Littérature et mythologie, le rituel initiatique dans le roman

Rite Roman Initiation de Simone Vierne

Simone VIERNE, Rite Roman Initiation, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2000, 192 p.

Nos ancêtres lointains se sont servi des récits mythiques pour expliquer l’irrationnel et l’inconnu. L’invention millénaire des dieux et des déesses, des rites mystiques et initiatiques font partie de l’héritage mythique des récits oraux et écrits sur la naissance. La création du monde porte encore en elle la résonance mystique, voire initiatique, du mystère originel. Encore aujourd’hui, « l’humanité rêve de trouver l’instructeur mystérieux, venu du passé ou reliant le passé et l’avenir, et qui lui apportera le Message, le secret de son destin que la science n’a, en fait, pas résolu, ou si l’on veut, n’a pas réussi à effacer de son inconscient » (2000 : 150). La réédition de l’ouvrage de Simone Vierne, Rite Roman Initiation, témoigne de cette constante qui traverse les époques, l’intérêt pour la quête de ce lieu mystérieux hors du monde rationnel, où les contraires s’abolissent. C’était le projet partagé par les surréalistes, dont André Breton :

Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l’on peut ainsi dire. C’est à sa conquête que je vais, certain de n’y pas parvenir mais trop insoucieux de ma mort pour ne pas supporter un peu les joies d’une telle possession
(1979 : 24).

L’étude de Simone Vierne est divisée en deux parties. La première porte sur le rituel de l’initiation et la deuxième sur la transposition du rituel initiatique dans les œuvres littéraires.

Qu’est-ce que l’initiation ?

Les origines du mot initiation sont doubles : latines (commencement) et grecques (mourir). L’initiation signifie mourir pour renaître, ce qui suppose à la base une transformation ontologique du sujet qui passe d’un statut à un autre. L’initiation, c’est devenir autre, c’est passer par la Mort (racines grecques) pour trouver la Vie (racines latines) ; c’est entrer dans un espace sacré, donc « fort significatif », qui diffère des espaces profanes (Eliade 1965 : 25). Simone Vierne se base sur le postulat de Mircea Eliade selon lequel il existe, parmi les diverses catégories d’initiation, « une sorte de solidarité structurale qui fait que, vues dans une certaine perspective, toutes les initiations se ressemblent » (cité dans Vierne 2000 : 8). Elle cherche donc, à la suite des réflexions de Mircea Eliade, le schéma caractéristique de l’initiation, son essence naturelle et universelle, laissant volontairement de côté les variantes possibles du rite. Elle se penche plus particulièrement sur les rituels mythiques et religieux anciens (entre autres, la cérémonie des Grands Mystères d’Eleusis), les rites des sociétés secrètes « primitives » (africaines et australiennes), la Franc-Maçonnerie (La flûte enchantée de Mozart) et l’alchimie. Selon l’auteure, la structure commune au rituel initiatique se divise en trois parties. Premièrement, la préparation (la phase d’attente), où le novice se prépare à recevoir les révélations sacrées. Dans un deuxième temps, le voyage dans l’au-delà ou L’entrée dans le domaine de la mort, acte solennel irréversible et généralement dramatique où le novice va perdre conscience, de façon réelle ou simulée ; il peut aussi se buter contre l’entrée impossible, les Symplégades. Notons que les deux caractères peuvent être concomitants dans une même initiation. Le candidat doit absolument se soumettre à des épreuves tortionnaires, où on lui fait subir des sévices particulièrement éprouvants. La modification ontologique du statut se poursuit ici à travers la transcendance de la souffrance. On exige du novice un courage surnaturel. La nouvelle naissance est la dernière étape qu’il doit franchir. C’est une mort symbolique comme suite à la quête de la transformation radicale par la transcendance de la souffrance. Il s’agit d’une vaste imagerie de la naissance qui peut prendre de multiples formes, telles une expulsion violente ou la sortie de la bouche d’un monstre.

Bien que générale, l’étude des rituels proposée par Simone Vierne est bien documentée et clairement articulée. Nous avons toutefois certaines réticences, dans la mesure où la quête poursuivie par l’auteure est de l’ordre de l’universel : elle souhaite trouver la nature universelle du rituel initiatique. Or, les courants de pensées critiques tels le postcolonialisme et le postmodernisme proposent à juste titre une révision, et non pas systématiquement une déconstruction, de ce qui nous semble des acquis stables, comme les grandes catégories universelles. Dans ce contexte de recherche particulier, une révision significative de son discours aurait été souhaitable, d’autant plus qu’il s’agit d’une nouvelle édition. Le lecteur averti émettra donc certaines réserves, sans pour autant discréditer l’entièreté du projet.

Littérature et initiation

La deuxième partie de l’étude est consacrée entièrement à la littérature. Les analyses des œuvres littéraires sont pertinentes, quoique très brèves et peu critiques. Très classique dans le choix des œuvres de son corpus, Simone Vierne examine la transposition du rituel initiatique, notamment dans le roman Les métamorphoses d’Apulée1, datant du IIe siècle, et dans des romans qui figurent parmi les classiques de la littérature, telles les œuvres fantastiques de Jules Vernes, dont l’auteure est une spécialiste. Elle souligne brièvement au passage les contes de Perrault et des frères Grimm, certaines œuvres de George Sand et les histoires du Graal.

On peut reprocher à cette étude littéraire d’occuper trop peu d’espace (seulement le tiers du livre) par rapport à celle sur l’initiation et son rite. On peut aussi se questionner sur la pertinence d’intégrer une analyse cinématographique, une seule, à l’étude. Le problème n’est pas tant que l’analyse soit inappropriée au sujet de l’étude, car elle démontre bien dans quelle mesure le film 2001 ou l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick met l’accent sur la quête initiatique de l’être humain. La question consiste à savoir pourquoi elle se limite à un seul film et pourquoi sur celui-ci en particulier, alors que la cinématographie mondiale a produit plusieurs œuvres à caractère mythique, où le rituel, la spiritualité et la quête initiatique sont exploités comme trame narrative principale2. De deux choses l’une : soit elle devrait s’abstenir de discuter sur le cinéma et ainsi circonscrire davantage son sujet, le littéraire, car l’analyse filmique se trouve perdue au centre des récits littéraires ; soit elle devrait développer ce champ d’analyse, ce qui ajouterait à cette nouvelle édition. D’autre part, elle fait mention du lien très étroit entre l’art et la possibilité d’accéder à l’irrationnel, ce à quoi aspiraient les alchimistes et les surréalistes. Pourquoi ne pas insérer dans le corpus des œuvres surréalistes ? C’est qu’on aurait souhaité un contenu littéraire plus complet, des analyses plus soutenues ainsi qu’une répartition plus juste des sujets abordés. Dans le présent cas, l’étude du rite initiatique l’emporte sur le discours littéraire, qui devient secondaire. Sur ce point, l’étude est assez inégale.

La réédition de Rite Roman Initiation conserve un intérêt malgré ses lacunes. L’étude est claire, bien articulée, ce qui facilite la lecture pour celui qui est peu familier avec l’univers du rituel. Par contre, les nombreuses annotations gênent énormément la lecture, alors que les références auraient pu simplement être intégrées au texte. Enfin, compte tenu de la notoriété de l’écrivaine (on nous la présente comme un éminent professeur de l’Université Stendhal), nous aurions souhaité une analyse littéraire plus étoffée et une mise à jour de la bibliographie. Néanmoins, le travail de Simone Vierne se veut une bonne introduction à l’initiation. Il faut par contre la lire en prenant un peu de distance.

  1. 1Pour un résumé de la vie et des œuvres d’Apulée : www.fusl.ac.be/Files/General/BCS/Apul/ApulFiche.html
  2. 2Entre autres, les films de Maya Deren (At Land, 1944 ; Ritual in Transfigured Time, 1945-46 ; Haïti film footage, 1947-54), de Kenneth Anger (Inauguration of a PleasureDome, 1954), de Jean Cocteau (Orphée, 1949 ; Le Testament dOrphée, 1959), de Jean Rouch (Les Maîtres fous, 1954 ; Moi un noir, 1959) et, plus récemment, la série télévisuelle The Kingdom (1994) de Lars von Trier