorte de langage codé de l’amour que s’épanouit la relation entre Simon et Vallier, ou plutôt que Simon s’autorise cette relation. Réticent dans les premiers tableaux à répondre à l’amour de Vallier, il lui déclarera publiquement sa passion en lui donnant la réplique au cours de la représentation d’une scène sur la terrasse de l’hôtel où l’on célèbre ses fiançailles avec Lydie-Anne. Dans la perspective de la représentation, c’est par ce truchement mimétique, par cette caution esthétique que l’amour homosexuel est en quelque sorte légitimé. Mais de cette façon significative, le dénouement joue la condamnation de cette modalité en refusant d’accéder au désir de sacrifice de Bilodeau qui s’est doublement mis à nu devant ses accusateurs/archers. (2007, 68)

Polarité sexuelle dans les relations amoureuses

L’utopie de la caducité du genre7s’est aussi étendue à la conceptualisation des sexualités non-mixtes depuis les années 1970 jusqu’à nos jours. Cependant, selon Bosman et Bradford, les relations homoérotiques sont toujours marquées d’une certaine manière par le genre pour les raisons suivantes : premièrement par le fait qu’elles se développent dans un contexte hétérosexiste et homophobe, deuxièmement parce que la notion de rôle sexuel diffère entre les homosexuels hommes et les homosexuelles femmes8, et aussi puisque le scénario du genre nourrit encore la dynamique conjugale homosexuelle, malgré que ce soit de manière innovatrice, comme le spécifient, pour leur part, Bereni et al., (2012, 90).

Il existe dans les couples homosexuels une tendance générale à se polariser d’après le rôle sexuel. L’exemple des cultures latinoaméricaines est particulièrement intéressant, puisque celles-ci “[…] establecen en efecto una clara diferencia entre el ‘activo’ y el ‘pasivo’” (Balutet, 2006, 18), une division qui est plus laxiste dans d’autres contextes socioculturels. On se réfère à cette binarité de différentes manières selon la langue et la culture : top/bottom dans le monde anglosaxon, actif/passif dans le monde francophone, activo/pasivo en Espagne, et de nombreux termes sont utilisés en Amérique latine, par exemple l’opposition entre bugarrón/maricón dans la zone caribéenne hispanophone où la dichotomie mayate/vestida en México (Balutet, 2006, 28), etc. Malgré que ce modèle soit étendu, il n’est pas exclusif et il existe de nombreux couples et individus non polarisés au niveau sexuel : on les appelle versatiles en anglais, français et espagnol, et internacionales au Mexique (Balutet, 2006, 28). Cependant, il est important de souligner qu’en général, la polarité sexuelle dans les couples d’hommes des sociétés qui nous intéressent dans cette étude n’implique pas nécessairement un clivage au niveau de la (re)présentation performative du genre.

Un des premiers traits de polarité sexuelle que l’on constate dans les pièces du corpus est le fait que dans le cas des Feluettes et de Madre amantísima, le personnage passif est un pilier de sa relation. Vallier, des Feluettes, insiste à maintenir sa relation avec Simon malgré le refus, et ses efforts sont constants, entre la lettre d’amour qu’il a écrite à Simon et quelques effusions publiques. Pour sa part, Carlos de Madre amantísima suit Juan chez ses parents, insiste pour l’accompagner dans la maladie et en prend soin jusqu’à la mort. La situation dramatique fonctionne grâce à ces efforts qui permettent le développement de l’action.

Nous voyons, par exemple, dans les répliques des personnages des Feluettes, que Vallier accepte plus ouvertement la relation amoureuse, sans trace de culpabilité, alors qu’au début de l’œuvre, Simon a de la difficulté à dire son amour à son amant :

SIMON, refusant de reprendre les mots de Vallier : J’suis ben avec toé.

VALLIER : Que tu m’aimes !!!

SIMON : Tu ressembles à une fille quand tu fais ça. J’haïs ça. ‘Que je suis bien !!!’

VALLIER : … Que tu n’as jamais été si bien avec quelqu’un d’autre ?

SIMON,tendrement : Que je n’ai jamais été si bien avec quelqu’un d’autre… de toute ma vie ! (Bouchard, 2012, 27-28)

On perçoit aussi la polarité sexuelle dans Madre amantísima, comme dans l’extrait suivant, où le couple de personnages discute à savoir quel film ils iront voir au cinéma :

CARLOS : ¿La reina del desierto ? Estará lleno de locas.

JUAN : Entonces no vamos a ver Priscilla.

CARLOS : Iremos a ver una de Schwarzenegger, que estará lleno de machos que me arrimarán la pierna.

JUAN : Entonces tampoco iremos a ver la de Schwarzenegger.

CARLOS : Eres un hombre lleno de dudas.

JUAN : Soy un hombre liado con un tío atractivo y por eso no puedo bajar la guardia. (Mendizábal, 2006, 52)

CARLOS : La reine du désert ? Ce sera plein de folles.

JUAN : Alors, nous n’irons pas voirPriscilla.

CARLOS : Nous irons voir un film de Schwarzenegger, ce sera plein de mâles qui me frôleront la cuisse.

JUAN : Alors nous n’irons pas voir un film de Schwarzenegger non plus.

CARLOS : Tu es un homme plein de doutes.

JUAN : Je suis un homme qui sort avec un type attirant, et à cause de ça je ne peux pas baisser la garde. (Mendizábal, 2006, 52)

Fidèle à la dynamique précédemment exposée, Carlos est celui qui insiste pour maintenir sa relation dans Madre amantísima, et c’est aussi lui qui dédie une grande partie de son temps et de ses efforts à son couple :

CARLOS : […] Igual conoces a alguien que pueda sustituirte, ya sabes que tengo algunas virtudes, soy honrado, trabajador, creo estar de buen ver, y soy una persona extremadamente cariñosa, tanto que he pasado estos dos años dedicado a ti. (Mendizábal, 2006, 38)

CARLOS : […] Peut-être que tu connais quelqu’un qui pourrait te remplacer, tu sais que j’ai quelques qualités, je suis honnête, travaillant, je crois que je ne suis pas laid, et je suis une personne extrêmement affectueuse tellement que j’ai passé ces deux dernières années à me dédier à toi. (Mendizábal, 2006, 38)

Cependant, parlant de représentation de la polarité sexuelle, il est important de souligner que l’accent n’est d’aucune manière mis sur l’aspect sexuel dans cette œuvre de Mendizábal, puisqu’elle ne compte aucune présence de sexualité sur scène et très peu d’allusions à la sexualité comme telle.

Contrairement au personnage passif, le personnage actif de chaque couple paraît avoir plus de difficultés avec l’acceptation de sa propre homosexualité. Alors que Simon souffre de la violence répressive et homophobe paternelle, et essaie par la suite de faire comme s’il n’était pas homosexuel afin de s’intégrer au modèle normatif qui lui est imposé, pour sa part Carlos assimile d’une certaine manière les idées répressives de son père et son ressentiment dû au fait que son fils soit parti travailler hors du village. Dans cette situation dans laquelle il sent beaucoup de culpabilité, Juan essaie aussi de dissimuler son homosexualité lorsqu’il arrive à la maison de ses parents, dans un autre effort d’assimilation au modèle normatif paternel.

Conclusions

Dans les pièces étudiées, la représentation de l’amour homosexuel se construit à partir de la structure générale de l’amour romantique, caractérisé par sa force et sa durabilité, dans un effort pour doter ces relations de légitimité sociale, puisque la structure de l’amour romantique est fortement valorisée dans les contextes socioculturels des œuvres, soit les cultures québécoise et espagnole.

La trame diégétique de ces poèmes dramatiques conserve toujours des traits importants de la tragédie, qui se notent dans la présence d’éléments tels l’amour interdit par la société et la passion mortelle, qui sont des lieux communs de la littérature LGBT, et qui sont aussi reliés aux contextes des sociétés dans lesquelles ces œuvres s’inscrivent. Cependant, on constate dans ces œuvres un changement par rapport aux productions artistiques de thématique LGBT des décennies antérieures, surtout en ce qui a trait au motif du tragique, qui n’est plus seulement la situation socioculturelle répressive, mais aussi la maladie, ou même la simple envie et la jalousie.

En ce qui a trait à la représentation de la sexualité entre deux hommes, qui est toujours un tabou dans de nombreux milieux, elle se fait, quand elle se fait, non pas à des fins pornographiques sinon pour une représentation sensuelle et érotique des sentiments amoureux.

  1. 1Acronyme signifiant lesbienne, gay, bisexuel(le) et trans.
  2. 2Dans les mots de l’auteur : « […] le besoin d’écrire Les feluettes est venu du désir de raconter une histoire d’amour que l’on ne m’avait jamais racontée parce que toutes les histoires d’amour emploient, pour nous, les gais, un vocabulaire emprunté. […] Malgré le fait que pour écrire cette histoire romantique, j’ai dû chercher des références un peu kitsch. Un peu soap, un peu grandiloquentes. Parce que le romantisme est un produit d’exportation, mis à part peut-être certains auteurs du XIXe siècle québécois qui ont tenté d’imiter les auteurs français. » (Bouchard en Huffman, 2007, 20)
  3. 3Personnellement, je pense qu’il est compréhensible que des individus homosexuels ayant grandi dans une société déterminée s’approprient ces structures. Les schèmes des relations amoureuses étant culturellement très forts et très marqués, ils font aussi partie, de manière directe ou indirecte, de la culture des personnes homosexuelles, qu’elles les adoptent ou les rejettent en partie ou en entier.
  4. 4D’après Gobert, c’est le désir homosexuel qui donne forme aux personnages et qui est le moteur de l’action. (2006, 48)
  5. 5Il est important de considérer que l’Espagne a l’un des schèmes législatifs les plus avancés au monde par rapport aux personnes homosexuelles. C’est aussi l’un des premiers pays au monde à avoir permis la reconnaissance des unions entre personnes homosexuelles, par exemple.
  6. 6De plus, on peut avancer que l’impression de libertinage sexuel et de promiscuité excessive par rapport aux productions artistiques et discursives LGBT se devrait peut-être à une certaine discrétion puritaine de la littérature dominante par rapport à la sexualité en général, comme l’ont signalé mainte fois divers auteurs, puisque d’après les critères dominants, toute représentation directe d’un acte sexuel est pornographique – et est donc perçue comme de valeur moindre, comme c’est souvent le cas pour la littérature érotique, par exemple.
  7. 7L’abolition du genre est un concept proposé par les féministes dénommées matérialistes, comme Monique Wittig, qui perçoivent l’homme et la femme comme des identités politiques en opposition et en constante lutte, en tant que ‘classes sexuelles’. Cette perspective se situe dans le cadre marxiste de révolution et abolition, puisque les classes sexuelles disparaîtraient de la même manière que les classes sociales avec l’abolition du capitalisme (Bereni et al., 2012, 40). Cependant, cette perspective progressiste n’est pas partagée au niveau théorique par la majorité des penseurs queer, puisque la disparition du système n’entraînerait pas celle des différences individuelles contre lesquelles on considère qu’il ne faut pas lutter. De plus, puisque le genre n’est qu’une des relations sociales, la fin du genre ne signifie pas nécessairement la fin de l’iniquité sociale. En fait, on tend à penser que l’affaiblissement de la conception rigide du genre impliquerait potentiellement un fleurissement des différences individuelles, d’une infinité de spécificités irréductibles à l’homogénéité collectiviste et dichotomique du genre (Bereni et al., 2012, 41).
  8. 8L’on ne traite pas de la binarité dans les relations homosexuelles féminines, puisqu’on en parle dans une section ultérieure du mémoire d’où est tiré cet article. Pour l’aspect amoureux, nous nous concentrons exclusivement sur les couples homosexuels masculins, puisque ce sont ceux qui sont le plus représentés dans les œuvres de notre corpus.