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Appel à contributions : Dédoublements littéraires (#20, hiver 2016)

Sous la direction de Louis-Thomas Leguerrier

*English follows

Ce numéro propose d’interroger la figure du double telle qu’elle se retrouve dans la littérature, la théorie littéraire, la théorie philosophique et les cultural studies. « C’est à l’autre, à Borges, que les choses arrivent [1] », écrit Borges. Aussitôt couchés sur le papier, aussitôt affichés à l’écran, les mots qu’on croyait provenir de nous-mêmes nous apparaissent comme des mots étrangers. Se trouvant face aux traces laissées par son esprit dans la matière comme face à une altérité irréductible, qui se lit soi-même est conduit à renoncer à l’illusion d’une intériorité qui survivrait, intacte, à son extériorisation dans l’écriture. D’où l’extrême importance de la figure du double dans la littérature mondiale. Penser l’écriture comme un dédoublement, c’est la penser non plus comme extériorisation de l’esprit dans le monde, mais comme va et vient entre les deux, comme dépossession de l’esprit se laissant contaminer par l’inconnu auquel le renvoie sa propre matérialisation. Penser le double comme figure de la création littéraire, c’est ouvrir la théorie littéraire à la transcendance en vertu de laquelle les mots disent toujours plus que ce qu’ils veulent dire.

Cela n’a jamais été aussi visible qu’aujourd’hui, alors qu’on assiste à l’investissement du domaine de la littérature par les nouvelles technologies. Insérer une photographie ou un vidéo dans un texte, c’est montrer que l’intérieur est déjà contaminé, avant même son extériorisation dans l’écriture, par le dehors qui lui échappe en le redoublant à l’infini. Déjà dans les années trente Benjamin notait cette prédominance de l’extérieur sur l’intérieur à l’époque des nouveaux moyens de communication : « Une toute nouvelle pauvreté s’est abattue sur les hommes avec ce déploiement monstrueux de la technique. Et l’envers de cette pauvreté, c’est la richesse oppressante d’idées qui filtrent chez les gens — ou plutôt qui s’empare d’eux [2] ». Si la pauvreté de l’expérience intérieure à la modernité se conjugue à la richesse oppressante de l’extérieur, c’est que le double, qui a toujours été présent comme versant négatif du principe d’identité, tend maintenant à revendiquer un empire absolu sur l’esprit dont la prétention à être lui-même l’absolu a été mise à mal par le déploiement de la technique.

On pourrait aussi penser à des auteurs plus récents, tel Michel Foucault, qui, en montrant que l’intériorité du sujet moderne est un effet des pratiques disciplinaires s’inscrivant sur le corps, montre que l’intérieur est toujours contaminé par l’extérieur, qu’il en est le produit. Reprise et approfondie par Judith Butler, cette réflexion servira ensuite à démontrer que l’identité sexuelle, en tant que vérité intérieure du sujet, s’exprime d’abord à la surface du corps, à travers un ensemble de comportements visant à performer le genre, ce qui conduit à l’impossibilité de penser l’intériorité en dehors du processus par lequel elle est sans cesse redoublée, sans cesse reproduite en tant que signification de surface. Loin d’être confinée à la littérature au sens traditionnel du terme, la figure du double hante donc une grande partie de la pensée critique du siècle dernier.

Nous lançons un appel à des propositions d’articles qui aborderont, à partir d’œuvres littéraires ou de réflexions conceptuelles, la problématique du double telle qu’elle apparaît dans la littérature mondiale ainsi que dans la théorie critique entendue au sens large.

Liste (non exhaustive) de problématiques pouvant être abordées :

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